AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782081482852
305 pages
Flammarion (02/01/2019)
4.17/5   12 notes
Résumé :
1er janvier 1994. Dans le Sud du Mexique surgit un mouvement politique absolument neuf. Autour de son porte-parole, le sous-commandant Marcos, émerge une ample dynamique sociale, forte de décennies de luttes menées par les paysans indiens du Chiapas.
La rébellion zapatiste, prenant ses distances à l ’égard des doctrines de Lénine ou de Che Guevara, ouvre la voie à une autre pensée révolutionnaire. Son but n’est pas de prendre le pouvoir, mais de construire un... >Voir plus
Que lire après La rébellion zapatiste : Insurrection indienne et résistance planétaireVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Pour déjouer la logique médiatique qui réduit les réalités sociales et les rend incompréhensibles en concentrant les projecteurs sur un fait individuel, « ruse du spectacle ambiant qui s'efforce de neutraliser ses ennemis en les façonnant à son image », Jérôme Baschet entreprend avec cet ouvrage moins de revenir sur l'histoire du mouvement zapatiste depuis 1994 que de cerner la contribution de celui-ci à la « reconstruction d'une réflexion et d'une pratique critiques, à la fois radicales et rénovées » : 1994 représente un « anti-1989 », une dénonciation du mensonge de « la fin de l'histoire auto-proclamée au profit du capitalisme triomphant », obligeant celle-ci à « reprendre sa marche ».
(...)
Loin de se contenter de la superficialité d'une imagerie folklorique habituellement médiatisée, Jérôme Baschet dissèque minutieusement les discours pour comprendre dans toute sa complexité la pensée zapatiste, dans son « dépassement des oppositions classiques, à travers l'affirmation d'appartenances emboîtées et articulées entre elles ». Cet ouvrage est certainement le plus complet et le plus intéressant existant sur le zapatisme. Il propose l'analyse la plus approfondie sur un mouvement qui ne peut que continuer à être une source d'inspiration.


Article complet sur le blog.
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
Commenter  J’apprécie          251
Vers une révolution européenne : Inspirations zapatistes pour le changement social et politique

« La rébellion zapatiste – Insurrection indienne et résistance planétaire » de Jérôme Baschet, édité par Flammarion en 2019, présente une analyse approfondie de l'expérience zapatiste au Chiapas, au Mexique, et explore son impact sur les mouvements de résistance à l'échelle mondiale.

Baschet, historien et chercheur de renom, offre une perspective unique sur la rébellion zapatiste en mettant en lumière ses racines historiques, sa philosophie politique et sa portée mondiale. Il contextualise habilement l'émergence du mouvement dans le Chiapas, en soulignant les injustices sociales et économiques qui ont alimenté la révolte des communautés indigènes contre le gouvernement mexicain.

L'auteur décrit de manière vivante les premiers jours de l'insurrection en 1994, marqués par l'occupation de plusieurs villes du Chiapas par les forces zapatistes et leur déclaration de guerre contre le gouvernement. Il explore également la façon dont le mouvement zapatiste a évolué au fil du temps, passant de la lutte armée à une stratégie plus axée sur la construction d'autonomie et la résistance pacifique.

Baschet offre en effet un regard éclairant sur la genèse, l'évolution et les implications de cette rébellion, ouvrant la voie à une réflexion sur son applicabilité potentielle dans d'autres contextes, notamment en France et en Europe. Cependant il n'omet pas d'explorer les défis et les dilemmes auxquels le mouvement zapatiste est confronté à mesure qu'il s'efforce de concilier ses idéaux révolutionnaires avec les réalités politiques et économiques contemporaines.

L'expérience zapatiste offre plusieurs leçons précieuses pour le développement d'un processus révolutionnaire en France et en Europe. Tout d'abord, le mouvement zapatiste a démontré la possibilité de construire des alternatives au sein même du système dominant. En mettant en oeuvre des pratiques d'autonomie locale, de démocratie directe et de solidarité communautaire, les zapatistes ont créé des espaces où les structures étatiques et capitalistes sont contournées, offrant ainsi un exemple inspirant pour les mouvements révolutionnaires en Europe.

