Avoir conscience, c'est se penser ; mais penser, c'est résister, examiner, douter, gouverner. Qu'est-ce que s'éveiller, sinon refuser de croire. Et dès que la coutume me reprend, je dors. Dès que je suis d'accord avec moi-même, je dors. Être pour soi, c'est n'être pas content de soi, dire non à soi, à ses désirs, à sa colère, à ses pensées. La conscience coïncide ainsi avec l'exercice actif et résolu du jugement, de l'examen. Il n'y a pas de conscience paisible.
L'homme est partout le même. En lisant, je suis russe, je suis terroriste, je suis Duhamel, je suis Tzar, je suis chef de police. En lisant Homère, si loin de moi, le sacrifice des boeufs, la corne dorée, le geste retenu, l'appétit suspendu, Diomède et Glaucos, la Trêve, l'hospitalité, cela parle fort à moi, à nous.
Toutes les fois que l'on m'annonce un homme étrange, je le reconnais,
mon semblable.
On voit que retrouvant une idée universelle, je ne prend nullement la Conscience Morale comme principe d'obéissance, mais au contraire de résistance (résistance qui fera l'accord vrai), non comme principe d'esclavage, mais au contraire de liberté, mais toujours revenant sur soi. Ne nous emportons pas. Pilate lui-même, que sais-je de lui ?
"Alain et le bonheur" par André Maurois. Première diffusion le 13/09/1954 sur la Chaîne Nationale. La mauvaise humeur est une maladie, il ne faut jamais parler de ses malheurs, de ses malaises moraux, il ne faut jamais se plaindre…et, certes, il y a un héroïsme à bâtir son bonheur ! André Maurois parlait en 1954 de celui qui avait été son professeur de khâgne au lycée Henri IV, à Paris : le philosophe Alain.
Source : France Culture