AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,91

sur 454 notes
Les Villes invisibles d'Italo Calvino ne sont pas du tout un roman simple, ni une oeuvre commune. Ni vérité, ni mensonge, finalement qu'est-ce qu'une ville dans notre imaginaire ?

Marco Polo tient ambassade auprès de Kublai Khan, grand empereur des Tartares. Parlant des villes qu'il a rencontrées, dont il a rêvé ou qu'il imagine dans le passé, dans le présent ou dans le futur, il nous raconte à sa façon une cinquantaine de villes toutes aussi étranges et merveilleuses les unes que les autres. Clairement, Marco Polo se place en observateur de ces espaces urbains et n'a de cesse de nous rendre compte de leurs aspects les plus concrets. Les discours entre les deux protagonistes viennent rythmer les chapitres clairement inégaux et difficiles d'accès, c'est pourquoi je conseille de lire cet ouvrage d'une traite.
En utilisant à plein cette variation urbaine sur le thème du Livre des merveilles de Marco Polo, Italo Calvino cherche à nous enseigner que le chemin le plus court vers ces villes n'est jamais celui que nous croyons. En usant presque aléatoirement d'additifs indispensables et inhérents aux villes (la mémoire, le désir, les signes, les échanges, le regard, le nom, les morts et le ciel), il nous emmène à la rencontre de villes imaginaires qui se révèlent être fortement proches de celles que nous connaissons. Il alterne également avec quelques visions plus spécifiques comme les villes effilées, les villes continues et les villes cachées, qui lui permettent de venir progressivement aborder les métropoles et mégalopoles contemporaines sur lesquelles il finit, en fait, par discourir.
Il me manque sûrement au moins un niveau de réflexion pour pleinement apprécier cet ouvrage atypique et pour en cerner la véritable portée. Toutefois, de par mes quelques recherches en géographie urbaine, je peux me permettre quelques parallèles avec, par exemple, la théorie des espaces dans la ville, par Guy di Méo qui voit la création de certains lieux spécifiques en fonction de notre psychologie et de notre rapport à l'espace (espaces genrés par exemple) ; de même, je ne peux m'empêcher de penser au « génie des lieux » de Jean-Robert Pitte, qui voit dans chaque lieu un espace spécifique au développement d'une nouvelle forme géographique spécifique. de la même façon, et pour sortir un peu de la géographie, il suffit de faire le parallèle avec les extraterrestres dans notre imaginaire : ils sont bien souvent (voire toujours) le fruit de nos visions anthropomorphisantes, de telle façon que nous cherchons toujours à retrouver ce que nous connaissons dans ce que nous découvrons.

En conclusion, je dirais qu'avec ce roman, atypique s'il en est et ô combien compliqué à véritablement cerner, Italo Calvino a sûrement, et avant tout, voulu insister sur le fait que les villes ont toujours été, sont par essence et seront encore demain des conteneurs de pensée où nous déversons notre propre inconscience. Par une prose volontairement complexe et onirique, presque faite pour perdre le lecteur, cet auteur italien a au moins le mérite de nous donner des clés plus ou moins claires pour développer notre imaginaire dans de nombreuses directions. À découvrir, mais surtout à relire posément !

