Le pouvoir de bâtir : Urbanisme et politique édilitaire à Milan (XIVe-XVe siècles)

S'il est en France un homme qui partage un même intérêt pour l'histoire du pouvoir, l'histoire urbaine et l'histoire médiévale, plus précisément celle de la péninsule italienne, c'est bien Patrick Boucheron. Ce livre, écrit et publié à partir d'une thèse doctorale, est pour longtemps encore une référence incontournable sur la thématique évoquée dans le titre.
Et j'aime cette phrase qui sert de préambule : "Le langage sur la ville est aujourd'hui plus bavard que le langage de la ville".
Dans l'Italie médiévale, morcelée comme l'on sait en beaucoup de Cités-États, surtout dans la partie septentrionale de la "botte", des familles princières ou passées au fil du temps de la bourgeoisie à la noblesse (comme ce fut le cas à Florence) prirent parfois le relais d'autorités municipales, et ce en faisant sentir leur influence dans le mécénat artistique, mais plus encore, dans le bâti monumental, symbole de puissance et de richesse, et donc aussi de pouvoir, surtout aux XIVe et XVe siècles. Tel fut le cas des Visconti puis des Sforza à Milan, métropole lombarde, marquée par l'histoire de ces deux "lignées" dirigeantes, et c'est à ce qui s'est passé dans ce centre urbain que s'est attaché Patrick Boucheron. Mais, dans la ville, leurs intérêts se heurtèrent parfois aux droits de vieilles familles bien installées dans la cité, ce qui donna lieu à des tensions, des conflits, des tentatives d'arrangements et de compromis, des transactions acceptables ou pas. Et parfois, il ne put y avoir de solution. Pour évoquer tout cela et bien d'autres choses encore, Patrick Boucheron a compulsé une masse impressionnante de documentation et d'archives. On en voit la trace dans sa monumentale bibliographie. le livre s'ordonne et se découpe en quatre parties : le portrait du prince en bâtisseur, la galerie des acteurs de la politique ducale qui jouèrent un rôle dans cette traduction dans la pierre des ambitions architecturales de leurs maîtres, les grands travaux inscrits dans la politique urbaine et enfin les dynamiques sociales à l'oeuvre dans ces projets qui devenaient des réalités. Mais dans ce travail méticuleux conduit de main de maître, on sent toujours, sous-jacent, le conflit quasi-permanent entre des oligarchies milanaises arc-boutées sur des valeurs et principes conservateurs et la volonté novatrice mais assez dure à accepter des familles princières dominantes. Ce ne fut jamais facile.

François Sarindar, auteur de Charles V le Sage, Dauphin, duc et régent (1338-1358)