Le domaine traditionnel de
Cronin, c'est le romanesque, à connotation souvent médicale ou religieuse. Il s'aventure rarement dans d'autres secteurs, même s'il tient toujours à mettre dans ses romans une touche de critique sociale. Ainsi, chez
Cronin, pas de roman historique, pas de roman fantastique, pas de roman touchant à l'imaginaire. Pourtant à deux reprises il s'est lancé dans un domaine qui n'était pas le sien, le thriller. En 1940, il écrit «
La neige enchantée », une histoire romanesque encore, mais sur fond d'Anschluss (la scène se passe en Autriche juste avant la guerre), une histoire qui touche à la fois au policier et à l'espionnage (comme dans «
Les Trente-neuf marches » de
John Buchan). Il récidive en 1952 avec «
L'Aventure de Bryan Harker ».
Ecrit en 1952, sous le titre de « Escape from fear », ce roman ne fut traduit et diffusé en France qu'en 1978, sous le titre «
L'Aventure de Bryan Harker ». Pourquoi ce retard ? Mystère. D'autant plus que le roman avait eu du succès en Angleterre, au point d'être retenu pour une série légendaire de téléfilms (outre-Manche, car jamais diffusée en France), « Climax ». « Escape from fear » constitue le douzième épisode de la première saison, diffusé en 1955.
L'histoire se passe à Vienne (Autriche) en 1950. Bryan Harker est représentant d'une grande firme américaine. C'est un homme d'une trentaine d'années, pas vraiment bien dans sa peau, avec des crises d'angoisse et de peur panique. Sa vie sentimentale n'est pas beaucoup plus gaie. Pour son travail (une vente de bois flottant), il doit se rendre en zone russe. Arnold, un ami tchèque lui demande de profiter de l'occasion pour aller voir sa fiancée, et lui remet une photo de la jeune femme.
Et c'est là que les Athéniens… s'atteignirent, que les Perses… se percèrent et que les Croisés… se mirent à la fenêtre. Bref c'est là que les ennuis commencèrent : à cause de cette photo malencontreusement laissée sur la table d'un wagon-restaurant, Bryan va se retrouver embarqué dans une drôle d'aventure (enfin, pas si drôle que ça), poursuivi par la police secrète russe qui le considère comme un espion, et de plus tombé amoureux d'une femme aussi belle que mystérieuse…
Une histoire à la
Hitchcock (celui des premières années : l'innocent suspecté à tort qui doit fuir et en même temps prouver son innocence) qu'il faut replacer aussi dans le contexte de l'après-guerre, où l'Autriche, à l'époque, était partagée en quatre zone d'occupation : soviétique, américaine, britannique, et même française (Tyrol du nord et Vorarlberg, capitale Innsbruck). Cette situation durera jusqu'en 1955.
Cronin, une fois de plus séduit, à la fois par son histoire « qui tient la route », et le ton inimitable qu'il met dans chacun de ses ouvrages, que je ne saurais définir autrement que « empathie avec le lecteur » : il est peu d'auteurs (je ne vois que
Gilbert Cesbron qui puisse lui être comparé dans ce domaine) qui sache avec autant de naturel et de simplicité capter l'intérêt du lecteur (mais ça c'est le plus facile, tous les bons écrivains y arrivent), mais aussi attirer leur sympathie, les toucher au plus profond, leur parler d'eux-mêmes en parlant d'autres personnes ou d'autres sujets, et finalement, tout en les distrayant, les amener à réfléchir : c'est de la fiction, mais de la fiction intelligente, ni poudre aux yeux, ni fatras philosophique, juste la nature humaine, au naturel, avec un peu de romance et une belle pincée d'émotion et souvent aussi d'humour.