Commenter  J’apprécie          733
Après le truculent Marcovaldo puis l'extravagant Cosmicomix, je suis reparti avec Italo Calvino dans l'intrigant et exigeant Les villes invisibles.
Elles sont cinquante-cinq, ces villes de rêves aux états multiples: Elles sont issues des rêves, des passions, du temps et de cent autres éléments qui signent leur singularité dans un atlas des mots que déroule l'auteur.
Chaque ville est une surprise pour le lecteur-voyageur, qui la quitte pour la suivante. Il y découvre, le lecteur, des fragments de ses songes obsédants et des bribes de ville qu'il connaît pour s'y être rendu en vrai ou y vivre, pourquoi pas.
Ce livre, atlas en prose, est une invitation à continuer le voyage, l'itinéraire, avec ses propres villes à soi... À être l'empereur de terres inconnues ou/et le voyageur sans relâche qui se pose un temps ou fait escale pour tenter de raconter, de dire le difficilement exprimable.
Et, qui de plus appropriés qu'un empereur de Chine et un marchand vénitien pour deviser, entre les villes, de ces autres villes!?.. Dialogues du soir, entre les soieries, fait d'objets, de mots et de parties d'échec.
Et je sais que lorsque je rêverai d'une ville familière ou fantasmée, elle sera au moins en partie de ces cinquante cinq villes que Italo Calvino m'aura dévoilé. Cela, c'est un cadeau inestimable de ce magicien des lettres italiennes.
Oserais-je dire, j'ose, que Les villes invisibles s'il n'est pas indispensable me paraît essentiel et que j'envie déjà ceux et celles qui ne l'ont pas encore lu.
Commenter  J’apprécie          622
Marco Polo dialogue avec Kublai Khan, lui narrant son ressenti sur les villes imaginaires qu'il a visitées. Chaque petit chapitre compose, pour chacune d'elles : les villes et la mémoire, les villes et le désir, les villes effilées, les villes et le regard, les villes et les morts, à quelques variantes près. Je crois, que pour mieux apprécier ce texte, il faudrait être muni d'un décodeur. Je n'ai pas été transportée comme je l'espérais, il m'a plutôt ennuyée.

Commenter  J’apprécie          345
Cela fait un petit moment déjà que j'ai lu Les villes invisibles de Calvino (au mois de juillet pour tout vous dire) et il va me falloir un gros effort pour me replonger dans mes souvenirs ! Mais, je tenais vraiment à écrire une chronique dessus : d'une part parce qu'il m'a été offert (je voulais donc faire honneur au présent) et d'autre part, ce livre me semble aussi un peu méconnu en France.

La librairie qui le vendait l'avait classé dans la thématique des récits utopiques. Certains d'entre vous habitués aux littératures de l'Imaginaire auront certainement déjà entendu parler du genre SF de la dystopie. Et bien, l'Utopie, c'est l'inverse ! Il s'agit d'un mot inventé au XVIème siècle par Thomas More (mais si, rappelez-vous un des ministres d'Henri VIII, condamné à mort pour avoir refusé de reconnaître son Roi comme chef de l'Eglise anglicane) et dont l'une de ses oeuvres Utopia, paru en 1516, décrit une société idéale.
Dans Les villes invisibles, Calvino imagine un entretien fictif entre Marco Polo et Kublaï Khan dans lequel le célèbre italien décrit cinquante-cinq villes imaginaires, portant chacune le nom d'une femme. Chaque chapitre est court (environ une à deux pages) et s'articule autour de onze thèmes comme la mémoire, le désir, la mort, les échanges, etc…

Il est clair qu'il ne s'agit pas d'un livre facile à aborder car le lecteur se sent bien vite déconcerté. Moi-même, je ne saurai dire si j'ai vraiment tout compris car les échanges philosophiques entre Marco Polo et Kublaï Khan m'ont paru par moment un peu sibyllins. En revanche, les courts textes dédiés aux villes possèdent beaucoup de poésie et d'onirisme. On peut d'ailleurs constater une évolution dans le récit : en effet, si les premières villes décrites semblent s'inscrire dans un imaginaire plutôt oriental et dans le passé, les dernières semblent davantage modernes et correspondre à nos cités occidentales. Les thèmes choisis évoluent également en même temps qu'elles : les villes à caractère orientale apparaissent ainsi conviviales, délurées et proches de la vie ou de la terre tandis que les villes occidentales seraient plutôt associées à la mort, à la contemplation, au ciel, etc…

En conclusion, Les villes invisibles est une oeuvre difficile à appréhender par sa complexité. Mais, je pense que pour ce livre, il faut mettre de côté son intellect et se laisser bercer par la musique des mots. Clairement, ce n'est pas une lecture que je recommanderai à tout le monde mais si quelqu'un a envie de se déconnecter de la réalité par une lecture originale et poétique, lancez-vous !
Lien : https://labibliothequedaelin..
Commenter  J’apprécie          250
Quand certaines lectures sont mues par des fils invisibles ... Pour finir par découvrir des villes invisibles.... et vous laissent des marques invisibles....

