![]() |
Résolument autobiographique, ce texte, scindé en une foule de mini-chapitres ou alors de stances - mais des stances en prose - met un point final à la liaison impossible que Barbey entretint dans sa jeunesse normande avec sa cousine Louise. Les familles, dans leur ensemble, étaient contre l'idée de tout mariage entre ce garçon qui n'avait pas encore une vision bien nette de ce qu'il allait faire dans la vie et cette fille sage, promise dès la naissance à un avenir aussi paisible que bourgeois. Les jeunes gens semblent pourtant avoir osé aller plus loin que l'amour platonique et on prétend même que, alors que Barbey vivait à Caen, Louise se cachait pour se rendre chez lui. Vérité ou fantasme, la fin de l'intrigue fut douloureuse : Louise se maria bien sagement et Jules se retira dans son coin, léchant ses plaies et rêvant de gloire littéraire. Si la première ne fut pas, en définitive, si perturbée qu'on eût pu s'y attendre, le second, en revanche, ne s'en remit jamais tout à fait. Pour cette incarnation-ci du dandy, l'écrivain, aveuglé par la jeunesse et probablement par ses goûts naturels - il est vrai que, quand on vous baptise Jules-Amédée, on doit se sentir marqué pour la vie - s'est choisi le fabuleux alias d'Aloys de Synarose - non, ce n'est pas une défaillance de votre ordinateur et inutile de prendre rendez-vous chez un ophtalmologue, c'est bien le nom du héros. Louise, pour sa part, s'est muée en une Joséphine assez bêtasse et cependant assez finaude quand ses intérêts sont en jeu, très coquette bien sûr et, pour couronner le tout, ardente admiratrice de Mme de Staël. Dans les parages, attendant l'heure de Vénus, rôde le futur époux en titre, un certain Baudoin d'Artinel, dont la silhouette bedonnante et le crâne semi-chauve n'ont rien de bien romantiques. Fort heureusement, au contraire d'Aloys, ce monsieur a des rentes. S'ouvre alors un petit ballet, fait de déclarations passionnées et de piques tout aussi furieuses entre Joséphine et Aloys tandis que, en coulisses, Baudoin se répète que cette jeune Joséphine est vraiment bien mignonne - de plus, côté héritage, elle a des espérances. Et ce qui devait arriver arrive : Louise finit par se ranger à l'opinion de sa famille et elle choisit d'Artinel. Barbey se livrant ici à un règlement de comptes dans les formes les plus cruelles, l'héroïne va jusqu'à attirer d'Artinel dans sa chambre en le faisant passer par le balcon : c'est un peu Roméo et Juliette avec la rouerie de Joséphine et les rhumatismes du pauvre Baudoin en plus. Qui pis est, Aloys, tapi dans l'ombre, ne perd rien de l'incroyable ascension de son heureux rival. Heureux, jusqu'à quand ? ... Car avec une épouse si avisée ... Oeuvre un peu biscornue, oeuvre que, à sa parution en feuilleton, dévora, dit-on, la bonne société de Caen, pressée de mettre des noms de scandale sur tel ou tel personnage "à clef", "La Bague d'Annibal" est elle aussi un bien joli exercice littéraire, au ton plaisant et caustique, avec une pointe de ténèbres byroniens qui risque de ne guère toucher le lecteur français. A lire. Mais seulement quand vous en aurez le temps. ;o) + Lire la suite |
Jules Barbey d’Aurevilly 4/4 : Une lecture historienne de Barbey (France Culture / La compagnie des auteurs). Photographie de Jules Barbey d'Aurevilly vers 1860 • Crédits : Photo by Hulton Archive/Getty Images - Getty. Une émission produite par Matthieu Garrigou-Lagrange et réalisée par Laurence Millet. Diffusion sur France Culture le 18 avril 2019. “La vengeance d'une femme”, l'une des “Diaboliques” de Barbey, fait l'objet d'une lecture historienne qui nous apprend sur les pratiques de lecture et les usages sociaux de l'auteur et de la société de son époque. Judith Lyon-Caen, directrice d'études et maître de conférences à l'EHESS, spécialiste des liens entre littérature et histoire, éditrice des “Romans” de Barbey dans la collection “Quarto” en 2013, a fait paraître chez Gallimard en 2019, “La griffe du temps. Ce que l'histoire peut dire de la littérature”. Elle s'intéresse en particulier à une nouvelle issue des “Diaboliques” de Barbey : “La vengeance d'une femme”.
Dans cette nouvelle, qui raconte l'histoire de la femme d'un grand d'Espagne qui veut se venger après la terrible mort de son amant sous ses yeux, les couleurs tirent vers le rouge, l'ocre, le jaune. Notre invitée entend montrer “ce que l'histoire peut dire de la littérature”, en soulignant que le texte de Barbey offre un fin feuilletage temporel, et dit quelque chose d'un passé qui parvient jusqu'à nous. Ce passé, c'est celui des pratiques sociales et des usages en vigueur à l'époque de Barbey, notamment en ce qui concerne l'histoire de la prostitution. On assiste à la création d'un topos littéraire, depuis “La Fille aux yeux d'or” de Balzac, présente en creux dans le texte aurevillien, jusqu'à la “Nana” de Zola. La complexité de la temporalité à l’œuvre chez Barbey se cristallise dans l'image d'un mystérieux bronze ancien, qui rappelle également l'histoire des images licencieuses...
Il faut aussi garder en tête le vers baudelairien, qui nous dit dans le poème “Le Cygne”, au détour d'une promenade parisienne, que :
« Le vieux Paris n'est plus (la forme d'une ville
Change plus vite, hélas ! que le cœur d'un mortel) »
La géographie parisienne porte l'empreinte silencieuse, le coup de “griffe” des grands travaux haussmanniens et la construction en creux d'une mémoire. À travers “La vengeance d'une femme”, l'on perçoit ainsi la construction d'une écriture romanesque lue au prisme des bouleversements historiques que connaît Barbey lui-même.
Jacques Bonnaffé termine cette semaine par un écho à Du Bellay, avec le recueil “Sans adresse” de Pierre Vinclair, qui propose des sonnets autour de l'exil du poète.
MUSIQUE GÉNÉRIQUE : “Panama”, de The Avener (Capitol) fin : “Dwaal”, de Holy Stays (Something in Construction)
MUSIQUE CHRONIQUE : “Self portrait” de Chilly Gonzales (Gentle threat)
Source : France Culture