Le livre d'Attac permet d'aborder à la fois « l'individualisme atomisant et concurrentiel du capitalisme » et « une autre vision, plus polyphonique, de l'individualité ».
Un point préalable. Mes références théoriques sont, pour partie, différentes de celles utilisées ici ( la bibliographie sélective en fin de volume me le confirme). Sans entrer dans une dispute, je voudrais souligner des désaccords ”probables” sur l'analyse du capitalisme, (système dont les conditions de production/reproduction sont dominés par une logique d'ensemble, ce qui ne signifie ni une totalité, ni une fermeture ni une stabilité) et sur l'individu moderne libre abstraitement égal de nos cultures occidentales.
Sur ce point et ses conséquences en terme d'analyse des phénomènes d'individualisation, je renvoie aux intervention d'
Antoine Artous dans le livre écrit avec
Philippe Corcuff (Nouveaux défis pour la gauche radicale. Émancipation et individualité, Editions le bord de l'eau, Latresne, 2004).
Ceci évoqué, cet ouvrage composé de cinq articles, permet à la fois des angles d'analyses différenciés, le large balayage des notions d'individu (toujours historiquement et relationnellement situé), d'individualisme, de droits sociaux de la personne, des rapports entre l'individuel et le collectif, des contradictions du procès d'individualisation sous le capitalisme néolibéral.
Si la mondialisation capitaliste accélère la concurrence et l'atomisation des individus, dans le travail et dans la vie quotidienne, l'écart entre les injonctions ou les prescriptions et le réellement existant engendre des solidarités, des résistances, des éléments irréductibles à cet ”individu égoïste” décrit ou espéré par les tenant du tout marché.
A la naturalisation de l'individu, à la réduction sociologique ”classique” « implicitement européen, mâle, blanc et protestant », les auteur-e-s opposent la construction (sociale) de l'humain-individu, les effets des dominations, les rapports entre l'un, l'autre et les autres.
Aux visions étriquées, oubliant que les collectifs sont toujours composés d'actrices et d'acteurs, pensant et agissant, que les humains ”se fabriquent” en relation aux autres, le livre avance des pistes permettant, sans nier les tensions, de réajuster/réévaluer la place du collectif ne se substituant pas aux singularités dans les procès d'émancipation. Ce qui permet de s'opposer au capitalisme et à ses discours assenant en permanence « la liberté de choix » gommant l'exploitation, les dominations, les hiérarchies réelles, etc.
Philippe Corcuff parle d'« émancipation altermondialiste dans l'articulation et les tensions entre biens communs et singularités individuelles ».
Dans « Comment le caractère contradictoire de l'individualisme se décline-t-il spécifiquement à propos de la questions des femmes ? »
Stéphanie Treillet et Jacqueline Pénit-Soria analysent, entre autres, les constructions institutionnelles des ”droits dérivés” des femmes, en particulier la place du mariage, de l'école des premiers âges ou de la fiscalité. Il est assez rare de voir souligner que « le quotient familial et la déclaration conjointe obligatoire pour les couples mariés constituent une quasi-exception parmi les pays industrialisés, avec tous les effets induits en matière de conception de l'emploi des femmes comme emploi d'appoint. » Dans leurs revendications de réforme fiscale, les courants émancipateurs oublient trop souvent la fiscalité uni-personnelle.
Par ailleurs, ces auteures nous mettent en garde « nous considérons qu'une pensée de l'émancipation serait tronquée si elle prenait exclusivement en compte la revendication du ‘‘libre choix”, sans intégrer les profonds effets des oppressions sur le individus. » Constat lucide mais qui, par ailleurs, n'offre pas de piste pour solutionner les débats sur ce sujet.
Il resterait tout un travail de confrontation avec d'autres compréhensions, issues d'autres cultures, de la notion ”individu”. S'orienter « vers une approche alter-mondialiste de l'individu » impliquera, tout en gardant le cap vers un universel souhaitable, de les prendre en compte, y compris dans leurs aspects, plausiblement en tension, complémentaires ou contradictoires.
Et puis, ce n'est pas qu'une question de sémantique, écrire en permanence individu-e.
Ce livre soulève de multiples débats. L'existence d'un Groupe « Individualisme contemporain » devrait permettre l'élaboration d'analyses convergentes mais dissemblables. Un utile outil, au delà des désaccords, pour dialoguer et construire ensemble des politiques d'émancipation à vocation majoritaire (et concernant potentiellement toutes et tous les individu-e-s).
En complément décalé, j'invite à lire le très beau texte d'Alain Rebours : du désir comme un engagement commun (Omos : Désir individuel Conscience collective, Syllepse, Paris 2010).