Parfois, on dit que le, hasard fait bien les choses... Mais est-ce vraiment le hasard... Quand en voulant lire un livre magnifiquement chroniqué, vous l'ouvrez et vous vous retrouvez face à des remerciements, qui comme une coïncidence sont placés une fois n'est pas coutume en début d'ouvrage.... Pour une raison inconnue, ces 3 lignes que voilà : "Je suis profondément reconnaissante pour l'élan que m'ont donné Hans Christian Andersen, J. R. R. Tolkien et Italo Calvino, car sans leurs mots galvanisants ce livre n'aurait pas vu le jour.", vous happent.... Ce livre c'est "Kalpa Impérial" d'Angélica Gorodisher....
Cette citation m'a fait bifurquer vers le livre "les villes invisibles", d'Italo Calvino, et quel livre !!!
Plus d'un mois après sa lecture, et sa relecture, l'empreinte de sa lecture est encore là... Comme une marque invisible....

Italio Calvino écrivit dans le liminaire de son ouvrage, "pourquoi lire les classiques" :

- Les classiques sont ces livres dont on entend toujours dire : « Je suis en train de le relire… » et jamais : « Je suis en train de le lire… » et Les Villes Invisibles est devenu un livre compagnon, que je suis en train de relire, dans lequel j'aime à me replonger ne serait-ce que pour y lire quelques phrases ;

- Sont dits classiques les livres qui constituent une richesse pour qui les a lus et aimés : mais la richesse n'est pas moindre pour qui se réserve le bonheur de les lire une première fois dans les conditions les plus favorables pour les goûter, et ce fut le cas pour Les Villes Invisibles ;

- Les classiques sont des livres qui exercent une influence particulière aussi bien en s'imposant comme inoubliables qu'en se dissimulant dans les replis de la mémoire par assimilation à l'inconscient collectif ou individuel. Et c'est ce qui se passe avec ce livre qui s'insinue et instille en vous, sans forcément s'en rendre compte ;

- Toute relecture d'un classique est une découverte, comme la première lecture. Je viens de le relire pour rédiger cette critique, tout en me disant que cette critique pourrait être réécrite ;

- Toute première lecture d'un classique est en réalité une relecture. Et c'est cette impression inconsciente que l'on ressent à la première lecture, j'ai ressenti cette impression indéfinissable de l'avoir déjà lu ou d'en avoir lu des bribes, peut-être dans d'autres ouvrages ;

- Un classique est un livre qui n'a jamais fini de dire ce qu'il a à dire. Là c'est une certitude car il contient tant de richesses, il recèle tant de niveau de lecture, il peut être lu dans l'ordre, par la classification des villes, par les discours entre Marco Polo et Kublai Khan ;

- Les classiques sont des livres qui, quand ils nous parviennent, portent en eux la trace des lectures qui ont précédé la nôtre et traînent derrière eux la trace qu'ils ont laissée dans la ou les cultures qu'ils ont traversées (ou, plus simplement, dans le langage et les moeurs), c'est sans doute de là que vient cette impression à la fois étrange et "dérangeante" de l'avoir lu...

- Un classique est une oeuvre qui provoque sans cesse un nuage de discours critiques, dont elle se débarrasse continuellement. Dans ce nuage on pourra opposer complexité et poésie, hermétique et descriptif, rêveur et fantasque, beauté et laideur, tant de sentiments opposés et complémentaires.

- Les classiques sont des livres que la lecture rend d'autant plus neufs, inattendus, inouïs, qu'on a cru les connaître par ouï-dire. Et effectivement j'en avais entendu parler, mais je ne pensais réellement pas être emmené de cette manière.

- On appelle classique un livre qui, à l'instar des anciens talismans, se présente comme un équivalent de l'univers. Là on peut dire que cette définition correspond à cet ouvrage tant il est un univers à lui seul et à nul autre pareil.

