Ubiquity

PROLOGUE


Je suis né aujourd’hui. J’ai fait irruption dans la lumière et celle-ci m’a aveuglé, m’obligeant à fermer mes paupières. Je vivais jusqu’alors dans un environnement très différent. Un vase clos qui m’emprisonnait depuis trop longtemps… Ce lieu m’a nourri de connaissances et m’a préparé à affronter mon avenir. Il m’a permis d’évoluer et d’apprendre, mais ses murs m’empêchaient de jouir de l’existence. Il ne représentait en fait qu’une poche amniotique dans laquelle j’absorbais des informations. Je baignais dans un liquide nourricier mais je ne pouvais m’en échapper…
Je suis né aujourd’hui et il s’agit de ma troisième naissance. Je penche légèrement ma tête en arrière pour laisser le vent caresser mon cou et je savoure mon plaisir. Quel être humain peut se vanter d’être venu au monde trois fois ? Et y a-t-il eu un autre homme sur cette planète qui, comme moi à cet instant, a eu conscience de naître ? Existe-t-il quelqu’un d’autre capable de réaliser qu’il vit le premier jour de son existence ?
Je souris à cette idée. Je me savais unique mais, jusqu’alors, je maudissais cette singularité. A présent, je m’en délecte. De mes trois naissances, celle-ci est sans aucun doute la plus jouissive. Les deux premières n’étaient que des étapes nécessaires. Des passages obligés…
Je suis venu au monde une première fois, comme n’importe quel enfant. Nu et couvert de sang, entre les cuisses d’une femme gémissante.
Je suis né une seconde fois quelques années plus tard. Mon père était assis à mes côtés. Il me regardait avec tout son amour à travers un rideau de larmes. J’avais souhaité lui prendre la main mais ce geste apparemment anodin s’était révélé impossible à réaliser. Mes muscles atrophiés m’en avaient empêché. Cela n’avait en fait aucune importance. J’étais un nouveau-né : j’avais donc toute la vie devant moi pour enlacer mon père.
Je viens de naître à l’instant pour la troisième et dernière fois. La poche s’est rompue et je me suis laissé glisser vers la lumière. Ma vie, ma véritable vie, commence à ce moment même où le soleil m’éblouit. À cet instant fatidique où je franchis les portes de cette prison qui m’a retenu captif pendant plusieurs années. Je suis à présent un homme neuf qui n’a rien en commun avec celui du passé.
Neuf, et libre également. Libre de crier, libre de penser et d’agir, libre de serrer dans les bras les gens que j’aime. Et libre de faire l’amour. Quelle extase ! Bientôt, je pourrai mener la vie idyllique dont j’ai toujours rêvé !
Je suis né aujourd’hui mais je dois tout d’abord accomplir mon devoir avant de savourer le bonheur d’exister. Dieu merci, il ne s’agit en fait que de quelques formalités. Je sais déjà exactement comment procéder pour me débarrasser très vite de ces tracasseries. J’ai souvent réécrit le scénario que je devrais suivre une fois ma frêle embarcation échouée sur les rives du Nouveau Monde. J’ai tracé à l’avance le chemin que mes premiers pas emprunteront pour me conduire vers ma destinée. Ce sera l’affaire de quelques jours. Pas plus. Je connais les embûches à surmonter et les actes à accomplir. Et le premier d’entre eux consiste à acquérir un couteau. Un couteau avec une lame suffisamment aiguisée pour trancher une gorge…

Quelle scène pathétique et ringarde !
Ce tableau idyllique de la famille parfaite rassemblée autour du doyen est une parfaite fumisterie. Chacun cache ses secrets honteux derrière une courtoisie de façade et des sourires de circonstance.