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EAN : 9782290383933
512 pages
J'ai lu (01/02/2023)
3.49/5   55 notes
Résumé :
Certains secrets ne peuvent plus rester cachés derrière les portes de nos chambres d'enfant.
Charlotte a 45 ans et vient de perdre son mari d'un cancer long et douloureux. Elle décide
de tout quitter (sa maison, son job de professeur de Lettres et sa région) pour partir vivre dans une résidence d'auteur à Trébeurden. Elle a déjà écrit deux romans, qui n'ont eu qu'un succès d'estime et lui ont fait perdre son envie d'écrire ; ces neuf mois qui lui sont ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (28) Voir plus Ajouter une critique
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Les mystères de la résidence d'auteur

Dans son nouveau roman Christian Carayon se sert de ses talents d'auteur de polar pour concocter un roman brillant sur la famille, la création littéraire et les liens qui se tissent entre les gens. Quand la fiction vient nourrir la réalité et inversement.

Charlotte a l'occasion de quitter sa vie rangée de prof de lettres, au moins pour les six prochains mois, car elle vient d'être acceptée en résidence d'écrivain à Trébeurden, en Bretagne.
Pour elle le moment est particulièrement propice. Elle a déjà écrit deux romans qui ne se sont guère vendus et a besoin de prendre l'air. Si elle est un peu déçue de l'appartement assez modeste et humide mis à sa disposition – une belle pièce avec vue sur la mer la console toutefois – elle est entourée d'une équipe enthousiaste. Lizzie, qui a accepté sa candidature, lui explique sa mission. Outre sa grande liberté créatrice, elle proposera des films pour un ciné-club et sera chargée de commenter ses choix. En outre, elle animera un stage d'écriture auquel se sont inscrits cinq candidats.
Ajoutons que Charlotte entend profiter de sa situation géographique pour se mettre à la natation et sortir quotidiennement en mer.
Une initiative qui va vite s'avérer périlleuse, car un muscle de sa jambe lâche alors qu'elle est seule en mer. Elle a beau crier à l'aide, le seul passant qui la voit choisit de s'éloigner du rivage. Quand elle parvient finalement à regagner le rivage elle découvre tout à la fois que le promeneur n'est autre que WXM, l'auteur d'une série à succès que son défunt mari aimait beaucoup et le frère de Lizzie. Et que son choix n'est peut-être pas le simple fait du hasard.
Si leur rencontre ne se fait pas sous les meilleurs auspices, il n'en reste pas moins intrigant. Car s'il s'est installé en Bretagne sous pseudonyme, c'est pour échapper à une enquête de police après de mystérieuses disparitions. Des faits divers qui ont alimenté son oeuvre et continuent d'alimenter les rumeurs.
C'est à ce moment du récit que Christian Carayon se rappelle qu'il a réussi quelques excellents polars en donnant à ce séjour une nouvelle densité, en faisant de Charlotte une enquêtrice hors-pair. «Je confesse une vilaine habitude: j'espionne. Depuis que j'ai fait le tour des maisons à la recherche de WXM, j'y reviens. Au début, c'était pour confondre leurs habitants.» Très vite, elle va pouvoir détailler les habitudes des uns et des autres. Mais aussi rechercher dans leur passé et confronter les scénarios. Jamais peut être l'imbrication entre réalité et fiction n'aura été si bien présentée. C'est dans les souvenirs d'enfance puis ses années de collège que le jeune Romain va trouver de quoi nourrir son oeuvre et inversement, c'est en lisant sa saga que l'on va pouvoir accumuler les indices sur une existence mystérieuse, ses zones d'ombre. Ajoutons-y les vérités qui finissent par éclater lors des ateliers d'écriture et vous disposerez d'une riche palette que le romancier va habilement agencer pour nous offrir une enquête qui va finir par exploser au visage de celle qui la mène. Car – on l'aura compris – en cherchant dans la vie des autres, Charlotte se cherche elle-même.


