Le Colisée était toujours là, majestueux, grouillant de monde, à la fois dominateur et bienveillant pour ces touristes en tenues débraillées qui s’asseyaient sur les gradins, reconstituant la foule des jours des combats, et pour qui les cliquetis des appareils photo et les sonneries de portables avaient remplacé les cris et les huées des assistants. Aujourd’hui, les gladiateurs, ce sont les footballeurs, ils se font moins mal… les progrès de la médecine ont rendu les gens plus respectueux de la viande humaine, pensa le policier. Oui, enfin… sauf pour les criminels, on dirait que nous avons de plus en plus d’imagination quant aux moyens de trucider l’autre… Assis sur les marches, il avait l’impression d’être un citoyen attendant l’entrée des combattants. Nous sommes toujours pareils ! Des souvenirs de collège lui revinrent, cette citation de Juvénal : (Ce peuple qui) « autrefois, impérial, a donné des faisceaux, des légions, il n’attend plus maintenant que deux choses, du pain et des jeux ». Qu’aurait dit l’auteur en voyant ces gens accrochés à leurs smartphones, grimaçant devant des perches à selfies, certains jouant même à Candy Crush, vautrés sur les gradins du Colisée !..."
Il s’était assis en face de la toile du Caravage représentant la Vocation de Saint Mathieu, dans la chapelle Contarelli, et soudain, une sorte de rêve, de mirage, l’envahit. Le visage du jeune garçon au chapeau à plumes, éclairé par la lumière provenant de la fenêtre… Un autre visage se superposa, qui lui ressemblait un peu, mais qui en était une vision moins achevée, comme un pastel qui est la première esquisse d’un tableau. Quelque chose remontait du plus profond de sa mémoire, le pastel se précisait, devenait peinture, photo, prenait vie. Pourtant, il était déjà venu, il connaissait ce tableau, mais, pourquoi aujourd’hui ? C’était comme une brève réminiscence incompréhensible, le souvenir d’un tout jeune visage… mais un visage encore vivant, alors… Il ne parvenait pas à détacher son regard de cette vision, de cette figure éclairée, dont on ne savait pas qui il représentait. La main au doigt tendu était celle du Christ, désignant Matthieu, le collecteur d’impôts, mais il y avait une ambiguïté sur les personnages. Des larmes lui montaient aux yeux, il se crispait pour les ravaler, mais continuait de fixer le tableau.
Rockwell attendit calmement que Panella revienne dans son bureau après avoir raccompagné Monsieur Fux. Il essaya de relire ses notes, mais sentit qu’il ne parvenait pas à se concentrer, une énorme envie de rire le prenait, qu’il savait pouvoir réfréner, mais qui lui brouillait les idées. En même temps, l’air de Rigoletto « Comme la plume au vent » lui trottait dans la tête, tant le personnage évoquait celui du duc de Mantoue. Oui, le nommé Porfirio Fux semblait sortir d’un opéra de Verdi ou d’une comédie de Goldoni. Lorsque le Commissario Capo revint, les deux hommes se regardèrent, il y eut un instant de silence et l’italien éclata d’un rire sonore en désignant la porte du pouce. Quint-William ne put que l’imiter, un peu plus sotto voce pour ne pas ternir sa réputation de policier anglais, on sait se tenir, que diable !