Le roman s’ouvre sur un superbe portrait de chasseur de vipères, aux odeurs fortes et à la sauvagerie mystérieuse. Nous sommes en Isère, « "au beau milieu des bouses de vaches, de milliers de petits champignons de prairies. Rosés-des-prés, vesses-de-loup, tous d'un blanc mat, rondelet, putrescible qui n'évoque guère les fleurs ni les fruits, mais déjà leur contraire : le poussiéreux, le digéré." Nous sommes dans les Terres froides, ce petit recoin de l’Isère coupé du monde pendant l’hiver, où l’on a les pieds palmés une génération sur deux.
Dans ce récit, l'auteur revient sur les rudes années de son enfance en Dauphiné, marquée par la peur, la violence et la découverte de l'amour.
Ce roman se décline en une série de souvenirs qui viennent ponctuer le récit en autant de chapitres que de scènes frappantes.
Souvenir de cette horrible institutrice – qui enfermait les élèves indisciplinés sous son bureau au contact de puanteurs intimes « dans ses jupes de lin de Pologne qui puent ».
Souvenir de ses gamins algériens qui jettent une salamandre dans le feu pour vérifier les facultés prêtendument ignifuge du petit amphibien.
Souvenir des Rogations, de la foire de Beaucroissant, seul événement véritable des Terres froides, cette foire aux bestiaux qui date du Moyen-âge et où l’on vient regarder la femme-tronc et festoyer comme on ne le fait plus dans les régions civilisées.
Souvenir d’Antoine, l’ami avec qui on partage tout.
Souvenir de la tendre d’Elisabeth aussi, avec qui l’enfant découvre le baiser et le premier amour.
Au milieu du livre, la mort d’Antoine vient sonner le fin de l’enfance.
Le roman se poursuit alors avec 5 poèmes et trois parenthèses.
Archétype de la France profonde, les Terres froides est le lieu de l’apprentissage de la vie, le lieu où est né la vocation. L’écriture prend sa source dans l’enfance, dans un épisode particulier, ou dans toute circonstance de la vie familiale. Quelque chose réside là, un secret mal digéré ou une faille dans le réel qu’il faut réinviter par la fiction.La fiction – celle qui fait peur.
« Mes histoires d’enfance sont archaïques » dit Yves Bichet « Je n’y suis pour rien. Elles sont extraordinaires et pourtant ça va, je me sens comme au Café du Siècle juste avant d’offrir une tournée. » Non seulement archaïques mais aussi fantastiques. Ses personnages, pourtant bien réels, s’apparentent aux ogres et aux sorcières.
« A écouter certains, j’aurais tendance à me complaire dans le pollué, l’organique », écrit le poète et romancier qui, avec les Terres froides permet de comprendre quelles images, quels événements, phénomènes et paysages – lacustres, en partie – lui ont inspiré ses livres précédents, si impressionnants : La part animale et Le nocher entre autres.
Après les poèmes et une incursion du côté des chevaliers-paysans qui peuplaient le lac de Paladru à l’époque médiévale, l’auteur revient sur Elisabeth, son premier amour.
Elisabeth, qui montre son coup de foudre. Un vrai coup de foudre, pas une métaphore.
« Elle me montre son coup de foudre.
Elle me laisse deviner la suite. Quand je comprends que c’est vrai, quand je découvre cette cicatrice laiteuse courant d’un seul trait derrière la nuque, sous les cheveux, descendant de part et d’autre du cou jusqu’au creux des seins, puis s’arrêtant net à cet endroit, entre les seins, sur une courbe très douce et chaude, avec comme une pastille de peau rosée et troublé au milieu, nacrée comme les auréoles, j’ai presque peur. Je pousse un cri. »
Le récit se referme donc doucement, sur la pointe des pieds, sur ce souvenir tendre de cette Elisabeth dont on voit le corps dénudé, et dont on comprend qu’elle a aimé Antoine – auparavant. Et Yves Bichet termine sur cette phrase sibylline : « Le coup de foudre a tout volatilisé ».
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