Lien : https://collectiondelivres.w..
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Retrouver Christian Carayon grâce à Babelio et aux éditions Hervé Chopin en voilà une bonne surprise !
Je me suis donc plongée avec délices dans Les saisons d'après. Charlotte Kuryani a osé larguer les amarres. Elle a postulé pour un séjour d'écrivain résident à Lighthouse et a été retenue pour y résider neuf mois. Elle a démissionné de son poste d'enseignante à Limoges, quitté la maison qu'elle partageait avec son époux décédé depuis peu et pris la direction de Trebeurden, une petite ville sur la côte de granit rose.. Chargée d'animer un atelier d'écriture par semaine, de proposer une sélection de films qu'elle a particulièrement aimés, elle se doit de rendre un manuscrit... Pourquoi ne pas s'intéresser à WXM; l'auteur d'A'Land le mécène de Lighthouse?
J'ai beaucoup apprécié les pages consacrées à Charlotte, à Lighthouse, , beaucoup moins l'irruption intempestive de Romain qui se cache sous le pseudonyme de WXM et nous explique les tenants et aboutissants de sa vie et donc la génèse de son roman .. l'omniprésence de Romain a failli gâcher mon plaisir de lecture, heureusement Charlotte reprenait la main. Cette lecture à deux étages ne m'a pas convaincue .
J'ai néanmoins apprécié l'écriture de C Carayon, un auteur qui sait donner de la profondeur à ses personnages et planter un décor.
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J'ai aimé ces saisons d'après. Moi qui suis tellement perdue dans mon pendant que j'ai l'impression de le gâcher, j'ai aimé lire cette femme qui ose, les pieds dans les vagues (mon rêve), capturer et retranscrire l'océan, tout plaquer pour écrire pendant neuf mois. J'ai aimé tous ces personnages qui composent avec la solitude. L'apprivoisent, l'apprécient tout en se mêlant aux autres selon leurs envies ou besoins. Ils sont tous décrits et habités avec justesse quelque soit leur genre. Je me suis demandé quels films j'aurais choisi si j' avais été invitée moi aussi. J'ai commencé ma propre sélection à chaque fois que mes yeux se posaient sur une nouvelle saison. C'était un joli exercice.

J'ai moins aimé lire entre les chapitres, l'histoire que le personnage principal écrit pendant sa parenthèse particulière. Pour moi Charlotte suffit.
C'est le deuxième livre que je lis en peu de temps où il y a une histoire dans l'histoire. Un personnage qui écrit un livre pour tenter d' expliquer ce qu'il vit, ce qui l'entoure. Je n'aime pas cette mise en abîme qui pour moi dilue le sujet plus que de le renforcer. J'ai beaucoup aimé Charlotte. Beaucoup moins sa dilution dans ses écrits.

Et c'est dommage que je n'ai pas apprécié tant que ça ce livre car je découvre un auteur qui écrit bien, simplement et beau. J'aurais aimé avoir le coup de coeur autant pour l'histoire que la plume. Je me dis que le récit est peut-être bourré de références (moi j'en ai reconnu qu'une, celle de la disparition de Luttie, un beau na ! à la Agatha Christie) que je n'ai pas vues, je pense aussi à relire mes lignes que cet avis est décousu. Quoiqu'il en soit, j'ai envie de relire l'auteur sur un autre type de récit.

[Masse Critique]

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Si le mot roman n'existait pas, il faudrait l'inventer pour qualifier "Les saisons d'après", dernier ouvrage de Christian Carayon. Tout y est : aventures, études de moeurs, de caractères et de personnages, analyse de sentiments, représentation du réel plus ou moins objective. Et, cerise sur le gâteau, le plaisir d'une belle écriture.

C'est l'histoire de Charlotte, quarante-cinq ans. Elle n'a pas d'enfant, plus de mari depuis le décès récent de ce dernier. Elle ne s'entend guère avec ses parents et encore moins avec sa soeur qu'elle ne voit quasiment plus. Elle est professeur de lettres et a écrit "deux romans… qui ont connu un beau succès d'estime, selon la formule consacrée. En clair, ils ne se sont pas vendus." Elle décide de tout envoyer par-dessus les moulins, démissionne de son poste, quitte parents et maison et part en Bretagne, à Trébeurden, où sa candidature a été retenue pour une résidence d'écriture de neuf mois.

Lighthouse – le nom de cette résidence – est financée par un mystérieux auteur de best-sellers…Et en se plongeant dans le passé de ce William-Xavier Mizen, autrement dit WXM, de vieux souvenirs vont se réveiller. L'écriture, belle, simple, mais parfaitement travaillée m'a vite entraînée à la suite de Charlotte et des personnages qu'elle côtoie. Il y a dans ce récit tous les ingrédients nécessaires pour le rendre addictif : des secrets de famille, des rivalités entre frères, ou soeurs, des personnages attachants – ou non – mais toujours surprenants et intéressants. Christian Carayon rentre à merveille dans la tête – et le coeur – d'une femme et fait de Charlotte une vraie belle héroïne. J'ajouterai les touches d'humour qui allègent des moments parfois difficiles et les descriptions des lieux fréquentés que ce soit la Bretagne ou le Massif Central. La culture cinématographie de l'auteur est impressionnante et j'ai beaucoup aimé les listes des films choisis par Charlotte pour les séances du lundi.