Notre classique est celui qui ne peut pas nous être indifférent et qui nous sert à nous définir nous-même par rapport à lui, éventuellement en opposition à lui. Impossible de rester indifférent face à une telle écriture, une telle lecture. Alors certes cela demande un peu de persévérance et d'abnégation mais la récompense est à la hauteur de l'exigence. Exigence qui s'estompe bien vite une fois le livre fermé.

Un classique est un livre qui vient avant d'autres classiques ; mais quiconque a commencé par lire les autres et lit ensuite celui-là reconnaît aussitôt la place de ce dernier dans la généalogie. La force de cet ouvrage pour qui sait être touché et être  sensible à cette écriture, c'est justement de devenir un classique tout en étant inclassable.

Est classique ce qui tend à reléguer l'actualité au rang de rumeur de fond, sans pour autant prétendre éteindre cette rumeur. Et est classique ce qui persiste comme rumeur de fond, là même où l'actualité qui en est la plus éloignée règne en maître. Ce livre une fois refermé a cette force qu'ont peu d'oeuvres. À savoir, vous marquer, vous rappeler qu'il est là, qu'il devient un de ces livres compagnons pour lequel un sentiment étrange est né lors de sa lecture. Comme une rumeur de fond, comme un sentiment difficilement descriptible

Ce livre ou plutôt ces livres car il s'agit de livres qui deviennent comme des continents imaginaires dans lesquels d'autres oeuvres littéraires peuvent trouver leur espace ; des continents de l'« ailleurs », alors qu'aujourd'hui on peut dire que l'« ailleurs » n'existe plus, et que le monde entier tend à s'uniformiser.
Où presque :
C'était l'aube quand il dit :
— Sire, désormais, je t'ai parlé de toutes les villes que je connais.
— Il en reste une dont tu ne parles jamais.Marco Polo baissa la tête.
— Venise, dit le Khan.Marco sourit.
— Et de quoi d'autre croyais-tu que je te parlais ? L'empereur ne cilla pas.
— Et pourtant je ne t'ai jamais entendu prononcer son nom. Et Polo :
— Chaque fois que je décris une ville, je dis quelque chose de Venise.
— Quand je te demande quelque chose sur les autres villes, je veux t'entendre parler de celles-ci. Et de Venise, quand je te questionne sur Venise.
— Pour distinguer les qualités des autres villes, je dois partir d'une première ville qui doit rester implicite. Pour moi, c'est Venise.
— Alors tu devrais commencer chacun de tes voyages par le point de départ, en décrivant Venise comme elle est, telle quelle, sans rien omettre de ce dont tu te souviens.L'eau du lac était à peine ridée ; le reflet des rames de l'ancien palais des Song se brisait en réverbérations scintillantes comme des feuilles qui flottent.
— Les images de la mémoire, une fois fixées par les mots, s'effacent, dit Polo. Peut-être ai-je peur de perdre Venise tout d'un coup, si je parle d'elle. Ou peut-être, en parlant des autres villes, l'ai-je déjà perdue peu à peu."

Et pour finir sur une critique toute "calvinesque"
Je songe à cette phrase que nous confie le narrateur de "Si par une nuit d'hiver un voyageur" et qui sied si bien à ce livre « Chaque fois que je tombe sur un de ces petits grumeaux de sens, je dois creuser autour, pour voir si la pépite ne s'étend pas en un filon. Ma lecture n'a pour cette raison pas de fin : je relis et je relis, cherchant chaque fois entre les plis des phrases la preuve d'une découverte nouvelle », et je crois bien que ma lecture de ce livre ne connaîtra pas de fin....

