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sur 9994 notes
Lire ce livre, c'est voyager, justement, au bout de la nuit.

C'est un texte sombre, difficile à lire, qui demande presque un effort physique à son lecteur. On en sort exsangue, fatigué, épuisé, et souvent, à détester le livre.
On est content d'avoir lu Céline, on a le sentiment du devoir accompli. Voilà, je peux maintenant dire que je l'ai lu pour briller en société ! Cruel sort, pour un livre, que d'être lu par nécessité plus que par plaisir...

Mais le voyage n'est pas fini. Insidieusement, la verve de Céline, son pessimisme s'est caché dans un coin dans votre cerveau, et ressort de temps en temps...On se surprend alors à se souvenir de certains passages, certaines phrases du livre. On pensait l'avoir oublié, mais non. Lire Céline n'est pas une expérience, c'est un traumatisme, le seul traumatisme dont on peut se réjouir.
Le voyage au bout de la nuit est un voyage long et solitaire, car cette nuit, c'est l'infini mis à la portée des caniches....
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Il y a des écrivains que vous saisit l'envie irrépressible de lire à haute voix. Mais je n'évoquerai ici que certains francophones car ils sont, pour moi, si nombreux, ceux qui m'ont fait accéder au Paradis des Mots ... Avec Saint-Simon, l'on grimpe allègrement en voiture et fouette, cocher ! Il faut souvent se cramponner : mais quelle ivresse ! La plus puissante des voitures de course de notre époque n'a ni ce panache, ni cette sûreté dans la course . Avec Chateaubriand , le rythme de l'attelage se fait plus solennel : ce Clacissisme que le duc de Saint-Simon ne respectait déjà plus tout en en admirant l'impeccable ordonnance, le maître de la Vallée-aux-Loups s'en détourne avec noblesse (et de nombreux effets de manche ) pour aborder aux sables, tout aussi aristocratiques, du Romantisme. Ces deux hommes, que vie politique et vie mondaine passionnèrent tant, se complètent en s'opposant mais tous deux maîtrisent, chacun à sa manière, l'art divin du Verbe. le premier écrit peut-être à la diable, comme aimait à le dire, admiratif, le second; et celui-ci appuie un peu plus ses effets. En tous cas, fils de son siècle, il le laisse voir et n'en prend pas ombrage si on le lui fait remarquer.

Avec Proust, le grand bourgeois israélite à la santé fragile (et par ailleurs grand et sincère admirateur du petit duc), la politique s'efface mais la peinture de tout un monde défunt et pourtant à jamais vivant demeure avec, en prime, une vie intérieure supérieurement profonde et décrite non seulement avec superbe mais aussi avec un humour dont trop de gens croient l'auteur incapable alors qu'il y excelle. Des pierres des cathédrales à celles de la maison de la tante Léonie, à Combray, des états d'âme d'un Swan torturé par son amour pour une femme qui lui est si inférieure aux ambiguïtés abyssales d'un baron de Charlus, sans oublier l'omniprésence, à la fois rêveuse et réaliste, on est tenté d'écrire pointilliste, du Narrateur, "A La Recherche du Temps Perdu" reprend le flambeau de la Mémoire (et des "Mémoires") en un style inclassable, qui horripile les béotiens, angoisse plusieurs bataillons de lecteurs persuadés - idée complètement fausse - qu'ils n'ont pas assez d'instruction pour le comprendre, autant qu'il éblouit, qu'il fascine des milliers d'autres, du plus humble au plus gradé sur le plan universitaire.

Et puis vient Céline, le Grand Imprécateur, le Salaud Magnifique, celui pour qui la Vie et la Mort ne font qu'un, celui qui éructe, qui grogne, qui rugit, qui dit et écrit des horreurs, celui aussi que, au détour d'une phrase, vous prend la main avec une tendresse bourrue et vous persuade que, bien sûr qu'il en dit, des saloperies et des vérités aussi grosses que nous, des vraies de vraies, mais que, même si le genre humain est ce qu'il est, c'est-à-dire vraiment pas brillant, puisque lui et vous, vous en faites partie, peut-être qu'en s'y mettant à deux, on finira par lui trouver au moins un petit atome de sens, voire de bonté et même, qui sait, de beauté ...