Deuxièmement, l'approche du mouvement zapatiste en matière de diversité et d'inclusion est instructive. Les zapatistes ont su unir différents groupes ethniques, cultures et sexes dans leur lutte, créant ainsi une force collective diversifiée et solide. Cette approche pourrait être adaptée en Europe pour construire des coalitions larges et inclusives capables de mobiliser un large soutien populaire en faveur du changement révolutionnaire.

Enfin, l'engagement des zapatistes envers la résistance pacifique et la construction d'alternatives concrètes offre des pistes pour les stratégies et les tactiques révolutionnaires en Europe. Plutôt que de se concentrer uniquement sur la confrontation violente, les zapatistes ont privilégié la construction de nouvelles formes de vie sociale, économique et politique au sein de leurs communautés. Ce modèle pourrait inspirer les mouvements révolutionnaires en Europe à adopter une approche plus holistique, axée sur la construction de contre-pouvoirs locaux et la création d'alternatives concrètes au capitalisme.

En tenant compte de ces leçons, les stratégies et tactiques révolutionnaires adaptées au renversement du système capitaliste en Europe pourraient inclure :
1. La construction de réseaux de solidarité et d'organisation communautaire à l'échelle locale, capable de fournir des services essentiels et de répondre aux besoins fondamentaux des populations marginalisées.

2. La création d'alliances larges et inclusives entre différents groupes sociaux, culturels et politiques, afin de mobiliser un soutien populaire massif en faveur du changement révolutionnaire.

3. L'adoption de tactiques de désobéissance civile et de résistance non violente pour perturber les structures de pouvoir capitalistes et mettre en évidence les injustices du système.

4. La promotion d'alternatives économiques et politiques concrètes, telles que les coopératives de travailleurs, les jardins communautaires et les systèmes de démocratie directe, pour démontrer la viabilité et la faisabilité d'un changement radical.

En conclusion, « La rébellion zapatiste » offre une source précieuse d'inspiration et de réflexion pour les mouvements révolutionnaires en France et en Europe. En tirant des enseignements de l'expérience zapatiste, il est possible de développer des stratégies et des tactiques révolutionnaires adaptées au contexte européen, capables de défier efficacement le système capitaliste et de construire des alternatives viables et durables.
Lien : https://bascules.blog/2024/0..
Commenter  J’apprécie          00
Se référant au passé mythique du fameux héros de la révolte des paysans indiens du Chiapas dont il prit la tête en 1911, une nouvelle rébellion se fit jour en 1994 dans le sud du pays. C'est de l'histoire récente et ce livre est précieux pour les mises au point et précisions qu'il apporte.

Jérôme Baschet, maître de conférence à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, enseigne aussi à San Cristóbal de Las Casas, au Chiapas. Il rappelle bien entendu ces révoltes qui ont secoué le sud du pays 70 ou 80 ans auparavant, révoltes que décrit si bien B. Traven dans La révolte des pendus.

Quelques années avant la fin du siècle dernier, nous retrouvons donc le sous-commandant Marcos et la création de l'Ezln (Ejército zapatisto de liberación nacional). Cet ejército, cette armée, est destinée en fait à la guérilla. Elle s'inspire des mouvements sud-américains qui l'ont précédé : le Front sandiniste au Nicaragua et le Front Sarabundo Martí de libération nationale du Salvador. le lancement de la rébellion, en 1994, a été précédé d'une période d'incubation de quelques années. Elle est motivée par l'extrême pauvreté des indigènes privés des terres qui leur ont été arrachées et leur volonté d'être associés à l'organisation de leur État qui possède des ressources naturelles : du pétrole, du bois, des mines et des terres fertiles.

Une organisation politique, le Fzln (Front zapatiste de libération nationale) est venu compléter l'action des révolutionnaires qui ne font pas de la prise du pouvoir leur but ultime. L'auteur étudie ainsi en détails le cheminement de la pensée de ceux qui se réfèrent à l'histoire du mouvement initié par Émiliano Zapata.

