Marie ne sacrifie pas à cette vertu sublime, que l'homme prétend naturelle aux femmes pour mieux refréner leurs désirs. Elle se contente d'une décence héritée d'une éducation sagement chrétienne, et qu'elle plie sur un tabouret avec sa chemise avant de se livrer à Pierre comme si c'était la moindre des choses. Il se sent bien. Il n'est pas le vil séducteur des romans ni le pierrot échatonné par une pierreuse de chanson d'étudiant. Il est Adam découvrant Ève. Marie était la promesse d'un nouveau monde, dans l'enthousiasme de la Commune. Elle s'était donnée à lui comme au conquistador. Il s'était étonné de la trouver vierge, comme si les filles du peuple naissaient dépucelées. Cette innocence préservée pour lui était devenue le symbole de l'étape décisive qu'ils franchissaient ensemble. Une façon romantique de se donner bonne conscience.
Marie a un visage à la mode. Pour son teint clair de poupée citadine ? Il aurait l'impression d'aimer la glycéroline Léchelle, dont elle fait un usage immodéré. Non, il l'avoue tout crûment, comme une provocation : il aime ses gros seins qui jaillissent d'un bond quand elle se dégrafe, qu'il saisit à pleines mains en bêtifiant des mots idiots. Curieux, comme il se sent lavé des lieux communs en lâchant des nénets, des tétais et des lolos qui font rougir Marie. Il s'étourdit des mots autant que de la chair, il en a plein la bouche, il happe, lèche, tète, mordille, titille de la pointe de la langue un bout de tétin perdu dans une large aréole, il est amoureux de cette minuscule tache de rousseur, au bas du sein gauche, à l'endroit exact où il a lui-même un grain de beauté. Une cible pour Cupidon, dit-il, pour qu'il ne puisse rater le cœur. Elle rit sans comprendre, baise le petit naevus qu'elle appelle une envie, et qui lui semble un sceau de leur amour.
Hypocrites ! Courtisans ! Bouffis de mots aussi creux que vos titres. C'est de vous qu'est malade la France. De vos traits d'esprit poudrés à l'ancienne pour mieux dissimuler vos appétits de prédateurs. Mieux vaut encore la morgue du baron Téragon, ramassé au détour du gotha et qui ne prendra jamais la peine d'afficher des prétentions vouées à l'échec. C'est votre espoir mesquin qui étouffe la France, entretenu comme un feu frileux en soufflant sur des haines séculaires et des calculs sordides. La monarchie n'est pas un espoir. Un roi est au-dessus des manœuvres et des compromissions : voilà sa légitimité. Il règne, c'est tout.
Je n'ai pas de pouvoir, pas de relations, pas même de charme, ni l'argent qui te manque. Je n'ai que ma présence, et tu ne la sauras pas. Tu pourras grâce à moi te croire seul et parler à quelqu'un, ou te croire un ami en restant solitaire. Je me plierai à tes humeurs. Aie confiance. N'aie pas peur.
On ne connaît jamais personne. Chaque geste, chaque parole de Marie augmente le malentendu. Le silence par lequel il y répond n'arrange rien. Parler, se taire, mêmes mensonges. Pourquoi tant de maladresse à détacher les mots des lieux communs qui les trahissent ? Pourquoi n'ont-ils pas l'évidence des corps ? Alors, peut-être, pourrait-on connaître les gens derrière les mots qui les déguisent.
10.05.18 - INTEGRALE - J-C. Petitfils, V. Girod, F. Vitoux, F. Taillandier et J. Weber...