Le Don Quichotte des Brizzi : Deux As et La Manche
Après « L'Enfer » (
Al Dante !), « La cavale du Docteur Destouches » ou « Les Contes drolatiques », les frères Brizzi nous offrent un nouveau chef-d'oeuvre (non ? Si !) avec cette illustration du plus célèbre roman espagnol : "
Don Quichotte de la Manche", de
Cervantes.
Une des difficultés de ce type d'adaptation est que tout le monde a une vague idée du personnage et de ses faits d'armes, mais que peu d'entre nous ont réellement lu cette oeuvre riche et complexe, composée de plusieurs parties et mêlant aventures et réflexions politique et philosophique, le tout dans un style novateur pour l'époque (17ème siècle).
Les Brizzi franchissent ce premier écueil les doigts dans le nez, en proposant au prix obligatoire de coupes, un récit assez linéaire et vivant, agrémenté de traductions graphiques des visions fantasmées du héros emporté par son imagination livresque.
Un résumé parfait.
Les aventures de Don Quichotte sont racontées par des villageois dont un curé, qui l'ont connu. le récit est tendre et compatissant envers la folie du fantasque hidalgo.
Sancho Panza occupe lui aussi une place appréciable. Il n'est jamais réellement tourné en ridicule, apparaissant davantage comme un brave homme qui accepte par gentillesse et humanité (et aussi un peu pour fuir sa femme !), de partager le délire innofensif de son maître.
A ce stade, on pourrait déjà s'estimer content.
Mais ce bel objet (24,5 cm x 34, 200 pages pour 1,4 kg) est également une manifestation époustouflante du talent de dessinateurs des jumeaux. Dans la préface, ils expliquent que pour cet album, leur trait s'était libéré un peu, laissant place à davantage de spontanéité, pour verser davantage dans le pittoresque et la caricature seyant à cette histoire.
Et en effet, le dessin pousse un peu plus loin le « relâchement » déjà perceptible dans « Les Contes drolatiques », qui les conduisait du côté de
Dubout. A tel point qu'on a parfois le sentiment d'avoir affaire à des esquisses (mais tellement abouties !), d'autant plus qu'il ne s'agit pas d'une bande dessinée classique avec le gaufrier immuable, mais d'un assemblage de vignettes sans cadres, sans bulles tout en restant très ordonné.
Le récit offre parfois des envolées pleine-page, voire en double-page, en N&B la plupart du temps, exceptées les « visions », traduites en couleurs.
Une démonstration ébouriffante de ce qu'il est possible de faire aux crayons et au fusain.
Bref, il s'agit d'un album hors-normes qui enorgueillira toute bédéthèque qui se respecte. A ce niveau, c'est une oeuvre d'art et on ne sera donc pas étonné qu'elle soit publiée chez Daniel Maghen.
Une seule réserve personnelle : j'aurais apprécié que le visage de Don Quichotte soit moins ingrat.