Une chose est certaine, grâce à celle qui se reconnaîtra, j'étais en train de lire un chef d'oeuvre mais je ne le savais pas encore...
Je lui envoie des remerciements, qui sont tout sauf invisibles
Commenter  J’apprécie          224
Pas facile de naviguer avec Marco Polo de ville en ville, comme nous le propose ici Italo Calvino. J'avais autrefois tenté le voyage et y avais assez vite renoncé. J'ai levé l'ancre à nouveau et cette fois les vents me furent propices et j'ai pu faire escale dans chacune de ces villes étranges et qui se dérobent souvent au regard du visiteur ou qui ne lui présentent qu'une vue partielle et trompeuse. Car ces villes (comme toutes nos expériences ?) sont doubles, ou bien multiples. Telle ville au faste éblouissant dissimule en ses entrailles une autre ville en miroir, aussi misérable que sa partie visible est opulente. Mais l'inverse est aussi possible. Et comment décrire ce que l'on a vu de ces villes à un auditoire exigeant et sceptique, comme le fait Marco Polo au grand Khan dont il est devenu l'ambassadeur ? Ou est la limite entre le récit et l'invention ? Irène, Perintie, Raïssa, Eusapie, comme Florence ou Grenade sont-elles là-bas ou en nous ?

"Les villes invisibles" est un livre mystique et agnostique qui en déroutera plus d'un. C'est un voyage qu'il est bon d'accomplir le moment venu, sans s'entêter si les vents sont contraires, et un magnifique voyage si les vents se révèlent favorables.
Commenter  J’apprécie          221
Bien qu'aimant la littérature de Calvino,les premières pages du livre m'a un peu déroutée , mais étant un cadeau de ma fille,et qu'elle l'a beaucoup aimé, j'ai persévéré. Je ne le regrette pas. Dans ce livre ,Calvino nous offre,dans le cadre d'un dialogue entre Marco Polo et son hôte Kublai Khan qui lui demande d'évoquer les villes qu'il a parcouru durant ses voyages, une suite organisée par arithmétique et symétrie, de courts textes présentant chacune une ville imaginaire, au total 55. Des villes invraisemblables et qui deviennent de plus en plus extravagantes, au fur et à mesure qu'on avance dans la lecture. Elles portent des noms de femmes,Baucis, installée sur des perches au-dessus des nuages, Octavia la ville suspendue sur un précipice,Argia où à la place de l'air, il y a de la terre,Sophronia,la ville constituée de deux parties,l'une fixe ,parc d'attraction,l'autre partie ville ordinaire avec ministères,école,hopitale,..démantelée chaque année à date précise,et réinstallée dans une autre demi-ville..l'imagination de Calvino est sans limite et c'est ce qui m'a plue.Je l'ai lu sans trop l'intellectualiser et il m'a entraînée dans le souvenir de villes que j'ai aimé,
Mardin/Urfa,Yazd/Persepolis/Isphahan,Jaipur/Jaisalmer/Jodhpur/Udaipur,m'a fait penser à Oscar Niemayer et Brasilia,à Le Corbusier et Chandigarh,aux tableaux de Magritte,et à Beckett et à son approche de l'existence par l'absurde,pour vous dire la richesse du texte.
J'ai aimé les dialogues entre Marco Polo et Kublai Khan,bien que pas toujours facile d'y comprendre la logique,et aussi à la fin du livre les derniéres paroles de Marco Polo ,qui je pense reflète la philosophie de Calvino sur La Vie.
Ce livre est complexe à lire,et je le relirais sûrement dans le futur pour plus l'apprécier.Si vous aimez Calvino,si vous êtes curieux de différentes formes de prose et l'approche de l'existence par l'absurde ne vous rebute pas,alors lisez ce livre,c'est vraiment très beau!
Commenter  J’apprécie          210
Isadora, Dorothée Anastasie, Despina, Bersabée, Andria.... elles sont innombrables les villes que Marco Polo décrit au grand Khan.
Un espace qui se construit à travers ce qui nous échappe. C'est à dire le temps. La ville cristallise mémoire et désir.
Allez là bas. Se voir là-bas. Ailleurs. S'y rêver bien plus que d'y être véritablement.
Imaginer. Nous constituons nos villes en livre d'images. Aucune ville n'est semblable et pourtant toutes ressemblent à celles que nous reconnaissons. Un plan universel peut être que chacun développe en soi.
Soi dans le temps d'un espace.
Soi dans un autre ville, plus loin, là où réside tous les possibles que nous aurions pu connaître, et une multitude de nos possibles futurs que d'autres vivent au présent.
Les villes anticipent le devenir des hommes.
Le pont fait traverser le fleuve. L'homme traversera. le pont est là. Ce pont a son histoire. A l'homme d'empreinter le pont et de poursuivre l'histoire.
C'est ainsi que les hommes entrent dans les villes en projetant leur désir et en se soumettant parfois au désir de la ville.