Tout cela pour dire qu'une fois commencé, je n'ai pu m'arrêter. Charlotte était venue à Trébeurden pour tenter de retrouver l'envie d'écrire, moi j'ai trouvé celle de lire un récit sans presque respirer.

Et, parce que mon envie d'ouvrir un livre commence souvent là, je ne voudrais pas oublier de saluer la beauté de la couverture.

Lien : https://memo-emoi.fr
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J'entends parler de Christian Carayon depuis quelques mois. le dernier livre proposé au groupe de lecture Librairie Papeterie Lacoste Éditions J'ai Lu est son avant dernier.
L'histoire des « saisons d'après » se déroule en Bretagne. Charlotte débarque au bout de ce monde de granit, rugueux par ses paysages et sa météo dans le village de Trébeurden pour s'installer quelques mois en résidence d'écriture. Elle laisse derrière elle un jeune veuvage, sa profession d'enseignante, des amis, une maison, quelques livres publiés, une famille qui ne la comprend pas et la juge. Elle abandonne une vie visiblement sans issue pour s'enfermer entre quelques murs peu accueillants, un océan dans lequel elle lutte pour sa survie, contrainte par l'animation d'une programmation cinématographique et un atelier d'écriture. Elle espère que cet enfermement, ce repli qu'elle s'inflige lui permettra d'accoucher de son troisième livre. L'hostilité des lieux ne risque pas de la distraire de l'inspiration à laquelle elle aspire. Cependant tout suscite sa curiosité et excite son désir d'espionner ses « élèves », les membres de l'organisation qui l'ont recrutée.
L'auteur entoure Charlotte d'une galerie de personnages tout en nuances, chargés de secrets, de traumatismes. le fantôme d'un auteur à succès particulièrement discret plane sur les lieux, habite les lieux, les gens. Il y a tout pour susciter des suspicions, faire ressurgir les rumeurs les plus sombres et aussi quelques jalousies enfouies depuis des lustres. L'énigme promet d'être plurielle et sacrément nouée.
Rien ne se passe vraiment pendant la première moitié du livre, il s'agit d'installer profondément la cartographie du mystère des lieux et de chaque personnage. Une routine qui laisse échapper les souffrances de l'existence et les craintes de l'espérance. L'auteur nous embobine dans un style remarquable de richesse d'évocation, d'une fluidité troublante et nous cloue au tapis presque à chaque fin de chapitre. C'est un sacré page turner !.. Petit à petit, il resserre l'étreinte, nous glisse subrepticement quelques indices et autres détails qui nous font craindre le pire, puis nous dissuade d'emprunter certaines voies, nous trompe encore. Entre la réalité des scènes qui se jouent et l'imagination d'une écrivaine, la frontière reste définitivement floutée dans une brume du bout du monde.
Dans ces destins qui se croisent où se sont croisés, on pense se perdre, mais l'auteur nous ferre sans relâche. On est à sa merci. le final à rebondissements nous laisse interdits, ébaubis. On craint encore une chausse trappe. La violence est contenue, étouffée, on craint l'effet cocotte-minute.
Ce roman est exceptionnel. Les pleins et les déliés retors de ces histoires sont menés avec maestria. Aucun pathos, tout est traité avec une grande subtilité et une sensibilité émouvante. Les larmes ne sont jamais loin.
J'ai découvert dans ces pages de Christian Carayon un grand auteur. L'univers qu'il nous offre est d'une grande richesse ; la construction de cette histoire est très sophistiquée et pleine d'humanité. Précipitez-vous sur ce livre et offrez-le aux gens qui aiment les histoires bien ficelées
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critiques presse (1)
SudOuestPresse
15 mai 2023
Les résidences d’auteur font souvent rêver les écrivains. Quand Charlotte est choisie pour un exil littéraire de neuf mois, elle n’a dans son CV que deux romans et l’obligation d’abandonner son poste de prof.
Lire la critique sur le site : SudOuestPresse
Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Vendredi 20 septembre
Je connais le dernier moment heureux de mon existence. J’ai dix-neuf ans. On est fin juillet et il fait un temps magnifique. L’après-midi décline dans des couleurs de dessin animé japonais. Mon père se laisse flotter sur notre piscine, allongé sur un matelas gonflable. Il porte un chapeau de paille et chantonne en boucle un refrain qui fait l’éloge de la vie de bohème. Ma mère est assise à l’ombre des grands arbres. Elle est plongée dans la lecture d’un roman aussi épais qu’un dictionnaire. Du bout des doigts, elle triture son marque-page. À la fin de chaque chapitre, elle lève la tête et sourit aux anges. Luttie, ma petite sœur, est à plat ventre dans l’herbe. Elle épluche avec tout le sérieux du monde les articles d’une revue consacrée aux chanteurs à la mode. De ses longues jambes repliées, elle dessine des arabesques invisibles. C’est une sirène. Elle nage tout le temps. Et, quand elle nage, rien ne la freine, rien ne la brusque ni ne l’éclabousse. Elle file comme une risée de vent, ne laissant que deux ourlets qui disparaissent avant même qu’on entende le souffle de son passage.
Je suis assise sur la margelle, les pieds dans l’eau. Shirley, notre vieille chienne, me tient compagnie, sa grosse patte posée sur ma cuisse. Tout est calme. Tout est parfait. Je me sens entièrement à ma place. Dans quelques instants, Cécile, ma meilleure amie, va nous rejoindre. Elle garera sa petite voiture dans l’allée du garage pour que je puisse charger mes affaires. Elle dormira chez nous. Le lendemain, de bonne heure, nous partons toutes les deux faire du camping au bord de l’océan. Nos premières vacances en solo. Notre première grande aventure, dont je me délecte à l’avance depuis des semaines. Pourtant, à la veille de ce départ, l’envie s’est envolée. Partir est un déchirement. Cela revient à briser l’harmonie et à piétiner ce moment de grâce. Si je pars, je casse tout et je crains de ne plus jamais le retrouver un jour. Malgré tout, je pars.