Le monde, la vie - la Nuit - nous dit Céline, ils sont moches, ils sont vraiment pas jouasses et on a trop souvent envie de dégobiller sur ses chaussures usées quand on les regarde tourbillonner tout autour de soi. Dégobiller ou alors se trotter vite fait, fuir, s'enfuir pour éviter ça, toute cette pourriture en marche qui finira par nous rejoindre jusque dans nos corps - il le sait bien, pardi, lui qui est médecin . Ah ! oui, se montrer bien lâche, bien rat, plonger tête la première dans l'eau immonde des égouts avant que la Fange humaine, qui est encore plus immonde, vous rattrape et vous la plonge de force dedans ... Ne penser qu'à soi, qu'à sauver sa sale peau qui, pourtant, vaut pas bien cher - en admettant qu'elle vaille quelque chose.

Seulement voilà, on a beau être lâche, on a beau se vouloir lâche et salaud jusqu'au bout de ses ongles bien noirs de crasse, voilà qu'on croise aussi, dans ce putain d'univers à la mords-moi-le-noeud, des Bébert condamnés par la Mort on ne sait pas même pourquoi, comme ça, un caprice, parce qu'il a hérité de mauvais gènes, parce qu'il tousse trop, parce que ... Parce que rien, peut-être. Est-ce qu'il faut une raison, pour mourir ? Demandez donc à la Guerre ce qu'elle en pense, elle ...

Et puis, il y a les Molly, si gentilles, si douces, si ... allez, on ose le mot mais n'allez pas répéter qu'on l'a écrit, hein ! n'oubliez pas qu'on est les rois des misanthropes et des misogynes, qu'y a que le "derrière" qui nous intéresse, et encore, comme qui dirait, par hygiène et toujours en se protégeant ... si bonnes, avec un coeur gros comme ça, tellement gros qu'on finit par se dire, émerveillé : "Mais comment que j'ai fait, moi, le minable absolu, celui qui ne vaut rien, pour mériter que ce coeur ait battu pour moi ne fût-ce qu'une seconde ?" (Parce que, rassurez-vous, m'sieurs-dames , on écrit comme on cause mais le français, cette langue unique, incroyable, on la connaît sur le bout de ses imparfaits du subjonctif et on la respecte trop - on l'aime trop mais le criez pas non plus sur les toits, ça ! - pour ne pas s'acharner à la travailler, à en faire une extraordinaire dentelle que vous mettrez des plombes et même des années à vous apercevoir que ça en est, de la dentelle, un lent, un savant labeur sans cesse repris, un peu comme à la Pénélope, voyez, la seule chose vraiment vraie dans votre vie de gueux, de médecin des pauvres, de salaud, de collabo, de fuyard, de prisonnier, de stigmatisé (comme le Christ, la bonne blague parce que, enfin, il était juif, le Christ ! ), d'écrivain, de génie ...

Et puis, y a Robinson Léon. Ah ! celui-là aussi, un fameux salaud mais une si belle gueule d'embrouilles à peindre et à repeindre : profiteur, gigolo, voleur, buveur, fuyard lui aussi, lâche bien sûr, crampon emberniqué, toujours prêt à se coller à vous, y compris quand c'est pour vous balancer dans l'escalier, dans la crypte des momies de la mère Henrouille ! Robinson : rien que le nom, c'est tout un programme. Et puis, à bien y regarder, on dirait un double de celui qui écrit, un double encore plus salaud - et encore plus blasé, et pourtant, ça peut pas être possible. Robinson, qui termine avec deux ou trois balles dans le buffet, tirées par une bonne femme complètement hystérique, le genre de femmes qu'il attirait alors qu'il se donnait un plaisir vache à repousser les filles vraiment gentilles. Ah ! Robinson ! Quand on dit ton nom à tous ceux qui ont lu Céline, naissent de petits sourires entendus, des sourires qui savent (ou qui croient savoir), et puis des airs blasés, les airs de ceux à qui on ne la fait pas.