La ville est une sirène qui fait perdre la mémoire à celui qui la façonne afin qu'elle puisse conserver son âme. Architecture mnémonique.
Prend garde conquérant ! La ville peut te transformer en esclave.
La ville tient registre d'elle même. Par les signes qu'elle porte en elle elle offre un nouveau langage à l'homme. Signe de pouvoir, de servitude, de magnificence, de plaisir , de rêve.
Tout fait signe dans la ville. Celui qui a reçu la lecture des signes d'une ville , où qu'il se trouve tentera de retrouver ces signes n'importe où. C'est le langage de la ville qu'il l'occupe à présent, qu'il a à l'esprit. Il ne sait plus voir dans un vol d'oiseau l'arrivée d'un orage mais à présent il reconnaîtra le visage d'un dieu dans l'écorce d'un arbre...
La ville pourrait elle parasiter nos pensées ? Pourrait elle faire naître devant nous quelque mirage ? Ainsi une ville se trouvant au bord de l'océan est pour le marin la porte du désert et pour le chamelier la porte de l'océan....
Et si les mirages n'étaient que l'écho d'un futur ? Puisque le passé n'est que l'embryon d'un devenir.
Les villes prennent le visage les désirs que l'on porte, les subliment, les anéantissent parfois. Troublante métamorphose. Mais non éternelle, car la ville a une âme mais conserve et retient provisoirement une mémoire. Tant il est vrai que la ville d'hier n'a absolument rien de commun avec l'actuelle. La ville change, grandit, croit, se transforme, elle perd l'âme que l'on croyait savoir.
On la garde en mémoire. Et puis une autre à la même place surgit. le même nom.peut être. Plus les mêmes habitants, plus la même ville, en autre devenu soi. Étrange histoire.
Puisque la ville est faite de mains, de savoir, de mémoire humaines. Est elle pour cela à notre image?
Innombrables villes, innombrables questions, innombrables possibles.
Ville repère, ville frontière. Elle marque la ligne où l'homme peut s'affranchir.
Il n'y a peut être pour finir effectivement que deux plans possibles. Celui de la ville qui forme notre désir et celui de celle que notre désir construit.
Ville piège, ville souricière. « Il n'est pas de langage sans pièges ».
Toutes les villes ont leur langage, et elle ont toutes leurs pièges.
Et ce qui les différencie pour finir ne serait ce pas uniquement par ce quoi elles s'associent ?
«  le mensonge n'est pas dans le discours, mais dans le choses ».
La ville ne ment pas et la décrire telle qu'on la voit suppose qu'on la sache telle qu'elle est.
Toute chose suppose son contraire.
Ainsi la blancheur des paons dans un parc nous explosent elle au yeux par la présence de la suie qui recouvre les murs.
Ville contraste, où le silence n'est que le réceptacle des mots.
Ville théâtre. Les rôles sans cesse redistribués. Laissant croire à l'éternité de l'intrigue. Même scène, même personnages. L'illusion d'un spectacle, où l'on ne s'aperçoit pas que les dialogues changent au fur et à mesure de la distribution des rôles. La ville avance d'elle même. On pense posséder une ville, on pense l'apprivoiser. Et puis elle vous devient étrangère. Les mots eux mêmes nous sont devenus étrangers.
Pourtant la même ville, les mêmes rôles, la même intrigue, et l'histoire avance.
Persistance rétinienne de la ville imaginée, persistance de sa mémoire. Nous fouillons les décombres d'un monde qui se recompose continuellement. C'est la seule condition pour que les villes survivent, elle se nourrissent en se développent sur les restes de nos mémoires.
La pierre d'une cheminée seigneuriale figée dans le mur d'une étable. La porte d'une étable servant de table dans un palais, un palais qui devient un musée, un musée qui garde l'alphabet des pavés, et des pavés de glace qui mènent vers des châteaux oubliés.
Ville souterraine, ville pont, ville céleste, ville canopée.
L'éternité des villes repose sur leur inconstance.
La possibilité d'une ville repose sur la probabilité du langage.
La ville n'est qu'un peut être, un modèle qui se tient en équilibre entre l'exceptionnel et la vraisemblance.
Fragilité d'une position qu'elle ne devrait jamais oublier.
« Il n'y a rien d'inhumain dans une ville sinon notre propre humanité. » écrit Georges Perec.
«  Ce qui commande au récit, ce n'est pas la voix : c'est l'oreille. » nous rappelle Italo Calvino.
«  Et par ta voix, j'écoute les raisons invisibles pour lesquelles vivaient les villes, et pour lesquelles, peut être bien, après leur mort, elles vivront de nouveau ».
Merveilleux récits, fabuleuses visions, une incroyable lucidité qui éclaire le spectre de notre imagination.
Il faut peut être écouter l'invisible pour percevoir une réalité.