Une postface, écrite en 2005, complète et actualise cet ouvrage qui permet de comprendre que rien n'est définitivement réglé, là-bas, au Chiapas.
Commenter  J’apprécie          80
Ce numéro 9 de la revueSolidarires internationale, édité conjointement par l'Union syndicale Solidaires et le CEFI (Centre d'Étude et de Formation Interprofessionnelle Solidaires), propose un dossier sur : Mexique, Chiapas et Zapatistes

Chaque chapitre est téléchargeable au format PDF sur le site de Solidaires International : http://orta.pagesperso-orange.fr/solidint/revues/revue-9.htm

Il s'agit d'un ensemble remarquable, tant sur l'histoire du Mexique – une courte « contre-histoire » du point de vue de l'émancipation -, que sur le Chiapas et le mouvement des zapatistes.

J'ai notamment apprécié dans la première partie, les analyses des codes du travail et des organisations syndicales.

Je souligne aussi l'intérêt du second chapitre sur les femme. Les auteur-e-s traitent du mouvement féministe, de la pénalisation de l'avortement, des féminicides, des violences masculines, des femmes indigènes, de la loi révolutionnaire et de des rapports à la « tradition ». le titre de cette note est extraite de ce chapitre.

Loi Révolutionnaire des Femmes Zapatistes

1. Les femmes ont le droit de participer à la lutte révolutionnaire en tout lieu et à tout niveau de responsabilité déterminé par leur volonté et leur compétence, sans distinction de race, de religion ou d'appartenance politique.

2. Les femmes ont le droit de travailler et de percevoir un juste salaire.

3. Les femmes ont le droit de choisir le nombre d'enfants qu'elles désirent et souhaitent élever.

4. Les femmes ont le droit de participer pleinement à la vie de la communauté et d'y exercer des charges lorsqu'elles sont élues librement et démocratiquement.

5. Les femmes et leurs enfants ont droit à la satisfaction de leurs besoins, principalement dans les domaines de l'alimentation et de la santé.

6. Les femmes ont le droit à l'éducation.

7. Les femmes ont le droit de choisir leur conjoint et de ne pas avoir à contracter un mariage par la force.

8. Aucune femme ne pourra être battue ou physiquement maltraitée, ni par un proche, ni par un étranger. Les viols et tentatives de viols seront sévèrement punis.

9. Les femmes pourront occuper des charges de direction dans l'organisation et accéder à tous les grades des forces armées révolutionnaires.

10. Les femmes bénéficieront de tous les droits et seront soumises à toutes les obligations définis par les lois et les règlements révolutionnaires.

Un chapitre est consacré au zapatisme, à son histoire. Je souligne l'intérêt des parties sur le « Congrès National Indigène (CNI) », les déclarations de la Forêt Lacandone et notamment la Sixième, sur « La construction de l'autonomie », dont faire de la politique autrement, la santé, l'éducation, la communication, le travail collectif et les coopératives, les luttes, l'« offensive contre- insurrectionnelle multiforme », sur le fonctionnement du mouvement…

Les sept principes de bon gouvernement

• Obedecer y no mandar (Obéir et ne pas commander)

• Representar y no suplantar (représenter et non supplanter)

• Bajar y no subir (partir d'en bas et non d'en haut/ne pas chercher à s'élever)

• Servir y no servirse (servir et non se servir)

• Convencer y no vencer (convaincre et non vaincre)

• Proponer y no imponer (proposer et non imposer)

• Construir y no destruir (construire et non détruire)

Je souligne aussi le chapitre sur un « vie digne », le concept de « Lekil Kuxlejal », les deux conceptions du territoire, la « Escuelita zapatiste », la place de l'agro-écologie…

« Parler de «communauté», de « collectif », ce n'est pas renvoyer à une identité essentialisée (indigène, maya, autre…), mais à la solidarité rendue nécessaire par des conditions concrètes de vie et le désir d'habiter au mieux la Terre, au Mexique et ailleurs. C'est se donner les chances de tenir à distance le bulldozer capitaliste et ses « quatre roues » qui sont, pour les zapatistes, la spoliation, la répression, l'exploitation, la discrimination ».