Oh ! pis, les Henrouille ! Les Henrouille, qu'on allait oublier, bordel ! le fils et la bru ! On a beau s'appeler Céline, on a beau en avoir vu des vertes et des pas mûres, on s'arrête au moins une minute devant cette formidable double mesquinerie en majesté. Pires que deux gisants squelettiques, bien pires que les "momies" que leur mère et belle-mère, la vieille Henrouille, fait visiter à Toulouse avec Robinson après que celui-ci a raté le beau coup monté par le fils et la bru, à savoir ratiboiser la vieille d'un bon coup de pétard en pleine poire ! le fils et la bru Henrouille, ils ne pensent, ils ne causent, ils ne sont qu'argent, fric, oseille, flouze. A ce niveau-là, c'est plus la crainte de manquer, c'est la folie de posséder tout, tout qui les tient, ces deux-là - à commencer par ce qu'a la vieille ... Ah ! si seulement elle acceptait qu'on la mette chez les Bonnes Soeurs ! Mais, bien sûr, elle refuse, la vieille gaupe ! Et le Dr Bardamu n'est pas assez complaisant pour faire le certificat qu'y faudrait ! Et c'est pour ça, M'sieur le Juge ... pardon, Mesdames et Messieurs les Lecteurs, qu'on s'est vu obligés de monter cette affaire avec ce crétin de Robinson, cet affaire qui a si mal tourné ... Et puis après, un malheur ne venant jamais seul, y a le fils qui est mort, lui aussi, comme ça, M'sieur l'Ju ... M'sieur le Lecteur, comme une chandelle qui s'éteint . La malchance, mon bon monsieur, même si le Dr Bardamu, Ferdinand de son prénom - vous connaissez peut-être ? - il a eu de mauvaises pensées comme quoi moi, la bru, la veuve Henrouille désormais, j'aurais ...

Faut bien avouer que, question imagination, le Dr Bardamu, y s'pose un peu là, 'pas, M'sieur le Lecteur ?

N'empêche, y a une chose sur laquelle il a raison, le Dr Bardamu, quand il écrit sous le nom de Céline : le Voyage - au bout de la Nuit, au bout de la Vie - il est sacrément long et mouvementé. Parfois, on croit qu'y se passe rien, que tout est terne, fade, déjà en putréfaction. Et puis on s'aperçoit qu'on a mal vu, que tout grouille de vie et que, si l'asticot nettoie tout bien comme il faut, dans un an, y aura à nouveau de la terre et de la terre pourra surgir ...

... tout ce qu'on voudra.

C'est pour cela, m'sieurs-dames, que Céline, il est génial. Plus noir que lui, plus tordus que ses raisonnements, plus féroce que son humour, plus absurdes que ses "héros" comme son colonel qui attend de se faire tuer, au début du roman, bien en vue sur une route, toute l'armada de passagers de l'Amiral Bragueton (le navire qui l'emmène vers l'Afrique) qui veulent lui faire la peau on ne sait pas trop bien pourquoi d'ailleurs, ces Noirs et ces Blancs de la "Compagnie Pordurière" (goûtez-moi ce mot : c'est du fameux ! ), ce prêtre qui le vend, encore tout paludineux, à des esclavagistes, ces Américains qui finissent par le lasser (même la pauvre Molly qu'il regrettera pourtant), ses Lola, ses Musyne au cul en porte-feuilles, si vous voyez ce qu'on veut dire, toutes ces concierges dans leurs loges écrasées et asphyxiantes, à commencer par la tante du petit Bébert, et ce menu peuple de Rancy à qui Bardamu finit par fausser compagnie en laissant des dettes, et puis ces médecins experts en psychiatrie comme l'ineffable Baryton ou le silencieux Parapine, ancien professeur de l'interne Bardamu, et puis les Henrouille, comme on vous l'a déjà dit, la Sainte-Trinité des Henrouille, le fils, la bru et la mère-belle-mère, et ce Judas de Robinson, planant au-dessus de toutes et de tous, Robinson qui, bien sûr, ne peut être tiré comme un lapin de foire que par une femme qui se prénomme Madelon, comme dans la chanson, cette chanson si célèbre pendant la Grande guerre - cette Grande guerre d'où Bardamu et Céline sont revenus inextricablement unis ... non, c'est dur de faire mieux. Surtout dans ce style inimitable, qu'on savoure comme, oui, je n'hésite pas, moi, à l'écrire, on savoure tous ceux que j'ai cités plus haut - et tous ceux que j'ai oubliés : la Yourcenar des "Mémoires d'Hadrien", le Faulkner des fabuleux premiers romans et tant d'autres ...

