Au sentiment de manque suscitant une addiction, à la volonté de faire du bien à l'autre par sa seule présence, à la métamorphose que présuppose la rencontre avec l'être aimé, au hasard qui parfois se prétend destin (nous étions faits pour nous rencontrer), tous ingrédients définissant la passion amoureuse, l'ethnopsychanalyse
Tobie Nathan se demande si justement cette fixation de tous les instants sur une même personne peut être déclenchée par un processus extérieur ?
Dans leur universalité, les cultures traditionnelles croient que oui.
L'auteur cite
Michel Leiris, accompagnant
Marcel Griaule dans l'expédition Dakar/ Djibouti de 1930. Avec la volonté de prouver que les Dogons et autres créent de vraies oeuvres artistiques, Griaule les as spoliées (cf
l'Afrique fantôme).
Leiris, lorsqu'il arrive en Éthiopie, décide d'étudier le zar, ou culte de possession existant tout le long de la vallée du Nil.
Le zar, ce serait l'étranger qui vient nous rendre visite présent partout, bien qu'invisible, dans les danses, les chants, et qui provoque la transe.
Leiris assiste à toutes les séances, il veut être initié à ces transes… et, boum, il tombe éperdument amoureux de la fille de la prophétesse. Il la caresse entre les cuisses… et la voilà déclarant qu'ils allaient se marier et qu'il lui donnerait beaucoup d'argent. Puis elle danse comme une possédée et plus elle se roule devant lui, plus
Leiris est refroidi, comme un bourgeois rencontrant par hasard une femme qu'il a connue au bordel, comprenant qu'il s'est fait avoir .
Avoir par qui ou par quoi ?
Par cet autre, que les religions antiques ont vénéré, en premier lieu Ishtar, déesse mésopotamienne de la guerre et de l'amour.
Par un objet : une pomme, (pensons aux pommes d'amour) une grenade, un cadenas, des liens et l'invocation de la puissance divine : un intermédiaire identifiant le bénéficiaire et la cible.
Un philtre.
Tobie Nathan ne manque pas d'évoquer Tristan et Yseult, buvant le breuvage destiné au roi Marc, et tombant dans la passion mortifère plus forte que leur volonté. L'erreur fatale a été de se tromper de cible. de plus, les philtres d'amour, avec mélange de parfum et de sang, même s'ils ont été utilisés dans toutes les civilisations et le sont encore en Afrique, en Haïti (Vaudou) à Cuba (Candomblé) par exemple, sont dangereux.
Ou, comme dit Gainsbourg :
« Un poison violent, c'est ça l'amour
Un truc à n'pas dépasser la dose. »
Tomber amoureux, c'est une chute comme son nom l'indique, presque une maladie. Il faut se sentir malade pour chercher un remède, qui sera l'amour. le coup de foudre, le foudroiement, c'est l'instant où l'autre prend naissance et corps.
S'ensuit la « pulsion incoercible vers un autre, la sensation d'être comme téléguidé par des forces qui proviennent d'ailleurs, la recherche, toujours insatisfaisante, de la fusion… toutes ces sensations accompagnent, de manière identique, le rite décrit par les ethnologues « transes de possession ».
Dans son étude à la fois très facile à lire et très érudite,
Tobie Nathan présente des cas concrets de personnes en souffrance, liés par une volonté extérieure venant consulter le psychanalyste qu'il est, ainsi que l'histoire de Myrrha, (oui, la myrrhe) et sa passion incestueuse, mère d'Adonis. Comme Oedipe, Myrrha est devenue l'otage des dieux.
« On ne tombe pas amoureux au gré des rencontres, charmé par un corps harmonieux, un doux visage, une belle âme, mais parce qu'on a été l'objet d'une capture délibérée : objets magiques, philtres, parfums, prières, rites, paroles ésotériques, nourritures ou boissons préparées. »
Comme David et Bethsabée, tomber amoureux ce serait retrouver l'autre qui est notre double, notre âme soeur, ne plus faire qu'un, retrouver sa moitié d'orange, ainsi qu'avait défini
Aristophane dans le Banquet : les hommes coupés en deux par les dieux se recherchent et se retrouvent.
Cependant, bien entendu, la trouvaille est aléatoire, et a donc besoin… d'une aide extérieure, que ce soient les statuettes d'argile, les pommes, les parfums, (j'ajoute : le viagra, les réseaux sociaux, les amis, la famille).
Enfin, l'auteur évoque la psychanalyse, qui, en promettant une métamorphose, promet en même temps l'amour à celui qui livre ses secrets les plus inavoués : d'où le transfert.
Conclusion : en amour, on n'est jamais deux, mais au moins trois, et pas seulement dans la mythologie.