La porte ouverte du wagon de marchandises laisse apparaître une montagne de ... ? charbon ? Pierres ? A première vue, on n'identifie pas de quoi il s'agit. Un liquide en coule et quelques uns de ces objets sont encore colorés. Un phylactère : « Hhh... Quelle odeur. »
C'est ainsi que commence le roman graphique de
Thomas Azuelos. Il nous ramène en 1939 à Cerbère, une ville frontalière entre l'Espagne et la France.
Une grande vignette en plongée survole le réseau ferroviaire. L'écartement des rails n'est pas le même dans les deux pays. de sorte que les trains qui apportent des fruits d'Espagne s'arrêtent là. Ce sont les « orangères » qui sont chargées de les transborder vers des convois français.
En mars 1939, c'est la « retirada », l'exode des républicains espagnols poursuivis par les troupes franquistes. La ville est bombardée, les activités à l'arrêt. Ainsi s'explique cette énigmatique première planche. le wagon est rempli d'oranges pourries.
Ce climat délétère et étrange de fin du monde, on le retrouve tout au long de cette histoire dans laquelle on croise des tas de personnages tous plus bizarres les uns que les autres : parmi les orangères révoltées, il y a Montse, la rebelle, la vieille Mousseigne, qui ne parle guère, mais n'en pense pas moins. Un peintre qui a l'air fou. Il compose une gigantesque fresque et représente des cadavres nus qu'il trouve sur le bord de la route. Il est amoureux de la belle Montse. Un cuisinier qui est arrivé blessé avec une colonne de réfugiés. Et bien d'autres qui se croisent dans un grand hôtel abandonné sur les hauteurs de la ville.
Les dessins sont très agressifs : gros plans sur des yeux déments, cernés, couleurs très sombres : noir, gris, verdâtre, un peu de jaune. le climat est malsain : mouches, rats, dépouilles, l'orage et les éclairs effrayants et surtout l'hôtel, qui ressemble à un navire échoué sur la colline. On dirait que tout le monde s'est donné rendez-vous à cet endroit. le cuisinier blessé s'y établit. Il nettoie l'office rempli de détritus en putréfaction, il va pêcher et prépare de la nourriture. Il accueille un blessé, un juif allemand qui protège le traité philosophique qu'il a écrit et prend bien trop de morphine. Il se sent rejeté et poursuivi par tous les camps. Des Russes sont à sa recherche, des révolutionnaires espagnols attendent un passeur et des armes. En fait, ce lieu qui paraît abandonné grouille de monde. Il s'oppose à une sorte de buisson, comme une fleur gigantesque, au coeur duquel Montse retrouve le peintre qui veut, avec son portrait, représenter «
toute la beauté du monde ».
Il est vrai que cet album est très esthétique, mais il ne m'a pas plu. J'ai d'abord eu l'impression de ne rien comprendre et de me perdre dans un imbroglio politique. J'ai dû entamer des recherches sur cette ville que je ne connaissais pas, mais qui existe bel et bien, ce qui m'a permis de constater à quel point
Thomas Azuelos avait respecté la réalité des lieux, en particulier de cet improbable hôtel, qui domine toujours la région.
Je savais qu'il y avait eu des différences d'écartement de rails entre différents pays, ce qui causait d'énormes problèmes, puisqu'il fallait changer de convoi à la frontière. Mon père, cheminot passionné, nous en avait parlé. Mais je ne connaissais pas cet épisode qui suit la guerre d'Espagne.
J'ai trouvé l'histoire trop confuse, trop sombre, avec des personnages torturés et des traits menaçants. L'atmosphère est tendue, électrique à l'image des éclairs qui cernent le bâtiment. On se croirait plongé en pleine apocalypse. Bref, malgré ses indéniables qualités, ce n'était pas un album pour moi.