Même aussi bien, personne n'a jamais pu. On ne fait pas du Céline : on NAÎT Céline. Pour le meilleur comme pour le pire.

Céline, c'est le Coup de Foudre instantané et l'Allégeance Inconditionnelle.

Ou alors, Céline, c'est celui qui, pour toute une bande d'enragés de la moëlle épinière et d'agités du bocal, ne sera jamais que l'auteur de "Bagatelles pour un Massacre", pamphlet qui, certes, n'ajoute rien à sa gloire. Notez que ces particuliers-là, qui se croient toujours en 45, ils ne savent même pas que Céline a écrit bien d'autres textes et que, en plus, il avait un faible pour les théories de Freud. Oui, m'sieurs-dames, ces cons-là, ils rêvent même aujourd'hui de faire interdire Céline sur tous les rayons de bibliothèques de France - pour commencer.

Vous voyez leur niveau, quoi ? Et y a pas que question mental, chez ces rabougris du cervelet et du coeur : y a aussi toute leur jalousie, toute leur médiocrité, toute leur haine pour une hauteur dans le génie de l'écriture qu'ils n'atteindront jamais.

Alors, puisque, j'en suis certaine , vous n'êtes pas comme ces dictateurs de la pensée, courez vous acheter Céline. En Pléiade, en poche, peu importe, avec les illustrations de Tardi ou pas, peu importe : mais achetez-le, cultivez-le, diffusez-le, chantez-le, éructez-le, déclamez-le ou, plus simplement, lisez-le. ;o)
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J'ai adoré les premiers chapitres, la 'folie' qui permet à Bardamu d'échapper au front, l'infirmière américaine Lola, goûteuse de beignets, Musyne, musicienne un peu trop sensible au charme argentin, les électrochocs du professeur Bestombes, l'abominable exploitation des nègres aux colonies.

Un discours fort, à la limite de l'inconvenant, une envie de gerber atténuée par une bonne dose d'autodérision.

Mais les filles qu'il baise et tripote à New York, docteur à Paris, fuite à Toulouse avec l'invincible Robinson,... ça devient n'importe quoi, lassant. J'arrête pas de décrocher, avec une écriture agaçante que j'me dis que j'ai déjà lu et qu'alors ça m'évoque l'attrappe-coeurs de Salinger en remplaçant les rognures d'ongles et boutons d'acné par les puces et les poux.
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Qu'écrire de pertinent qui n'ait été déjà dit sur cette oeuvre qui, à ma grande surprise, supplante tout ce que j'ai pu lire auparavant.

Céline l'a assez répété : son oeuvre, c'est le style. Point. Tant pis pour les surinterprétations. Voyage au bout de la nuit n'est pas une oeuvre philosophique, encore moins un enseignement de vie.

Voir à ce sujet cette entrevue : https://www.youtube.com/watch?v=WmL56-cFrz4&t=615s

Ce roman, c'est une sensation. C'est un long frisson de dégoût douloureusement agréable. C'est une douce nausée, une conscience pleine et une sincérité aiguisée comme un rasoir. On n'en sort pas indemne. le style percussif, capable d'encrer la sublîme oralité du langage parlé dans une aventure, un voyage au plus profond du malheur, qu'il soit celui de la guerre, de l'ennui, de la vaine quête de sens et de la fatigue. de ces pérégrinations naissent une poésie malgré elle, un papillon irisé dans le mazout où on ne l'attendait pas. Voyage au bout de la nuit est poétique au delà de tout.

"Je l'avais bien senti, bien des fois, l'amour en réserve. Y'en a énormément. On peut pas dire le contraire. Seulement c'est malheureux qu'ils demeurent si vaches avec tant d'amour en réserve, les gens. Ca ne sort pas, voilà tout. C'est pris en dedans, ça reste en dedans, ça leur sert à rien. Ils en crèvent en dedans, d'amour."