J’ai quarante-cinq ans. Je ne suis plus la sœur de ma sœur depuis des années. Sans doute plus vraiment la fille de mes parents depuis quelques heures. Depuis quatorze mois, je ne suis même plus la femme de personne. Et je ne serai jamais la mère d’aucun enfant.
La maison que j’ai conservée après la mort de mon mari ne m’a jamais plu et, pour couronner le tout, elle ne m’attire que des ennuis, entre les trucs qui tombent en panne, les travaux à faire et le voisin de derrière qui veut me faire un procès à cause des branches du cerisier qui dépassent.
J’ai démissionné de mon poste de prof de lettres peu de temps après la rentrée, sans préavis. Je n’ai plus aucune ressource.
J’ai écrit deux romans, Décembre et Sang-Chaud, qui ont rencontré un beau succès d’estime, selon la formule consacrée. En clair, ils ne se sont pas vendus. Cela fait des années que je suis à sec d’idées, incapable de me lancer dans un nouveau projet d’écriture malgré de multiples tentatives. De toute manière, mon éditeur m’a signifié qu’il ne comptait pas sur un troisième manuscrit. Tandis qu’aucun de ses confrères ou d’éventuels lecteurs ne se sont manifestés pour s’inquiéter de mon absence.
Tout ce que je possède de vraiment cher tient dans le coffre de ma voiture, qui est garée à quelques dizaines de mètres, en bordure du petit port de plaisance.
On est le vendredi 20 septembre. Il fait gris et je ne suis plus grand-chose. Assise dans le seul café encore ouvert au bord d’une mer que je n’ai jamais connue, j’écris dans ce cahier destiné à recevoir le récit de mon exil en Bretagne.
Un peu plus de huit mois de résidence d’écrivain. Presque neuf mois… Le récit d’une destruction ou d’une renaissance, je l’ignore. Je suis terrifiée d’avoir tout plaqué. Je n’ai jamais fait un truc aussi dingue de toute ma vie. Je me découvre enfin audacieuse, ou folle à lier. Que ce soit l’un ou l’autre, c’est au moins ça de pris.

