Paul Chozène (anagramme d'
Echenoz), écrivain de 55 ans, a besoin de calme pour écrire un roman autobiographique sur son père. Afin de ne plus être interrompu dans son travail, il embauche Baptiste, imitateur, showman de 27 ans qui peine à lancer sa carrière sur les planches. Il va devenir la doublure de Paul Chozène au téléphone. Il prend les appels de sa fille, Elsa, de son ex femme, Nathalie, de son éditeur, etc... A sa disposition, une "bible" remise par Paul Chozène, qui synthétise la liste de ses interlocuteurs avec quelques commentaires qui doivent éclairer Baptiste dans son travail. le sujet est original et intéressant.
Luc Blanvillain a truffé son récit de notes d'humour. On se prend à sourire à chaque page. C'est, par exemple, un choco BN qui observe Baptiste en souriant, son sac à dos Quechua, que tout le monde reconnaîtra, l'imitation cochonne de
Mélenchon que Fanny lui réclame, ou encore la très belle voix d'orme au crépuscule de Gabriel Husson. Son roman appartient au registre de
la comédie. C'est un comique de situation qu'il met en oeuvre, mais aussi plus subtil parfois, ou même poétique, comme on peut le constater. L'auteur use aussi du comique de répétition, avec les grignotages de Baptiste ( Chocapic, BN, Toblerone, etc...).
"
Le Répondeur est un livre visuel et auditif." confie
Luc Blanvillain à tmvtours, "il y a un peu de moi dans le personnage de Chozène ! (rires)". On se fait facilement une idée des personnages. Pour ma part, je les imagine interprétés par des acteurs connus. J'ai établi ma petite grille personnelle comme suit:
Paul Chozène =
André Dussolier, Voix-off de nombreux documentaires animaliers, narrateur du Fabuleux Destin d'Amélie Poulain, Voix bien connue du public français donc une voix de rêve pour un imitateur.
Baptiste =
Pierre Niney, pour son côté garçon chic qui cache bien son jeu.
Fanny = la bonne copine,
Emmanuelle Devos, pas vraiment belle mais nature et directe.
Elsa =
Ludivine Sagnier, ingénue, tête à claques.
Mona =
Delphine Seyrig avec la voix sensuelle que
Marguerite Duras admirait.
Nathalie = Sabine Azéma qui semble toujours proche des larmes.
André Marandin ( Gus) =
Pierre Arditi, avec barbe de trois jours et veste de velours à coudières.
Gabriel Husson = ... là, je sèche.
Visuel, le roman l'est aussi en ce que l'intrigue s'articule autour du célèbre tableau d'Ingres, La Grande Odalisque. Cette magnifique peinture n'a jamais fait
la couverture du Lagarde et Michard XIXème, n'en déplaise au professeur Blanvillain. le sujet en est peut-être trop aguicheur et incite plus à la lascivité qu'à l'étude.
Le répondeur comporte bien sûr une réflexion intéressante sur la voix, mais aussi sur les rapports humains, le jeu social d'une couche de population très bobo parisiano snobino. L'écriture est aussi sensuelle lorsqu'elle aborde la description des voix que dans les descriptions du tableau.
Luc Blanvillain, malicieux, s'est amusé à glisser quelques mots appartenant à un vocabulaire savant relevant des registres littéraire, médical ou autre, qui nécessitent pour certains le recours au dictionnaire. C'est que l'auteur est un amoureux de la langue. Il se livre à ce sujet à mtv Tours en 2020 et s'explique : "J'adore les mots, il y a un sens, une musique. Ce sont, il est vrai, des mots curieux. Mais j'aime leur donner une chance d'exister. Plus jeune, quand j'ai lu
Jules Verne, je n'ai compris que le tiers ! (rires) Il y a un fétichisme intéressant des mots. Mais attention, je ne veux pas être pédant, je souhaite simplement convoquer un vocabulaire baroque. "
Quelle régalade!
La schizophrénie guette le pauvre Baptiste. Sa désinvolture l'en protège toutefois.
Luc Blanvillain mène son récit de main de maître. Il ménage un bon suspense et multiplie les rebondissements. On ne déplore aucun temps mort, au contraire, les pages se tournent avec avidité et surtout beaucoup de plaisir.