D'autre part, on dit souvent qu'il faut séparer l'oeuvre de l'auteur. "J'aime l'oeuvre de Céline, pas l'Homme nous dit Luchini." Mais bien sûr qu'il se trompe. L'oeuvre et son auteur font corps, quels que soient ses convictions et engagements, ses excès et prises de positions. On ne garde de Céline qu'un aspect que je ne rappellerai pas tant il a été épuisé. Mais on oublie trop souvent qu'il s'agissait d'un médecin qui a soigné les pauvres toute sa vie, recueilli chiens, chats et oiseaux et autre animaux errants, un pacifiste qui refuse la guerre plus que quiconque. Je connais des gens aux propos bien plus apparemment modérés qui ont déclenché, participé ou cautionné des massacres de masses tout sourires, c'est même assez à la mode. Dans un monde où l'opinion est pré-conçue et où on ne s'informe peut-être plus assez par soi-même, il est facile de tomber dans une facilité manichéenne. Notez bien-là que je n'émets aucun avis quant à ses propos polémiques. Il s'agit d'une expérience de l'oeuvre uniquement. Il est juste d'adopter une position modérée et informée, de prendre en compte le bon et le mauvais dans Céline pour en comprendre toute l'essence.

"Je refuse la guerre et tout ce qu'il y a dedans. Je ne la déplore pas moi... Je ne me résigne pas moi...Je la refuse tout net avec tous les hommes qu'elle contient, je ne veux rien avoir à faire avec eux, avec elle. Seraient ils 995 millions même et moi tout seul, c'est eux qui ont tort et c'est moi qui ai raison car je suis le seul à savoir ce que je veux : je ne veux plus mourir."

Quoiqu'on pense de Céline, on lui doit au moins le respect de ne pas le dissocier de son oeuvre. du reste, il appartient à chacun de se faire son opinion.
Voyage au bout de la nuit est le cri le plus désespérément humain d'un homme battu par la vie. C'est une consciente déchirante de l'absurde en somme, ça me rappelle l'Etranger...

C'est peut-être ça qu'on cherche à travers la vie, rien que cela, le plus grand chagrin possible pour devenir soi-même avant de mourir

Si vous ne l'avez pas encore lu, choisissez un moment dans votre vie ou vous ferez le choix d'emprunter ce court chemin au bout de la nuit, dans les tripes, la merde et le vomi, la conscience, l'amour et la vie. Cela changera à coup sûr, la vôtre pour toujours.

"Évidemment Alcide évoluait dans le sublime à son aise et pour ainsi dire familièrement; il tutoyait les anges, ce garçon, et il n'avait l'air de rien. Il avait offert sans presque s'en douter à une petite fille vaguement parente des années de torture, l'annihilement de sa pauvre vie dans cette monotonie torride, sans conditions, sans marchandage, sans intérêt que celui de son bon coeur. Il offrait à cette petite fille lointaine assez de tendresse pour refaire un monde entier et cela ne se voyait pas.
Il s'endormit d'un coup, à la lueur de la bougie. Je finis par me relever pour bien regarder ses traits à la lumière. Il dormait comme tout le monde. Il avait l'air bien ordinaire. Ça serait pourtant pas si bête s'il y avait quelque chose pour distinguer les bons des méchants."
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Je viens de relire le voyage. Ça fait un moment que je voulais m'y coller mais je reportais, je rechignais, j'avais peur d'être déçu. Les amours de jeunesse, on sait comment ça peut tourner, et puis Céline, y a pas à dire, c'était une belle crapule. On n'a pas trop envie de gratter là où ça fait mal. Donc, j'ai pris mon courage à deux mains et j'y suis retourné avec circonspection au début, et puis sans, juste après. Je viens de refermer le livre et ça m'a tellement motivé que j'ai pris mon clavier pour le dire, et même pour le clamer : Il est toujours à la hauteur, à savoir jamais égalé.
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Ce premier rendez-vous avec Céline est pour le moins désarmant.
Ce voyage initiatique nous présente un héros qui déambule et fuit poussé par des expériences décevantes. Il échappe à la guerre, à l'Afrique, et surmonte les obstacles de l'immigration. Il résistera à l'exploitation aux USA, retournera en France et deviendra médecin et finalement directeur d'asile...

Ouf! quel périple, quel voyage intérieur semé de tribulations.
L'écriture de Céline est marquée par le symbolisme et par la contradiction. A force d'insister sur les malheurs, les maladies, les morts, il verse dans l'irréalisme, voire dans le fantastique.

