Ce dernier recueil de proses brèves de Marcel Cohen, comme les autres, je crois, est un livre à relire. Enthousiasmé par les critiques de France-Culture et par mes souvenirs de "Faits", je me suis procuré "Détails" et l'ai lu goulûment, comme on satisfait une pulsion. Il faut se garder de faire cela, car c'est le meilleur moyen de consommer le moins consommable des livres, et de l'oublier une fois le plaisir littéraire éprouvé. Ce plaisir immédiat n'est pas bien grand, car la sobriété de la prose, l'apparente simplicité du propos, nous refusent toute adrénaline (comme dirait Glenn Gould) et réservent au lecteur patient, ou au "relecteur", la lente montée du sentiment d'admiration (Gould : "a lifelong construction of a state of wonder"). Aussi les trois étoiles que je réserve au livre notent ma mauvaise lecture, plus qu'elles n'évaluent l'ouvrage.
Le détail, dans la littérature, est un ferment de révolution. Quand l'idéologie infeste les livres, comme aujourd'hui, elle y va avec de grands mots, des abstractions vides qui sonnent bien, des émotions et "indignations" généreuses qui font admirer ceux qui les éprouvent. Le plat commentaire tendancieux du réel occulte ce réel même. On ne sent plus rien, on ne voit plus rien, on n'entend plus rien de la parole concrète des hommes. Le monde s'efface derrière son commentaire bien-pensant. Le détail pourrait bien être le critère de la bonne littérature.
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Parmi les mammifères seul l'homme a des oreilles qui n'expriment aucune émotion. [...]
L'homme se demandait comment ce qui nous sépare des animaux a pu rester à ce point en friche. Dans ses rêveries, il lui paraissait singulier qu'un chien comprenne plusieurs mots quand aucun homme n'est devenu célèbre pour avoir appris à aboyer, à braire ou à hennir de manière convaincante. [...]
Avec les animaux, la franchise est si totale, si immédiate, si désarmante qu'il n'y a pas de proximité sans un reste de stupeur. Comment se fait-il que nous soyons si heureux ensemble, croit-on lire dans le regard des bêtes familières. Que nous arrive-t-il ? Est-ce normal ? Que veux-tu de moi ? Et pourquoi cette zone d'ombre persistante entre nous ?
De même, nous sommes incapables de dire ce que les animaux comblent en nous de si nécessaire. Aurions-nous à ce point besoin d'une reconnaissance, d'une confiance inconditionnelles, quoi que nous fassions, pour la seule raison que nous sommes nous-mêmes et personne d'autre ?
Comparés aux héros de roman, ses proches n'en ressemblaient pas moins à des ébauches. Il avait beau les aimer, ni défauts ni qualités ne suffisaient à leur donner une réelle consistance et ils manquaient singulièrement de lest. (...) A travers les livres, il ne voulait pas du tout s'évader, comme on le lui reprochait. Au contraire, il espérait trouver un surcroît de présence, une solidité qui dissiperait l'impression de flotter dans les rues. Il imaginait même un horizon hypothétique au-delà duquel tout pourrait enfin commencer.
pp. 100-102
De toute façon, qui peut dire ce qu'il pense tant qu'il ne l'a pas lu quelque part ?
p. 103
Jean Frémon La Blancheur de la baleine éditions P.O.L où Jean Frémon tente de dire de quoi et comment est composé son nouveau livre "La Blancheur de la baleine" à l'occasion de sa parution aux éditions P.O.L et où il est notamment question de Michel Leiris, David Hockney, Emmanuel Hocquard, Bernard Noël, Alain Veinstein, Etel Adnan, Louise Bourgeois, Jannis Kounelis, Jacques Dupin, Claude Esteban, Samuel Beckett, Marcel Cohen, Jean- Claude Hemery, Jean- Louis Schefer, David Sylvester, Edmond Jabès à Paris le 2 février 2023
"Ce sont des écrivains, des peintres, des sculpteurs.
Aventuriers de l'impossible. Ce sont des bribes de leurs vies. Tous des chercheurs davantage que des trouveurs. J'ai eu le privilège de les côtoyer. Ce qu'ils poursuivent est ce qui toujours se dérobe. La grâce est une fieffée baleine blanche."
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