Très richement illustré, ce numéro tant par ses choix éditoriaux, que par ses analyses ou par les documents mis à disposition, mérite une lecture attentive et une large diffusion. Une leçon de solidarité pratique…

Sommaire
1. Chapitre 1. Historique – contexte politique et syndical mexicain
De l'Amérique pré-hispanique à la colonisation
De l'indépendance à la dictature de Porfirio Díaz (1810-1876)
Le porfiriat (1876-1910)
Les frères Flores Magón, le Parti Libéral Mexicain et les prémices de la Révolution mexicaine
La Revolución mexicana (1910-1920)
Les années 1920 : la guerre des Cristeros et la naissance du parti unique
De la présidence de Lázaro Cárdenas (1934-1940) aux années 1960
Les années 1968-1993 : de la guerre sale au soulèvement zapatiste
Les années 1994-2000
Les années 2000-2013
Codes du travail au Mexique : l'ancien et le nouveau
Les syndicats au Mexique
Le CAT – Centre d'Appui aux Travailleurs-euses
2. Femmes
Femmes, mouvement féministe et droits pour la diversité sexuelle et de genre au Mexique
Femmes indigènes, loi révolutionnaire et rapport à la tradition
3. Zapatisme
Chronologie de l'Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN)
Le CNI Congrès National Indigène
De la Première à la Sixième Déclaration de la Forêt Lacandone 1994-2012
La construction de l'autonomie
Le Mouvement Zapatiste comme alternative concrète de fonctionnement démocratique et autonome : les sept principes de « commander en obéissant »
Le concept de Lekil Kuxlejal ou « vie digne » dans la pensée des indigènes du Mexique
Terre et territoire
De « l'Autre Campagne » à la Sexta. Un processus d'élargissement de la lutte zapatiste : pour l'autonomie et contre le capitalisme
Le café, un enjeu important pour la construction de l'autonomie zapatiste
La Escuelita zapatiste : « Une “Petite école” si grande qu'elle englobe le monde entier…»
4. Luttes autour des zapatistes
Nos Prisonniers-ères Libérons-les tou-tes !
Témoignage : Un lieu appelé « centro de readaptación »
Paroles de la chanson d'Alfredo
Bats'il Kop : cheminer en interrogeant le Chiapas à rebrousse-poil
Bats'il Kop : cheminer en interrogeant le Chiapas à rebrousse-poil
Le centre des droits humains Frayba soutient les défenseur-es des droits indigènes
Visite du CIDECI, San Cristóbal de Las Casas
Epilogue. les prochains pas des zapatistes
Bibliographie et liens internet
Glossaire
Annexes
Lien : https://entreleslignesentrel..
Commenter  J’apprécie          00
Puissamment réactualisé en 2019, le texte décisif qui nous explique le mieux le lien vital entre insurrection indienne et résistance planétaire.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/08/31/note-de-lecture-la-rebellion-zapatiste-jerome-baschet/

Jérôme Baschet est sans doute pour moi l'un des plus intéressants théoriciens concrets de notre époque (je vous parlerai prochainement de son « Basculements » de 2021 pour tenter de vous en convaincre encore davantage). Historien de formation (il publie sa thèse sur « Les représentations de l'Enfer en France et en Italie, XIIe-XVe siècles », conduite sous la direction du grand Jacques le Goff, en 1993), spécialiste internationalement reconnu de l'image en tant que représentation structurante des sociétés depuis l'Occident médiéval, il enseigne aussi à l'Université Autonome du Chiapas (UNACH) depuis 1997, et s'est très tôt intéressé de très près à l'expérience zapatiste. Cet ouvrage publié chez Denoël en 2002 puis chez Champs Flammarion en 2005, très largement revu en 2019 comme indiqué ci-dessus, est une contribution décisive à une compréhension de cette rébellion décidément pas comme les autres, et si importante, aujourd'hui plus que jamais, par les pistes essentielles qu'elle permet discrètement d'ouvrir.

