Un fesse-tival
Manara
A première vue, l'acquisition d'un pavé pareil peut sembler exagérée, mais ce beau bébé de 3,7kg offre ces 500 pages pour moins d'une cinquantaine d'Euro, ce qui au prix des albums aujourd'hui, est cadeau.
Il se divise en 2 parties :
- cinquante ans de bande dessinée : Premières oeuvres, La saga Bergman, Femmes des années 1980, Pratt, l'ami et le maître,
Fellini, le père spirituel, Les grandes fresques historiques, Une oeuvre à multiples facettes.
- cinquante ans d'illustration : au fil de l'actualité, Publicité(s), Autour du cinéma, Une passion pour l'art, une passion pour les arts, Pérégrinations italiennes, La femme, une inspiration infinie, Hommages à la bande dessinée, Projets perdus.
Le tout est complété par un intermezzo d'une vingtaine de pages, d'une biographie...
Les "Premières oeuvres" présentent le jeune
Manara avec ses premiers dessins de 1967, encore un peu maladroits, découvrant la bande-dessinée, oeuvrant dans les fumetti, avant de se lancer dans des récits plus longs, notamment avec "
Le Singe". Dès 70, le
Manara érotique est déjà là, le politique aussi (Un Fascio di Bombe). Plus inattendu, on découvre
Manara participer en 1977 à l'Histoire de France en bandes dessinées : le dessin est déjà accompli, ô combien. J'ai trouvé dommage que cette partie abrite également des dessins de couvertures réalisés à l'occasion de rééditions (exemple : celle du singe de 2018).
Avec "La saga Bergman", on arrive dès la fin des années 70, à cette oeuvre coup-de-poing, dont je garde encore le souvenir. Poussé par son ami Pratt,
Manara réalise d'emblée une oeuvre particulièrement ambitieuse qui, sous la forme d'un récit d'aventures, offre de multiples niveaux de lecture.
"Femmes des années 1980" représente le
Manara à succès, celui qui cartonne avec "
Le déclic", puis "Le Parfum de l'invisible « avec ces femmes toutes plus sexy les unes que les autres. Cet érotisme sublimé par un dessinateur au sommet de son art, présenté ici par de nombreuses couvertures pour différentes éditions et d'inédits (cf. un hommage inattendu à
Van Gogh !), va quand même phagocyter le travail de l'artiste durant cette période.
A tel point que quand « Pratt, l'ami et le maître » revient en dessins, notamment sur les 2 histoires qui furent le fruit de leur collaboration : « Un été indien » et « El Gaucho », on a l'impression de ne plus voir qu'un modèle de femme, yeux mi-clos, bouche langoureuse ouverte, lèvres humides.
«
Fellini, le père spirituel » présente une série d'illustrations pour les projets du cinéaste : affiches, portfolio, scénographies…sensiblement plus chastes. Même si l'illustration pour Casanova publiée par Glamour International ressemble surtout à une escalade sur le Mont de Vénus.
C'est avec « Les grandes fresques historiques » sans doute, que
Manara a su s'extirper de la délicieuse impasse érotique dans laquelle il aurait pu rester enfermé. Si le « Borgia » doit supporter les divagations de Jodorowsky, le Caravage est une vraie réussite.
A ce stade, au moment où on croit avoir tout vu, nous n'en sommes pourtant qu'à la page 196 ! …
La dernière partie « Une oeuvre à multiples facettes », mélange un peu toutes les époques et donnent un aperçu saisissant de la diversité du talent de
Manara. Des jeunes femmes dénudées bien sûr issues de «
Gulliveriana », «
le Piège »,
La Métamorphose de Lucius », «
Les yeux de Pandora », « Les contes libertins de Jean de la Fontaine »…
C'est fini ?
Eh non, voici l' « Intermezzo » et toute la deuxième partie !
Des histoires courtes, rares, tirées de magazines dont la plupart sont peu connus en France, des illustrations pour revues satiriques, pour des associations humanitaires, des publicités, des pochettes de disque, des hommages à Picasso, Klimt, Mucha, ou à d'autres dessinateurs de BD :
Bernet, Bourgeon, Crepax, Serpieri, Forrest, Miller, Frazetta, Giardino… Même Obélix a été croqué par
Manara (avec dans ses bras, une jeune femme en toge qui renvoie Falbala dans son habitatio).
Si on trouve de temps en temps un « intrus » :
Pier Paolo Pasolini, Mozart,
Woody Allen…on croise surtout des femmes, des femmes, des femmes !
A tel point qu'on est surpris de voir apparaitre un chapitre intitulé « La femme, une inspiration infinie » alors qu'on pensait en avoir fait le tour. Eh bien non, dès qu'il s'agit de « l'essence archétypale et emblématique du « style
Manara », quand il n'y en a plus, il y en a encore ! C'est d'ailleurs dans cette partie-là qu'on trouve « Rocca Pietore », l'illustration pour une vente caritative de 2018, qui a été retenue pour la couverture de cet ouvrage.
Il y a vraiment de tout, avec toutefois un trait commun : un talent graphique constant, hors-normes.
Au niveau des textes, c'est un peu court par contre. Un avant-propos riquiqui de l'éditeur
Jacques Glénat, une introduction guère plus fournie de Claudio Curcio qui nous confirme que si
Manara oscille entre Eros et Thanatos, c'est quand même le premier qui l'emporte.
L'ouvrage se termine par une biographie de l'auteur et une bibliographie (très intéressante).
Une somme iconographique unique pour un dessinateur qui ne l'est pas moins.