Sa façon de dérouler les phrases avant les événements est souvent ironique. Il abuse de phrases scabreuses, pleines d'argots et de termes familiers qui rappellent une comédie.

Le syndrome de fuite de Bardamu fait que le temps qui passe est vécu comme une hantise. Et finalement sa quête est une recherche sans objet défini.


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J'ai mis un temps fou à lire ce livre mais je me suis accrochée (un chapitre par ci par là) tout simplement je pense parce qu'il fait partie des grands classiques et que je voulais comprendre et pouvoir réagir la prochaine fois que j'en entendrai parler.
Au début, j'ai été emportée par ma lecture. Toute la partie sur la guerre, je l'ai reçue comme un coup de poing dans le coeur. J'ai sué sang et eau avec Ferdinand et je n'avais qu'une hâte : sortir de ce charnier dans lequel j'étouffais.
Puis, l'Afrique et l'Amérique. Là, les pensées racistes de l'auteur affleurent dans l'écriture et cela m'a sincèrement dérangée. Surtout que j'ai vécu en Afrique et je ne pouvais pas lire certaines phrases sans me révolter.
Et retour en France et voilà que notre Ferdinand qui n'avait jusque là rien d'exceptionnel (bien au contraire) devient médecin ! Ceci dit, ce n'est pas son métier ou ses connaissances scientifiques qui vont le sortir de sa condition misérable. Car il continue à se plaindre, à maugréer, à subir, à voir tout en noir et même à le provoquer.
Bref, vous l'aurez compris, cela n'a pas été une révélation pour moi, sauf en ce qui concerne la 1ere partie. Plusieurs fois, j'ai regretté que tout ne soit pas dans la même veine. Ferdinand m'a souvent révoltée et toujours profondément ennuyée.
Lecture laborieuse mais que je suis néanmoins contente d'avoir faite.
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Le jardin après Céline.
On laisse ici de côté tout ce qu'il y a de discutable dans l'oeuvre de Céline pour s'intéresser à son entreprise de destruction des illusions qui non seulement jalonnent toute existence, mais en formatent la plupart.
Au sortir du « Voyage au bout de la nuit », le lecteur se trouve acculé à cette question décisive et lancinante, capable de déstabiliser les meilleures volontés : « à quoi bon ? » C'est une question qu'on peut chercher à éviter en se barricadant dans des certitudes en plomb ou en or, mais qui nous rattrape tôt ou tard lorsque cesse l'étourdissante agitation et que tombent les masques sociaux.
C'est idiot pourtant. L'herbe pousse et cela lui suffit. Si elle est empêché de pousser, jusqu'à se dessécher, elle flétrit, se décompose, et ce qu'il en reste sera recyclé. Et cela suffit. Si je pense et si j'écris (je suis en train de le faire), dans le but de partager les idées qui se sont formées en moi, et que cela n'intéresse personne, en tout cas personne à ma connaissance, « à quoi bon » ? Si je plante des tomates plus qu'il n'en faut mais que je ne trouve personne à qui en donner, « à quoi bon » ?
C'est idiot pourtant. Rien ne m'oblige à poursuivre des buts qui ne dépendent pas de moi, comme d'écrire ou cultiver pour d'autres. Si j'écris ou cultive des tomates en abondance parce que j'aime le faire, et que j'aime le faire parce que je le fais naturellement, poussé par ma nature, cédant à son élan, alors, comme les fruits de l'arbre dont la plupart des graines ne donneront pas de nouvel arbre, je pousse, et cela me suffit. Si j'en suis empêché, je serai recyclé, et cela suffit.
Je vis, donc je suis la vie. Quelle merveilleuse certitude que de participer à la vie, quels que soient les jugements que je porte sur la quantité et la qualité de ce qu'elle me donne. Elle ne peut pas ne rien me donner : maintenant que j'en fais partie, c'est trop tard.
Je peux certes légitimement souhaiter recevoir plus ; désirer être entouré d'amis, vivre dans la douceur, un monde meilleur, etc. Je peux croire, à tort ou à raison, que je le mérite. Mais « à quoi bon » ? J'ai reçu quelque chose, je fais partie de la vie, la vie est ma patrie ; et j'y ai un jardin, et j'y suis un jardin.
Quels que soient les jugements que je porte sur la quantité et la qualité de ce jardin, j'en suis l'heureux jardinier. Si je jardine, comme je peux, comme j'apprends, comme la vie m'y pousse, cela suffit.
Il y a un sourire, il y a une joie, les voilà : si je jardine, le jardin croît, les fleurs éclosent, les fruits sont là, la vie recycle ; je ne sais pas comment, mais elle recyclera, nul doute à ce sujet, cela suffit.
J'ai, je suis un jardin.
Il faut cultiver son jardin.
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"La vie c'est ça, un bout de lumière qui finit dans la nuit."