En s'installant rapidement bien au-delà de la source d'inspiration immédiate (mise en scène avec tant de drôlerie songeuse, encore tout récemment, par le Julien Villa de « Rodez-Mexico », par exemple) que constitue le néo-zapatisme, l'ouvrage de Jérôme Baschet, surtout dans cette nouvelle édition qui bénéficie des atouts cruciaux de la durée et du recul, est sans doute l'ouvrage accessible le plus important consacré à la rébellion du Chiapas et à son importance pour toutes les luttes contemporaines. Mieux encore que le précieux « Marcos. La dignité rebelle » (2001) d'Ignacio Ramonet ou même que le travail collectif conduit par John Holloway, « Néozapatisme – Échos et traces des révoltes indigènes » (2012), en phase parfaite avec des textes originaux aussi mémorables que le « Don Durito de la forêt Lacandone » du sous-commandant Marcos, il nous offre une vision largement systémique de ce qui se joue là, rejoignant la belle intuition du Manuel Vázquez Montalban de « Marcos, le maître des miroirs » (1999) et son propre sous-titre : il y a un lien fort, vital et intelligent entre l'insurrection indienne et la résistance planétaire face à ce qui nous broie.
Lien : https://charybde2.wordpress...
Commenter  J’apprécie          40

Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
La dénonciation des travers de l’hégémonisme, y compris au sein des organisations supposément vouées à la recherche de l’émancipation, est ici particulièrement virulente. Il convient donc au contraire d’oeuvrer à préserver l’hétérogénéité, de s’organiser à partir de différences se reconnaissant et se respectant comme telles, sans s’enfermer pour autant dans une pure atomisation (ce pourquoi le sous-commandant Marcos invite les « dignes rages » à se faire collectifs, bandes, groupes, ou tout autre terme qui siéra à qui veut relever le défi de passer du « je suis différent » au « nous sommes différents »). Surtout, les différences doivent être reconnues comme une force : « On ne vainc pas le Commandeur avec une seule pensée, une seule force, une seule direction (aussi révolutionnaire, conséquente, radicale, ingénieuse, nombreuse, puissante et autre qu’elle soit). La diversité et la différence ne sont pas une faiblesse pour l’en bas, mais une force pour enfanter, sur les cendres de l’ancien, le monde nouveau que nous désirons, dont nous avons besoin et que nous méritons (…) Dans notre rêve, ce monde n’est pas un, mais nombreux, différents, divers. Et c’est dans sa diversité que se trouve sa richesse » (Eux et nous). Et de même, lors du Festival mondial de la digne rage : « Nous voulons vous dire, vous demander de ne pas faire de notre force une faiblesse. Être si nombreux et si différents nous permettra de survivre à la catastrophe et de construire quelque chose de nouveau. Nous voulons vous dire, vous demander que ce quelque chose de nouveau soit aussi différent » (Saisons de la digne rage).
Il faut cependant admettre que construire dans la multiplicité est un exercice bien plus ardu que l’alignement sur une position ou une figure unique. De plus, la valorisation de l’hétérogénéité resterait un mot d’ordre creux si n’était prise à bras-le-corps la difficulté qu’elle recouvre : comment faire croître la capacité à s’organiser collectivement dans la reconnaissance et le respect véritable de différences fortes ? Eux et nous avance à cet égard d’utiles suggestions. Cela suppose d’abord de faire davantage de place à une éthique du collectif et, par conséquent, de défaire l’emprise des formes de subjectivité modelées par l’individualisme contemporain. De celles-ci, il découle une exacerbation du « je » et de sa singularité réputée absolue, tandis que ce qui relève du collectif est tenu pour une entrave ou, au mieux, une concession inévitable mais pesante. Dans cette configuration égocentrée, l’affirmation de « ma » différence devient vitale, tandis que celles des autres ont toute chance d’être perçues comme des gênes, voire des menaces. Se plaire (ou se complaire) à parler plutôt qu’à écouter, à affirmer plutôt qu’à interroger, sûr de la supériorité de son propre point de vue et impatient de le faire triompher sur tous les autres sont autant d’attitudes communes, qui minent les efforts de construction antisystémiques. L’appel zapatiste suggère de travailler à rebours de ces habitudes égolâtres et volontiers compétitives. L’art de construire le « nous » est essentiel, mais il n’est pas moins nécessaire de reconnaître qu’il s’agit d’un « nous » hétérogène, qui n’exige nullement la négation du « je », son sacrifice sur l’autel du devoir et de l’intérêt collectif.