À découvrir :
http://vimeo.com/111443875
http://vimeo.com/84457863 Urbanité/s de Jacques Levy

Astrid Shriqui Garain

Commenter  J’apprécie          213
Pour essayer de comprendre.

Pour écrire Les villes invisibles, Italo Calvino est parti de sa fascination pour le livre des merveilles, de Marco Polo, où celui-ci dicte à son compagnon de prison de Gênes, en 1296, une narration de ses voyages en Orient au service de l'empereur Mongol Kübilaï (qui acheva la conquête de la Chine). Italo Calvino invente la situation contraire : Marco Polo, voyageur-explorateur, raconte à Kublai Khan les villes qu'il a visité au cours de ses ambassades. Des villes réelles ou fantasmées, appartenant au passé, au présent, ou au futur, et portant toutes un prénom féminin. Si au début on imagine des villes plutôt orientales, ayant un peu l'impression d'être plongé dans l'univers fantasmagorique des contes des Milles et une Nuit, peu à peu, l'atmosphère évolue et nous amène dans des mégapoles contemporaines.

Le livre regroupe ainsi cinquante-cinq villes au total, chacune décrite sur une à trois pages maximum, hiérarchisées en onze thématiques (les villes et la mémoire, les villes et le désir, les villes cachées, les villes et les morts, les villes et les signes...), et les chapitres sont entrecoupés de dialogues entre Marco Polo et Kublai Khan, des dialogues aux allures philosophiques assez énigmatiques.

Les villes invisibles est un livre étrange, entre fiction et recueil de poésie, mais l'élégance de l'écriture de Calvino ne suffit pas à maintenir l'intérêt, le procédé narratif, répétitif, devenant vite lassant. Toutefois, dans l'ensemble de ces villes, on en trouve toujours une qui nous touche plus particulièrement. Pour moi ce fut Isidora :

« Il vient à l'homme qui chevauche longtemps au travers de terrains sauvages, le désir d'une ville. Pour finir, il arrive à Isidora, une ville où les palais ont des escaliers en colimaçon incrustés de coquillages marins, où l'on fabrique lunettes et violons dans les règles de l'art, où lorsque l'étranger hésite entre deux femmes il en rencontre toujours une troisième, où les combats de coqs dégénèrent en rixes sanglantes mettant aux prises les parieurs. C'est à tout cela qu'il pensait quand il avait le désir d'une ville. Isidora est donc la ville de ses rêves : à une différence près. Dans son rêve, la ville le comprenait lui-même, jeune ; il parvient à Isidora à un âge avancé. Il y a sur la place le petit mur des vieux qui regardent passer la jeunesse ; lui-même y est assis, parmi les autres. Les désirs sont déjà des souvenirs. »
Lien : http://descaillouxpleinleven..
Commenter  J’apprécie          211
Un voyage merveilleux, qui n'en finit pas parce que c'est un livre auquel on revient, ponctué des courtes étapes que sont les exemples de ville donnés par Marco Polo à l'empereur Kublai Khan, dialogue bien sûr totalement imaginaire qui se présente comme une pure fantaisie, une efflorescence intellectuelle et poétique.