Relire le Voyage, à trente années de distance, constitue une expérience intrigante : le choc premier de la confrontation avec une langue audacieuse et une aventure picaresque laisse la place à la sidération face à la rémanence du désespoir absolu qui imprègne le roman. L'odyssée de Bardamu (mû par son barda) est bien, en cela le titre est clair, une errance à tâtons : après l'obscurité, la chute...

Mort qu'on donne ou qu'on vous octroie, la camarde (à crédit déjà) imbibe l'écriture de Céline. Omniprésente, elle madéfie le héros et ses tristes comparses. le Voyage est une longue digestion, une aspiration vers la grande déliquescence : le cheminement toujours, très peu de pauses.

Le nihilisme célinien est lancinant, nul ne trouve grâce à ses yeux chassieux si ce n'est une vieillarde et un gamin, Bébert, la première que la vie n'aura pas gangrenée, le second que la mort empêchera de faisander. Pour le reste de l'humanité, Céline la réduit à ses seules fonctions biologiques, bâfrer et jouir, que transcende à peine une haine universellement partagée. "A mesure qu'on reste dans un endroit, les choses et les gens se débraillent, pourrissent et se mettent à puer tout exprès pour vous."

L'écriture est somptueuse cependant qui déploie une langue parlée subtilement composée : Céline chrysostome subjugue le lecteur orpailleur. On s'ébaudit à ses barbarismes coquets ou à ses phrases à rappel, on reste médusé face à ses fulgurances poétiques et on applaudit à ses aphorismes désespérés. le génie y exsude à chaque phrase ce qui atténue la faiblesse de l'histoire souvent répétitive, trop souvent atone et la pauvreté de l'onomastique célinienne (piteuse la plupart du temps).

Dans cette vadrouille en noir et blanc, des étapes me sont plus précieuses que d'autres : les premières pages sur la guerre, la vie au front et à l'arrière sont fort justement célébrées de même que celles, si drôles, sur l'Afrique et ses miasmes (colons, moustiques et fièvres) mais ô combien je leur préfère celles qui décrivent la grisaille délavée de Rancy, triste banlieue qu'arpente le docteur Bardamu ; Céline s'y montre moins âpre, plus indulgent...

Crachat à la face du monde, le Voyage n'en a pas fini de propager ses bacilles et c'est tant mieux. Décidément, "Il n'y a que (Céline) pour savoir rendre la vie agréable malgré toute cette moiteur d'agonie !"
Lien : http://lavieerrante.over-blo..
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Evidemment Céline !
Une écriture en coups de poings dans la gueule par lesquelles les cicatrisations font naître un nouveau visage, un nouveau regard.
Le voyage est une plongée dans l'humaine condition d'un temps, de tous les temps. Un voyage au coeur des injustice et de la noirceur de l'âme humaine, une âme vieille et noircie depuis 60 000 ans ! Céline n'aborde pas la lumière ! Mais comme disait Léonard de Vinci pour faire ressortir la lumière je travaille l'ombre.
Céline m'a permis de comprendre et de prendre garde à mes colères qu'elles ne doivent jamais se transformer en haine.
Si l'injustice reste, il vaut mieux prendre les habits de la tristesse et de la mélancolie pour la diluer que ceux de la haine ou du bourgeois mépris !
Une amie m'a peint un jour un portrait de lui à l'huile sur bois ! Ce tableau est toujours à ma gauche pour me rappeler que le génie n'est excuse pour Rien !

Lien : https://tsuvadra.blog/2019/1..
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