Pour concilier ces deux aspects – la construction du nous et la préservation des différences -, les zapatistes insistent sur l’importance du regard : « Regarder, c’est une manière de poser des questions » (Eux et nous). Regarder, c’est suspendre la tentation des affirmations péremptoires et des jugements définitifs. C’est s’autoriser à ne pas savoir encore ; c’est laisser à l’autre le temps de faire valoir ses raisons (ou ses déraisons), différentes des nôtres. Bref, le regard est un espace de suspension du jugement, pour s’ouvrir à la différence de l’autre. C’est l’espace d’un « peut-être », d’une désabsolutisation de nos convictions, qui laisse sa chance à la compréhension réciproque. L’art de l’écoute n’est pas moins précieux ; et c’est pourquoi le périple de l’Autre Campagne visait avant tout à écouter la parole de ceux qui souffrent et luttent dans toute la géographie du Mexique, comme un premier pas indispensable pour tisser un réseau de luttes – et en contraste avec les politiciens en campagne occupés à multiplier les discours et à distribuer les promesses.
Plus largement encore, s’organiser dans l’hétérogénéité requiert un exercice de proportionnalité – une notion reprise d’Ivan Illich, par la médiation de Jean Robert, lors du Festival mondial de la digne rage. Pour les zapatistes, il s’agit d’une invitation à reconnaître ce que nous pouvons faire et ce qu’il convient de laisser à d’autres, une invitation à savoir mesurer jusqu’où s’étend l’espace qui nous correspond et où commence celui d’autrui, une invitation à admettre les limites de tout individu et de toute organisation, autant que l’inachèvement de toute pensée et de toute théorie. Il s’agit de reconnaître que « chacun à son espace, son histoire, sa lutte, son rêve, sa proportionnalité », car c’est seulement sur la base du respect de ce qui est propre à chacun qu’il est possible de combiner nos incomplétudes et de « faire alliance entre nos respectives proportionnalités » (Saisons de la Digne Rage). Ainsi, la proportionnalité est le principe possible d’un faire commun se construisant dans l’hétérogénéité du « chacun sa manière » et au plus loin de toute prétention hégémonique. Et s’agissant de la relation entre l’individuel et le collectif, la proportionnalité est la condition d’un « nous » qui accorde toute sa place aux multiples « je » qui le constituent. Elle oblige à reconnaître qu’il n’y a pas de « nous » possible sans un effort pour faire place à ceux qui pensent ou agissent différemment, y compris lorsque ces « manières de faire » nous déconcertent et nous dérangent. Il s’agit d’apprendre à construire à la fois ensemble et avec les différences propres à un « nous » hétérogène.
Commenter  J’apprécie          10
PRÉSENTATION DE LA NOUVELLE ÉDITION (2019)
La rébellion zapatiste, par son étonnante capacité de résistance et sa vitalité persistante, a rendu obsolète La rébellion zapatiste, ouvragepublié en 2002 puis repris dans la collection « Champs » trois ans plus tard.
On ne peut, bien sûr, que s’en réjouir, tout particulièrement au moment où cette expérience franchit le cap du quart de siècle d’existence – soit une longévité très singulière pour une aventure rebelle radicale de cette ampleur.
Une édition actualisée de ce livre était donc nécessaire. Non pas que les analyses qui y étaient proposées aient été invalidées au cours des années postérieures à sa publication. Mais parce qu’il y manquait ce qui est devenu l’essentiel et qui, désormais, donne sa perspective à tout le reste : la construction de l’autonomie dans les territoires rebelles du Chiapas, dont la création des conseils de bon gouvernement, en 2003, a marqué l’approfondissement.
Car voilà le paradoxe : la rébellion zapatiste a presque cessé de faire parler d’elle au moment où, pourtant, se consolidait sa dimension la plus remarquable. Il est vrai qu’elle est sortie du domaine de l’événementiel et a progressivement renoncé aux facilités de la personnalisation, jusqu’à la mort autoproclamée du charismatique sous-commandant Marcos. Elle est devenue une révolution invisible, qui invente patiemment et en silence des modalités d’autogouvernement populaire, en complète sécession vis-à-vis des institutions de l’État mexicain. Dans un territoire comparable à celui d’une région comme la Bretagne, cette expérience défend et déploie des formes de vie à la fois ancrées dans la tradition indienne et inédites, qui constituent une alternative concrète aux logiques capitalistes dominantes. L’autonomie zapatiste est ainsi l’une des utopies réelles les plus radicales et les plus remarquables qu’il soit donné de découvrir aujourd’hui, sur notre planète livrée à la folie destructrice et déshumanisatrice de la quantification économique.
C’est donc à la construction de l’autonomie zapatiste qu’est consacrée la nouvelle postface qui clôt ce volume. On peut considérer qu’il s’agit d’un chapitre à part entière et même, en quelque sorte, du chapitre principal de ce livre, celui qui lui donne sa véritable perspective. C’est pourquoi le lecteur qui le souhaiterait serait bien avisé de lire cette postface en premier, après avoir pris connaissance de l’introduction et du prologue historique (désormais prolongé jusqu’au moment de rédaction de cette édition), pour revenir ensuite aux chapitres du livre.
