Je n'irai pas par quatre chemins, ce livre est une petite merveille.
Un livre qui se tricote et se construit maille après maille, au fur et à mesure que les chapitres défilent, comme dans un film un peu étrange, une succession de flash back, tantôt en noir et blanc, tantôt en couleur. Les voix se succèdent, les narrateurs changent, les points de vue et les époques se mêlent, laissant poindre peu à peu ce qui les unit, ce qui les tisse ensemble, liés à jamais par cette histoire.
D'un côté un vieil homme qui se meurt, à Paris, en 2005, Poopdeck Pappy, de l'autre, un jeune homme, son fils qui tente de recomposer l'image de ce père qui ne sait plus très bien qui il est, qui ne le sait plus du tout à vrai dire. Entre les mains du fils, un carnet, le
journal du père, même pas sa vie ??? Peut-être, une des facettes, un de ses personnages, une de ses incarnations, peut-être la plus véritable au fond. Etrange
journal tout hérissé à la marge d'annotations saccadées, interrompues, reprises… Il y parle beaucoup de
Katherine Mansfield,
Kathleen… Et lui, lui dans tout ça, se demande son fils, son propre fils. L'avait-il déjà oublié pour ne jamais l'y mentionner ??
Fin 1922,
Katherine Mansfield, arrive un jour particulièrement froid et saisissant, dans la propriété récemment acquise par le célèbre
Gurdjieff à Avon, à deux pas de Fontainebleau. C'est sa dernière chance. Elle y croise Louis, le fils du gardien, dont la femme s'est pendue un jour dans le parc… Louis, alors adolescent, éprouve aussitôt pour cette femme, déjà à la frontière de la mort, une irrésistible attraction. Peu après il lui confie un pendentif, l'hippocampe retrouvé dans la main de sa mère. L'hippocampe, le fil ténu, le lien… il tremble légèrement et poursuit sa course lente à travers les époques, sautant d'une narration à une autre.
Mathurin, Louis, Charles Pardieu… Fils et petits-fils tous, semble-t-il frappés de la même malédiction la perte, la disparition atroce et sans nom de la femme aimée, mère ou femme, ou amante.
Et puis, bien sûr, il y a
Gurdjieff. le mage et ses disciples, sa secte qui n'en pas une, sa quête improbable et ô combien séduisante d'une autre dimension, liberté intemporelle, fondamentale et intangible. le chercheur d'éternité….
Que reste-t-il après la mort de tout ce que nous fûmes, une boue, un magma de choses informes, une tombe… Peut-être pas… Les dernières pages, les derniers mots éclairent tout le roman, renverse les certitudes, éclaire l'impossible quête d'une toute autre lumière.
Vous verrez, à votre tour, vous vous y perdrez dans ce livre, car il faut s'y perdre, s'immerger dans les mots, les lignes, les phrases, toucher du doigt un réel « tangible » pour replonger dans le rêve, un je ne sais où, où décidément le temps s'est arrêté, s'étire et enveloppe tout, les vivants et les morts.
L'histoire n'est pas aussi labyrinthique que mon discours charabia le laisse supposer, c'est juste que c'est un livre « nourrissant », plein et rond, qui vous donne du grain à moudre et des émotions à revendre. Bref, nécessaire et qui compte indubitablement dans la vie d'un lecteur.
« Tu disais
Kathleen, jamais Katherine. Tu m'as expliqué que tu avais vécu avec elle à Paris, que vous vous étiez quittés précipitamment mais que tu savais que la vie, au sens où toi tu entendais ce mot, finirait par vous réunir à nouveau. A l'époque, j'ignorais tout de cette femme, enfin, j'en savais assez, je savais qu'elle était morte. ».
Dans le
journal de
Katherine Mansfield, il y a ces quelques mots, écrits un soir de tempête :
« Je voudrais écrire un livre qui soit irréel, et cependant tout à fait possible. »
Irréel et tout à fait possible, tout comme ce
Kathleen de
Fabrice Colin.
« Des images se matérialisent, emplissent l'espace puis se dissipent, diaphanes. » écrit le vieil homme, en marge de son carnet…
A Noter et à lire plus sûrement que mon piètre billet :
L'avis de Transhumain ( (plus qu'un billet, une magnifique étude du roman) et son entretien avec
Fabrice Colin.
Des photos et dessins (respectivement de Caroll'Planque, et d'Elvire de Cock) émaillent le roman, comme des arrêts sur image…
Extrait :
(Note en marge du carnet de Poopdeck Pappy)
« Lorsque tous les instants d'une vie s'ajoutent les uns aux autres au lieu de se remplacer, lorsque tout ce que nous avons dit, fait, écrit, rêvé, si tous les gens que nous avons croisés, tous les endroits où nous sommes allés s'accumulent dans un espace circonscrit à raison de cinq images par seconde (ce qui est à peu près ce que l'oeil humain est capable de percevoir), et quand bien même l'espace en question serait aussi grand que Paris, voici ce que cette vie devient, une boue noirâtre, un flot ininterrompu de gens broyés, de souvenirs pillés, réduits en poussière, en bouillie, pressés si fort qu'ils s'en interpénètrent, deviennent indissociables, indissociés, indissociants, compacts, solides, réels. »
Editions de l'Atalante. 2006.
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