Les grandes vacances (Le pot de départ)

Cet anniversaire ne dérogea pas à la règle puisque j'eus droit à des vêtements qu'on me fit passer de force. La chemise et le pantalon étaient trop petits, j'avais pris du poids et on me fit promettre de commencer un régime avant ma retraite. Ma femme en profita pour ressortir son habituel "Quand je pense que tu mettais du L quand je t'ai connu ! Il faut du XXL maintenant... C'est à cause de l'apéro si tu es aussi gros !". Je reçus également un jeu de boules de pétanque ("pour la retraite pépé, comme ça tu t'ennuieras pas") et des livres de coaching. Des livres de coaching pour vieux. J'en restai sans voix : ma famille n'avait rien trouvé de mieux que de m'offrir des livres de bien-être, aux titres aussi cruels que "Préparer sa retraite en douceur", "Le sport pour les seniors", "Il y a une vie après soixante ans" et "Retraités, cultivez l'art de ne rien faire !".

Faites le test.
Il est très difficile d'établir un bilan honnête et objectif de son existence. Cela demande du courage que d'affronter ses rêves avortés. On prend le risque de haïr l'homme que l'on est devenu. Et de finir sa vie aigri.

Les participants se dévisageaient, comptant les kilos en trop, moquant les moumoutes mal fixées, raillant les liftings ratés. Chateaubriand avait raison, la vieillesse est un naufrage.

Je m'appelle Jean-Michel et je pars à la retraite dans une heure, vingt-deux minutes et onze secondes.
Dans une heure, vingt-deux minutes et neuf secondes, je mettrai un terme définitif à ma vie active.
Dans une heure, vingt-deux minutes et sept secondes, je ferai le grand saut dans l’inconnu.
Vers cette petite mort qu'on appelle la retraite.

Je compris à ce moment précis que la retraite allait tout changer pour moi. Je ne serais plus jamais le même dans le regard des autres. J'allais passer de l'être au néant, des journées bien remplies au vide intersidéral. 
Je pris peur.