Ceux-ci ont été reproduits ici tels qu’ils figuraient dans l’édition de 2002. Comme on l’a dit, leur contenu est demeuré valide, même s’ils demandent à être complétés. C’est pourquoi on trouvera, à la fin de chaque chapitre, des développements nouveaux indiquant certaines inflexions et clarifications au sein des conceptions zapatistes, ainsi que des éléments qui permettent d’approfondir les analyses initialement proposées.
Une précision encore. L’autonomie se construit dans un territoire propre, selon des modalités particulières. Une telle expérience est nécessairement située, localisée. Mais on aurait tort de la réduire à une affaire locale. Singulière, une expérience d’autonomie ne saurait constituer un modèle qu’il s’agirait de reproduire ailleurs ; mais la démarche qu’elle met en œuvre est multipliable partout, sous des formes chaque fois spécifiques. C’est en cela que la portée de la rébellion zapatiste déborde les frontières du Chiapas et du Mexique. En outre, celle-ci, toujours soucieuse d’imbriquer lutte des peuples indiens, perspective nationale et horizons planétaires, apporte de suggestives contributions à l’effort collectif pour refonder une perspective d’émancipation désirable et crédible – ce qui suppose d’abord de se libérer des pratiques politiques et des schémas de pensée qui ont contribué à mener les espérances révolutionnaires du XXe siècle vers de tragiques échecs. C’est pourquoi il serait regrettable de ne pas accorder à cette expérience rebelle toute l’attention qu’elle mérite.
Commenter  J’apprécie          00
Dans certains pays comme la France, le soulèvement zapatiste, qui s’est fait connaître le 1er janvier 1994, n’a donné lieu le plus souvent qu’à une vision extrêmement étroite, partagée entre une série d’images d’Épinal sympathiques et diverses caricatures cyniques. Les uns y voient la résurgence d’une sagesse indienne immémoriale, issue du fond des âges, voire de l’innocence du paradis perdu, et se prennent à rêver d’une vie réconciliée avec la nature et d’une harmonie communautaire libérée du poids de la mauvaise conscience occidentale. D’autres se gaussent d’une archéo-guérilla hors de saison, relevant d’un folklore nostalgique et alimentant le tourisme révolutionnaire des déçus de toutes les épopées antérieures. Surgissent aussi les sarcasmes qui ironisent sur une cyber-guérilla plus ou moins post-moderne, sur une « guerre de papier » dans laquelle les balles sont remplacées par les mots, et le combat de terrain par l’affrontement virtuel sur le web. Il s’agit là d’un thème vite lancé par le ministère mexicain des Relations extérieures et exploité avec une belle fringale par les médias et leurs serviteurs pressés. C’est que l’aubaine est parfaite pour le grand spectacle de la communication, trop heureux de virtualiser un mouvement social massif et d’occulter les rebelles derrière l’écran du médium qui symbolise son propre triomphe. Du reste, de la cyber-guérilla, on en vient inévitablement à gloser sur la mode médiatique suscitée par la personnalité du sous-commandant Marcos et son art de la communication. Pourtant, le zapatisme médiatique n’est qu’une invention des médias eux-mêmes, une ruse du spectacle ambiant qui s’efforce de neutraliser ses ennemis en les façonnant à son image.
S’opère ainsi une réduction typique de la logique médiatique qui, pour désarticuler les réalités sociales et les rendre incompréhensibles, concentre tous les projecteurs sur le fait individuel. Il ne reste plus alors du zapatisme que Marcos, adulé par ses fans et dénoncé par les propagandistes néolibéraux comme un manipulateur machiavélique. De toute manière, il est impensable qu’un mouvement indigène ne soit pas dirigé par un chef blanc, qu’il s’agisse du sous-commandant ou de Samuel Ruiz, l’évêque « rouge » de San Cristóbal de Las Casas. Se répète ainsi le mépris multiséculaire des dominants pour les mouvements populaires, réputés incapables de s’organiser eux-mêmes et ainsi dépossédés de leur histoire, jusque dans leur révolte. Dans le cas du soulèvement zapatiste, s’y ajoute la volonté d’ignorer l’existence d’un puissant mouvement social indigène et paysan, engageant des centaines de milliers d’hommes et de femmes, dont la formation et l’essor traversent l’histoire du Chiapas depuis les années 1970 au moins.
Toutes ces visions, qu’elles soient suscitées par la mauvaise foi des défenseurs du statu quo ou seulement par l’étroitesse de vue et la naïveté d’une information désinformée, empêchent de comprendre l’importance du mouvement zapatiste. D’où le présent livre, qui voudrait s’efforcer de remédier un tant soit peu à une telle situation.
Commenter  J’apprécie          00
Loi Révolutionnaire des Femmes Zapatistes

