Pour la majorité des jeunes lecteurs, des jumeaux entretiennent une relation de fratrie spéciale, plus que complice, sans doute fusionnelle.
Nourris dès la naissance de l'idée d'être deux tout en ne faisant qu'un, nous les imaginons souvent enfants vêtus à l'identique, complices sans se parler ou finissant les phrases de l'autre.
Ici, avec "
Virgile ou le saut de l'ange",
Alexandre Chardin nous proposera le complet opposé de l'idée: deux jumeaux que la séparation des parents aura divisé.
Virgile vit avec sa mère, Romain avec son père.
Virgile est éclopé et borgne. Il y a de quoi peut-être en vouloir à la terre entière d'avoir de temps à autre une version complète de lui-même qui prend sa place un we sur deux ( oui, car les jumeaux se croisent et partagent les parents en semaine, les we, mais ne passent pas de temps ensemble. Jamais).
Virgile est un orage et Romain un taiseux.
Virgile ne sera pas celui des deux soumis à l'agressivité de l'autre, il est celui qui lancera les éclairs d'un regard, de son oeil unique, il est celui par qui la tempête va souffler. Car
Virgile déteste son frère Romain.
C'est assez original pour le roman, Romain est devenu selon ses mots "l'autre". Un ennemi, un double toxique.
Et pourtant en lisant le roman, c'est
Virgile qui nous fera la pire impression, toujours sur la défensive. Et parfois, il "tire" sa colère comme un jet de pierre.
Le plus souvent, on en veut aux parents qui se séparent et les enfants se serrent les coudes, restent soudés, ancre de stabilité, ballotés ensemble d'un côté et de l'autre. Ici, les parents devront s'échanger des enfants qui ne veulent plus se fréquenter. C'est compliqué.
Et nous ne saurons pas de suite ce qui s'est passé pour que
Virgile soit blessé au propre comme au figuré.
Sur le cas "
Virgile", nous serons partagés entre de la pitié et une forme de compréhension entendue de son cas, sans comprendre encore le pourquoi. Il a un oeil en moins, il boite, cela suffira à excuser sa rudesse et ses pics, se dira t-on un peu gêné.
C'est peut-être de cette gêne que découlera la grogne du jumeau sauvage.
Mais attention,
Virgile n'est pas une victime, il est le chef d'une petite bande qui le craignent autant qu'ils le respectent, qu'ils l'aiment à leur façon, avec Théo, Mei et Pic le grand.
Leurs escapades à vélo suffira à nous faire oublier que dans son coeur,
Virgile semble un peu barriquadé et seul.
Cela va pas mal se chahuter lorsqu'ils trouveront l'accès d'un vieux fort abandonné. Leur cabane.
Nous serons à deux doigts de l'implosion entre Théo et
Virgile pour savoir quoi chercher et comment s'organiser dans ce petit royaume rien qu'à eux.
Et le ton montera d'un cran lorsque une amie de Romain qui surveillera le groupe assez régulièrement l'invitera à suivre le gang de
Virgile dans le vieux fort.
Songe t-elle à leur râvir le lieu secret?
On s'attendra inévitablement à ce que les jumeaux se livre une petite guerre et règlent enfin leurs comptes, chacun avec sa bande ou seul à seul.
Ce titre est un peu plus coup de poing que d'autres récits d'
Alexandre Jardin. Il nous a souvent raconté des histoires d'amitiés contrariées mais, on doit l'avouer, pas à ce point.
Le choix des jumeaux est bien vu pour traduire une amitié importante, profonde, qui s'est brisée. C'est inévitablement un peu tendu et violent, avec l'idée très soudée que l'on se fait des jumeaux.
Et ce fait nous motivera, en plus de la petite tranche de vie ados dynamique à l'amour vache bien écrit, à aller jusqu'au bout, pour savoir si il y a encore une chance que
Virgile et Romain puissent redevenir frères.
Ça se lit très bien, les phrases courtes participeront bien à restituer l'idée de jeunes qui traineront ensemble parce qu'ils sont bien ensemble, mais qui ne sauront pas se démontrer avec des mots qu'ils s'apprécient. Pas de tendresse, des silences et un ton impératif viril de commandement pour s'adresser la parole plutôt que de grandes et longues discussions d'amitiés complices.
Pourtant, avec Romain, il faudra bien parler.
On a bien aimé.