Stratégie, et anticipation d'un autre temps à aborder en tant que tel, sans en retirer sa valeur initiale.
Intéressant à connaître pour culture générale et sujet de comparaison avec l'actualité de l'instant.
Commenter  J’apprécie         20
Naturellement, à la guerre, on cherche toujours à mettre de son côté les chances de succès en misant sur certains avantages physiques ou moraux. Mais ce n'est pas toujours possible et on doit souvent entreprendre quelque chose contre la probabilité, et c'est à vrai dire le cas lorsqu'on ne peut rien faire de mieux. Céder ici au désespoir serait nous priver de notre réflexion rationnelle, au moment précis où elle nous est le plus nécessaire, alors que tout semble s'être ligué contre nous. Par conséquent, même si la probabilité de succès nous est défavorable, il ne faut pour autant regarder l'entreprise comme impossible ou déraisonnable ; elle sera toujours raisonnable à partir du moment où nous ne pouvons rien faire de mieux et où nous faisons du mieux que nous pouvons avec les moyens limités qui sont les nôtres. La difficulté en pareil cas est de ne pas perdre son calme et sa fermeté, deux qualités que la guerre met toujours à l'épreuve en premier en de telles circonstances et sans lesquelles les plus brillantes qualités de l'esprit ne servent à rien.
La conduite de la guerre en elle-même est une chose très difficile, cela ne fait pas le moindre doute ; la difficulté ne tient cependant pas à ce qu’ une érudition particulière ou un grand génie seraient requis pour saisir les véritables principes de la conduite de la guerre ; n’ importe quelle tête bien organisée en est capable, pour peu qu’ elle n’ ait pas de préj ugés et qu’ elle ne soit pas totalement ignorante de la chose. Même l’ application de ces principes sur la carte et sur le papier ne présente aucune difficulté, et le fait d’ avoir esquissé un bon plan d’ opérations ne représente pas non plus un grand chef-d’ œuvre. Toute la difficulté consiste en ceci :
Rester fidèle dans l’exécution aux principes qu’on s’est fixés.
Les représentations sensibles évidentes qui nous parviennent au moment de l’ exécution sont plus vivaces que celles que l’ on s’ est fixées auparavant au terme d’ une mûre réflexion. Mais elles ne sont que la première apparence des choses, et celle-ci ne correspond, comme nous le savons, que rarement de façon exacte à l’ essence. On est donc en danger de sacrifier la mûre réflexion à la première apparence.
Confrontée à la guerre, la philosophie semble intempestive, à contre temps. Elle se déploie quand la guerre n'est pas encore là, tentant de retenir tout ce qui pourrait prolonger la paix, ou quand la guerre n'est plus là, s'escrimant alors à penser la «réparation», panser les blessures, accompagner les deuils, réanimer la morale, rétablir la justice. Lorsque «la guerre est là», lorsque fusils d'assaut, bombes et missiles éventrent les immeubles, incendient fermes, écoles, hôpitaux et usines, rasent des quartiers entiers, laissant sur le sol carbonisé enfants, hommes et femmes, chiens et chevaux, lorsqu'on est contraint de vivre tremblant dans des caves, lorsqu'il n'y a plus d'eau potable, lorsqu'on meurt de faim et de douleur – eh bien la philosophie ne trouve guère de place dans les esprits. Peut-être est-ce là la raison pour laquelle il n'y a pas une «philosophie de la guerre» comme il y a une «philosophie du langage» ou une «philosophie de l'art», et que le discours de la guerre renvoie plus aisément à la littérature ou au cinéma, aux discours de stratégie et d'art militaire, d'Intelligence, d'histoire, d'économie, de politique. Pourtant – de Héraclite à Hegel, de Platon à Machiavel, d'Augustin à Hobbes, de Montesquieu à Carl von Clausewitz, Sebald Rudolf Steinmetz, Bertrand Russell, Jan Patoka ou Michael Walzer – les philosophes ont toujours «parlé» de la guerre, pour la dénoncer ou la justifier, analyser ses fondements, ses causes, ses effets. La guerre serait-elle le «point aveugle» de la philosophie, la condamnant à ne parler que de ce qui la précède ou la suit, ou au contraire le «foyer» brûlant où se concentrent tous ses problèmes, de morale, d'immoralité, de paix sociale, d'Etat, de violence, de mort, de responsabilité, de prix d'une vie?
«Polemos (guerre, conflit) est le père de toutes choses, le roi de toutes choses. Des uns il a fait des dieux, des autres il a fait des hommes. Il a rendu les uns libres, les autres esclaves», Héraclite, Frag. 56)
#philomonaco
+ Lire la suite