Yolène Dilas-Rocherieux, qui a enseigné la sociologie à Nanterre, s'est intéressée à
l'utopie, peut-être à cause d'une origine ouvrière, aspirant à un autre monde. Son entrée tardive à l'Université et sa confrontation aux militants révolutionnaires des années 70, très éloignés de la condition prolétarienne qu'ils idéalisaient, lui ont donné le goût, devenue professeur, d'approfondir l'histoire des penseurs de la reconstruction sociale, en confrontant socialisme utopique et socialisme autoproclamé scientifique autour du mot et du concept du "communisme".
La recherche sur le mot, dont l'origine remonte au XIe siècle en France, se réfère plutôt à la notion de "commun", c'est à dire à un ensemble de droits d'usage sur les biens communaux. Ce n'est que plus tard, avec
Restif de la Bretonne que le mot renvoie à un mode de vie où tout est mis en commun, comme l'avait imaginé déjà
Platon, puis
Thomas More, avec son livre manifeste. A la fin du XVIIIe siècle, Babeuf et Buonarotti précisent le concept, qui fera fortune avec Engels, Marx et ses épigones.
L'auteur se demande si, aujourd'hui, le "communisme", dont l'incarnation partisane a périclité, ne peut pas se retrouver dans la dénonciation de l'enrichissement individuel, créateur des inégalités, et dans la redécouverte du vieux concept des "communs".
Sous le patronage du Code de la nature de Morelly, le lecteur est invité à revisiter les auteurs ayant construit le communisme primitif :
Montaigne, instruit par l'expérience de Villegagnon et
Jean de Lery, Locke, Rousseau,
Diderot, à la recherche de l'état de nature idéalisé avec le mythe du bon sauvage, qui suscitera en même temps la fascination, la compassion et le rejet.
Le voyage se poursuit vers des rivages moins riants. Au XIXe siècle le sauvage est marqué par la race. Gobineau,
Gustave le Bon et le très curieux Vacher de Lapouge défrichent un chemin glissant, qui s'avèrera funeste et fatal.
L'idée communiste est traquée dans des mouvement divers et moins connus, mais forts instructifs : Diggers -menés par
Gerrard Winstanley, et Levellers, plus libéraux, s'élèvent contre les enclosures de sinistre mémoire en Angleterre. Tandis que, dans les États allemands, Thomas Münzer avait mené l'insurrection des paysans jusqu'à leur massacre. Les Lollards avec Nicolas Hereford inventent un communisme exhumé des Évangiles, selon le modèle si séduisant des réductions du Paraguay.
Les expériences, toutes aussi infructueuses, se multiplient dans l'Amérique du XIXe siècle avec Owen, et les Icaries de Cabet. Plus politiques sont les théories de
Gracchus Babeuf, avec son Manifeste des plébéiens -1795- et son Manifeste des Égaux -1796-, écrit avec Sylvain Maréchal.
A la question prégnante "Que faire" du russe Nikolaï Tchernytchevski en 1863, reprise par un
Lénine admiratif en 1902, les penseurs vont se diviser entre les tenants de Marx, qui s'inspire de
Moses Hess dans son "Manifeste du parti communiste" de 1848 et les tenants du populaire Proudhon, plus proche des "communs" dans sa "Philosophie de la misère" de 1846.
Si l'on constate que jamais
l'utopie ne disparait vraiment des tablettes communistes, sa version moderne est plutôt à chercher dans le vieux concept remis au goût du jour de la notion de "commun". Non pas les "communs" d'avant les enclosures (utilisation des terres vaines, bois de chauffe, pâturages, sources, glanage, chasse...), mais les "communs" revisités aujourd'hui avec leur double caractère d'inaliénabilité et d'inappropriabilité des éléments nécessaires à la vie : air, eau, espaces naturels, forêts, mer et rivages. le concept peut même s'adjoindre celui de "care", avec l'accès gratuit à la santé, à l'éducation, au travail. Ces notions sont théorisées par
Elinor Ostrom. Elles doivent être distinguées des micro-pratiques locales (éco-fermes, monnaies locales, Amap, compost, engagements auprès des "sans"...), comme des théories globalisante de la collapsologie et de la survie, oscillant entre des vues aussi différentes que celle d'Alain de Benoist à celles de
Michel Onfray , passant de l'anarchisme au néoconservatisme.
Dans un monde qui se caractérise par la quasi disparition des partis qui portent le nom, sinon l'étendard, du communisme, se développe un éco-socialisme dont les variations sont multiples et divergentes (Negri et
Hardt, contre Laval et Dardot)
Le "commun" au singulier, loin des "communs" précapitalistes apparait comme un "faire ensemble", une co-activité ou une co-décision, dans une structure plutôt fédérale, sans extinction totale de la propriété, mais en lutte contre le droit d'abuser.
L'idée de la mise en commun, à la source du communisme est plutôt à chercher alors dans les expériences des micro sociétés utopiques, qui expérimentent, plutôt qu'elles ne théorisent, au risque des mêmes déconvenues.
Cet ouvrage, rédigé par une sociologue, intéressera tout autant les étudiants en droit et sciences politique, où la matière "'histoire des idées politiques" a été savamment illustrée par les pères fondateurs
Jean-Jacques Chevallier et
Jean Touchard. En moins de 200 pages,
Yolène Dilas-Rocherieux donne une vision claire, synthétique et actualisée de son sujet. Elle suscite aussi l'envie de lire les auteurs, ce qui est la meilleure chose à faire, pour l'étudiant comme pour le citoyen éclairé : ils découvriront que rien ne vaut le contact avec l'auteur et son oeuvre !
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