Mon rendez-vous n’est prévu qu’à 17 heures. Pourtant, je débarque à l’aube. Je suis trop impatiente de savoir si, ici, j’ai une chance de m’en sortir. Alors j’ai pris la route de nuit, dans un étrange mélange de peur et d’excitation. La peur que tout ceci soit vain, que ce soit la pire idée du siècle ; l’excitation de l’aventure, malgré tout. De toute manière, je suis toujours en avance, où que j’aille. De crainte de passer à côté de quelque chose sans doute. À moins que ce ne soit par méfiance de l’imprévu.
À Trébeurden, il n’y a plus grand monde. Je descends jusqu’au port sans croiser qui que ce soit. Les seules âmes qui finissent par apparaître le long de la grande plage, quand le jour se lève tout à fait, sont des personnes âgées qui, de manière dispersée ou en grappes, profitent de la marée haute pour pratiquer la marche dans l’eau. Le soleil est absent mais il fait doux. Pour autant, il faudrait me payer très cher pour que j’accepte de plonger un orteil dans cette mer déjà ternie par l’automne annoncé.
Pour tuer le temps, j’explore les bordures de ce qui sera mon nouveau monde. Je marche le long de la grève. À ma gauche, les maisons s’agrippent comme elles le peuvent à la pente qui dévale vers la mer. Puis, quand elles n’ont plus la force de s’accrocher, elles cèdent la place à une lande de plus en plus ensauvagée. La digue vient buter au pied d’un sentier qui s’aventure entre les ronces et les genêts. J’escalade cette face rugueuse, percluse d’épines noires. Au sommet, je me retrouve à surplomber une autre baie, plus large et plus évasée. Plus loin, j’aperçois une plage immense, éloignée de toute construction. Ce sera ma destination. Il me faut une petite heure pour l’atteindre. À ma grande surprise, il y a quelqu’un dans l’eau et, cette fois-ci, pas uniquement jusqu’à mi-cuisses. Un nageur revêtu d’une combinaison noire qui multiplie les allers-retours d’un bout à l’autre de l’anse. Il nage comme nageait Luttie. Ses battements sont une chorégraphie parfaitement maîtrisée. Ils sont souples, déliés et paisibles. En même temps, ils dégagent une force quasi surnaturelle. Je demeure ainsi à l’observer un long moment, fascinée. Jusqu’à ce qu’il sorte de l’eau.
Il retire d’abord ses palmes et ses lunettes, puis se dirige vers un petit rocher émergeant du sable sur lequel ses affaires sont posées. Il prend tout son temps pour retirer sa combinaison. Je lui donne la cinquantaine, et une cinquantaine peu athlétique. Torse nu, il exhibe des chairs molles, un ventre un peu trop bombé et des épaules tombantes. Il s’enroule dans une immense serviette-éponge à la couleur passée depuis belle lurette. Il s’avance à nouveau vers la mer. Il reste debout, à contempler l’horizon, encore essoufflé par son effort. J’y vois une respiration merveilleusement accordée. J’y vois une grande sérénité. Je l’envie. Il est le Nageur-de-l’Aurore, le premier acteur de ce théâtre.
Quand je reviens sur mes pas, je me dis qu’il faut que je m’achète une combinaison, des palmes et des lunettes. Je suis décidée à aller nager tous les jours, quel que soit le temps. On me reproche assez de ne pas prendre soin de moi. J’avoue que les suées collectives me rebutent, que les odeurs de chlore des piscines municipales me rappellent trop les horribles heures d’EPS au collège et que courir m’ennuie profondément. La mer, en revanche, c’est faisable. Nager, ce serait bien. Nager et écrire.

