Recueil de courts récits que Kawabata a écrit tout au long de sa vie, on peut s'apercevoir de l'évolution de son écriture au fil des pages.
L'omniprésence de la nature de même que la vie quotidienne ou encore ses propres souvenirs d'adolescence nous montrent toute l'immensité et la variété des textes qui nous sont proposés dans ce livre.
Dès les premiers mots, on sent toute l'intensité que va prendre notre lecture accompagnée de phrases aux accents poétiques.
L'extrême brièveté des nouvelles peut nous laisser une impression de fugacité. Notre mémoire n'a pas le temps de retenir tous ces courts récits et nous oblige à forger notre propre interprétation quand aux scènes de vie que nous décrit Kawabata.
Ces fragments d'écrits ressemblent à des notes, à des pensées que nous pourrions nous-même écrire sur un cahier pour nous souvenir d'un moment particulier de notre vie.
Je vous invite vivement à lire la préface que Cécile Sakai (traductrice) a écrite à propos de ses récits, ils pourront mieux vous éclairer sur les intentions de l'auteur.
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Lors d'un troc à ma bibliothèque, j'ai eu le plaisir de tomber sur ce recueil de textes que je ne connaissais pas du tout et qui manquait à ma collection des oeuvres de Yasunari Kawabata. le grand écrivain japonais a écrit ces textes sur une quarantaine d'années, des années 20 aux années 60, et les a réunis lui-même sous le titre poétique de "Récits qui tiennent dans la paume de la main", titre malheureusement tronqué dans sa traduction, perdant ainsi le sens de l'extrême brièveté de ces textes dont certains remplissent à peine deux pages. Seulement une soixantaine en sont repris ici.
Il y a bien des années que je n'avais lu l'auteur et j'avoue que les premiers textes, ceux des années 20, à mi-chemin entre rêves, cauchemars, légendes et superstitions locales, m'ont parus assez hermétiques et, bien que très sensible à la beauté de ces textes, leur sens m'a souvent échappé.
Je leur ai préféré les textes écrits plus tardivement qui, par leur plus grand réalisme ou par leur forme narrative plus aboutie, offrent des instantanés de la vie des artistes du quartier d'Asakusa, ou bien des anecdotes, souvenirs de l'auteur, toujours empreints d'une grande poésie.
Dans ces textes, la mort, obsession issue des traumatismes d'enfance de l'auteur, est omniprésente - veillées mortuaires, funérailles, agonies, suicides - mais sa cruauté est magnifiée par les plus belles expressions de la nature, ainsi une branche d'éléagne aux baies flamboyantes, le tonnerre d'automne, les chrysanthèmes blancs des couronnes mortuaires, un grenade oubliée sur un arbre... Mêlée à une sensualité trouble, la mort côtoie aussi des naissances ou renaissances, des scènes de séparations et d'adieux pour un fiancé qui part à la guerre, pour une jeune fille qui quitte le cocon familial pour aller vivre dans sa belle-famille...
La belle poésie de ces minuscules récits s'accompagne du plaisir esthétique que procure la très belle édition de cette oeuvre publiée chez Albin Michel en 1999, dont la couverture de papier filigrané, d'un blanc pur, s'orne d'une délicate calligraphie du titre en idéogrammes japonais.
Challenge Multi-défis 2020
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Ils entrèrent chez un photographe. Le père du jeune homme, un haut fonctionnaire, était muté à un poste en terre lointaine. C'était une photo d'adieu.
- Veuillez vous mettre ici, l'un à côté de l'autre, dit le photographe en désignant un canapé.
Mais le jeune homme était incapable de s’asseoir à côté de la jeune fille. Il se mit debout derrière elle, et pour pouvoir penser que leurs deux corps étaient reliés quelque part, il effleura de ses doigts agrippant le canapé la veste de kimono portée par la jeune fille. C'était la première fois qu'il touchait son corps. Et la température diffuse qui se transmettait à ses doigts le fit penser à la chaleur qu'il ressentirait s'il l'étreignait nue.
Toute sa vie, chaque fois qu'il regarderait cette photo, il se souviendrait de la chaleur de son corps.
Le parapluie (1932)
Debout devant une fenêtre brouillée par la pluie, Ritsuko regardait, avec des yeux toujours aussi durs, les jeunes mariés se faire photographier. Elle serrait les lèvres. J'avais envie de lui adresser la parole, de demander à cette jeune fille qui, ayant survécu, se tenait debout là, si grande, si belle, si elle se souvenait de moi, si je lui revenais en mémoire, mais j'hésitai.
- Elle doit porter demain à la présentation une robe de mariée, alors... murmura à mon oreille le marchand de kimonos.
Montrez-moi votre âme en la posant sur la paume de ma main. Telle une boule de cristal. Et moi, je la dessinerai avec mes mots...
Quand l'enfant était passé, la grenade était cachée dans le feuillage, mais ce matin elle apparaissait en plein ciel.
Une impression si forte, si limpide, se dégageait de cette grenade et de cette terre encerclée de feuilles mortes... Kimiko sortit dans le jardin et fit tomber le fruit avec une perche en bambou.
La grenade était bien mûre. Kimiko la déposa sur la galerie extérieure ; elle s'était ouverte, comme si elle avait éclaté sous la pression des grains qui luisaient maintenant au soleil, translucides.
Kimiko se sentit désolée pour la grenade.
La grenade (1945)
Il y avait deux étangs dans cette vallée.
L'un, en bas, brillait comme empli d'argent fondu, l'autre, en haut d'un vert de mort, entraînait dans ses profondeurs l'ombre silencieuse des monts.
Extrait du livre audio "Les Belles Endormies" de Yasunari Kawabata lu par Dominique Sanda. Parution CD et numérique le 10 août 2022.
https://www.audiolib.fr/livre/les-belles-endormies-9791035404031/