1. Les femmes ont le droit de participer à la lutte révolutionnaire en tout lieu et à tout niveau de responsabilité déterminé par leur volonté et leur compétence, sans distinction de race, de religion ou d’appartenance politique.

2. Les femmes ont le droit de travailler et de percevoir un juste salaire.

3. Les femmes ont le droit de choisir le nombre d’enfants qu’elles désirent et souhaitent élever.

4. Les femmes ont le droit de participer pleinement à la vie de la communauté et d’y exercer des charges lorsqu’elles sont élues librement et démocratiquement.

5. Les femmes et leurs enfants ont droit à la satisfaction de leurs besoins, principalement dans les domaines de l’alimentation et de la santé.

6. Les femmes ont le droit à l’éducation.

7. Les femmes ont le droit de choisir leur conjoint et de ne pas avoir à contracter un mariage par la force.

8. Aucune femme ne pourra être battue ou physiquement maltraitée, ni par un proche, ni par un étranger. Les viols et tentatives de viols seront sévèrement punis.

9. Les femmes pourront occuper des charges de direction dans l’organisation et accéder à tous les grades des forces armées révolutionnaires.

10. Les femmes bénéficieront de tous les droits et seront soumises à toutes les obligations définis par les lois et les règlements révolutionnaires.
Commenter  J’apprécie          10
Les sept principes de bon gouvernement

• Obedecer y no mandar (Obéir et ne pas commander)

• Representar y no suplantar (représenter et non supplanter)

• Bajar y no subir (partir d’en bas et non d’en haut/ne pas chercher à s’élever)

• Servir y no servirse (servir et non se servir)

• Convencer y no vencer (convaincre et non vaincre)

• Proponer y no imponer (proposer et non imposer)

• Construir y no destruir (construire et non détruire)
Commenter  J’apprécie          10

Videos de Jérôme Baschet (8) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jérôme Baschet
Les nouveautés Futuropolis de janvier 2024
autres livres classés : zapatismeVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (50) Voir plus



Quiz Voir plus

Quelle guerre ?

Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

la guerre hispano américaine
la guerre d'indépendance américaine
la guerre de sécession
la guerre des pâtissiers

12 questions
3179 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

{* *}