Lighthouse est un lieu dédié aux livres et aux films. Le site en lui-même ressemble à un petit manoir aux épais murs de granit, perché sur les hauteurs de Trébeurden. À 17 heures pile, je me gare sur le parking. Lizzie Blakeney vient à ma rencontre. Je la trouve encore plus belle et encore plus élégante que lors de nos deux conversations préparatoires sur Skype. Son maquillage est aussi discret que les fins bijoux qu’elle arbore. Elle m’adresse un sourire maternel. Elle me tend une main délicate aux doigts longilignes. De son accent délicieux, elle s’inquiète de mon long voyage et de la fatigue qu’il a dû occasionner. Je ne dis rien de mon arrivée précoce, ni des heures interminables qui ont suivi. Ce sont elles qui m’ont épuisée et qui m’ont modelé le visage d’une déterrée.
Lizzie est la coordonnatrice de Lighthouse. Elle gère l’ensemble des activités qui y sont rattachées, dont la résidence d’écrivain. C’est elle qui m’a recrutée. Elle me propose de visiter les lieux et de rencontrer le reste de l’équipe. À plusieurs reprises, elle insiste sur ce terme d’équipe. J’intègre un collectif et je dois jouer le jeu, même si une grande partie de mon jeu sera celui d’une soliste.
Nous franchissons d’abord un porche ouvragé pour découvrir un vestibule au sol de marbre et aux boiseries vernies. Un escalier s’élance vers un étage interdit au public. À droite, une double porte vitrée dévoile une longue et large salle. De hautes fenêtres s’y succèdent, des deux côtés, selon un intervalle à la symétrie parfaite. Si l’entrée est sombre, cette pièce est baignée de la lumière du large, où le soleil, enfin apparu, s’apprête à plonger. Les tables de travail sont d’un chêne épais et surmontées de petites lampes individuelles en laiton. Les espaces de lecture adoptent des fauteuils aux tissus clairs et colorés. Les étagères garnies d’ouvrages savent se faire discrètes, ne créant aucune séparation. Au fond, il y a une immense cheminée ouverte, devancée d’autres fauteuils et de deux canapés. L’ambiance fait très club anglais.
Stéphanie est la bibliothécaire. Je l’ai imaginée grande et sèche, avec des allures de gouvernante ; je la découvre ronde et joviale, avec ses bonnes joues empourprées et ses yeux qui se plissent. Elle me souhaite la bienvenue sans chercher à retenir un rire joyeux. Elle parle trop vite et bute sur les mots. Elle m’indique un présentoir en face de son comptoir. Mes deux romans y sont mis en évidence, mon nom écrit en gros sur un panneau. On annonce mon statut d’écrivaine en résidence et les ateliers d’écriture que je suis censée animer tous les jeudis soir. La seule autre personne qui se
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Je confesse une vilaine habitude: j'espionne. Depuis que j'ai fait le tour des maisons à la recherche de WXM, j'y reviens. Au début, c'était pour confondre leurs habitants. Je n'ai rien pu saisir. Sinon que Madeleine vit dans une forteresse donnant sur la baie Sainte-Anne à Trégastel ; qu'Élise-la-Discrète vit au rez-de-chaussée d’un petit immeuble aux environs du stade, qu’elle allume la télé dès qu'elle rentre chez elle, ferme son volet roulant avant la tombée du jour et ne semble ressortir que pour venir à l'atelier du jeudi soir ; que Mina a pour demeure le ventre d'un ancien bateau de pêche et qu’elle doit retourner à la capitainerie du port dès qu’elle a besoin de se doucher ou d’aller aux toilettes ; que l’Ours-Rodolphe a retapé une minuscule maison sur l’Île-Grande et qu’il flaire vite les intrus parce qu’il est sorti sur le pas de sa porte le matin où je me suis aventurée chez lui et qu'il a grogné: «Qui est là?» d’un ton qui m'a tout simplement donné envie de fuir à jamais ; qu’Heckel et Jeckel sont aux petits soins pour leur jardin, pour leurs murs, pour tout ce qui est chez elles, livrant une guerre sans merci au moindre détail qui cloche ; que, pour rien au monde, je ne vivrais à nouveau dans un lotissement et dans une maison comme ceux de Jacasse.
Mais j'en reviens sans cesse aux maisons de Lizzie et de Reagan. Comme je sors marcher le matin de très bonne heure puis tard le soir, je les place volontiers sur mes itinéraires. Pas tous les jours, mais souvent. Je tiens mon excuse. Je fais une halte de quelques minutes. Il arrive que ça s’éternise davantage.
À Lan Kerellec, j'aime la lumière. Naturelle ou électrique, elle est toujours présente. Je ne me suis pas trompée sur le feu de cheminée, le plaid et les livres sur le canapé. Un peu plus sur le vin et les sorties régulières sur la terrasse. Lizzie chez elle, c'est une vraie chorégraphie faite de lenteurs et d’accélérations, des gestes amples, posés, assurés. p. 105-106
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Je ne veux pas montrer mon hésitation. J’expose une théorie bancale : chaque artiste dissimule une âme noire. Plus elle est noire, plus elle est terrible, plus il est inspiré. Si nous connaissions les faces cachées de ceux et celles que nous admirons à travers leurs livres, leurs films, leurs tableaux, nous en aurions froid dans le dos.
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Il faut savoir faire ce qui nous plaît dans la vie. Sinon, on est malheureux et on rend malheureux ceux qui nous sont proches.
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Inconditionnelle de Christian Carayon...ce roman est addictif dès le premier chapitre... Un tout nouveau m'attend...I am happy 😌
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