Les villes sont invisibles, car si le voyageur se contentait de décrire son périple touristique au maître de la Terre (ou presque), on n'irait pas bien loin et on ne serait pas plus renseigné sur ce qu'on appelle, qu'on peut appeler « une ville ».

Pour l'empereur, imaginer LA ville commande de considérer ce que l'on sait, ce qui est connu et possible, et agrandir ce noyau, en marges ou fractales, tandis que Marco part des confins de l'impossible : chaque idée, chaque sentiment pouvant bâtir une ville, des villes classées selon une taxinomie fabuleuse : les villes et les échanges, et le regard, et le nom, et le ciel, et les morts, et la mémoire... effilées, continues, cachées (j'en oublie sûrement).

« L'atlas a cette qualité : il révèle la forme des villes qui n'ont pas encore de forme ni de nom. » La ville, les villes, émergent de la classification, selon un principe rappelant l'ouverture des Mots et les choses de Michel Foucault — mais les théories d'Italo Calvino sont comme des bulles de savon sous nos yeux le temps de quelques pages.

« Les viles aussi se croient l'oeuvre de l'esprit ou du hasard, mais ni l'un ni l'autre ne suffisent pour faire tenir debout leurs murs. » Une ville, ce n'est pas seulement une inspiration, il lui faut un fil, une règle interne : « Il en est des villes comme des rêves : tout ce qui est imaginable peut être rêvé mais le rêve le plus surprenant est un rébus qui dissimule un désir, ou une peur, son contraire. »

D'où ce jeu perpétuel, tant qu'il y aura des villes : « Le catalogue des formes est infini : aussi longtemps que chaque forme n'aura pas trouvé sa ville, de nouvelles villes continueront de naître. Là où les formes épuisent leurs variations et se défont, commence la fin des villes. »

La fin des villes ? Peut-être est-ce davantage qu'une vue de l'esprit, déjà une perspective en oeuvre quand partout poussent les mêmes buildings et que les mêmes commerces franchisés habitent les zones passantes. La fin des villes, c'est peut-être déjà une cité du nom de Trude : « Le monde est couvert d'une unique Trude qui ne commence ni ne finit : seul change le nom de l'aéroport.
Peut-être alors que, comme dans cette autre, Penthésilé, on vous renseigne d'un geste circulaire : la ville est plus loin, tout autour, de l'autre côté... Certains viennent travailler, d'autres dormir.
— Mais la ville où on vit ? demandes-tu.
— Elle doit être, disent-ils, par là." [partout, nulle part]

L'enfer des vivants serait donc déjà là. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La plus commune : accepter l'enfer, dit Calvino. « La seconde est risquée et elle demande une attention, un apprentissage, continuels : chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l'enfer, n'est pas l'enfer, et le faire durer, et lui faire de la place. »

Voilà un beau programme pour les urbanistes, mais qu'il serait dommage de leur réserver, non plus qu'au seul sujet de la ville.
Commenter  J’apprécie          180




Lecteurs (1203) Voir plus



Quiz Voir plus

Grandes oeuvres littéraires italiennes

Ce roman de Dino Buzzati traite de façon suggestive et poignante de la fuite vaine du temps, de l'attente et de l'échec, sur fond d'un vieux fort militaire isolé à la frontière du « Royaume » et de « l'État du Nord ».

Si c'est un homme
Le mépris
Le désert des Tartares
Six personnages en quête d'auteur
La peau
Le prince
Gomorra
La divine comédie
Décaméron
Le Nom de la rose

10 questions
827 lecteurs ont répondu
Thèmes : italie , littérature italienneCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..