Il n'est jamais désagréable de s'offrir deux heures de lecture d'un roman noir de
Frédéric Dard. Alors pourquoi s'en priver ?!
Celui-ci a pour décor une grande et vieille bâtisse qui sert d'école primaire aux "Martiens" des alentours, des enfants de paysans ardéchois, des petits "péquenots" qui n'ont comme horizon que le Certif et une vie à cultiver...la terre...
L'école, c'est celle de Glunois, un petit bourg de la "France profonde" du milieu ou de la fin des années cinquante.
En fait, Dard a transformé le nom du village qui est Glun pour lui donner celui de ses habitants que sont les Glunoises et les Glunois.
Cet au-milieu-de-nulle part se situe à vingt minutes de Valence et dix minutes de Tournon.
La commune compte à ce jour 693 habitants.
Mais revenons à l'école, épicentre de l'histoire dont je vais m'efforcer de vous dire quelques mots sans trop révéler...
Il y a deux classes, une pour les petits et une autre pour les grands.
Celle des grands est dirigée de main de maître ( oh le vilain jeu de mots ! ( sourire ) ) par Julien Avène, un homme de trente-six ans, aigri, bourru, alcoolique, marié à Marthe, une femme mère possessive de cinquante-quatre ans, qui sur-veille son enfant de mari ( encore un vilain jeu de mots !...) comme elle le fait de la prunelle de ses yeux.
La classe des petits attend une nouvelle maîtresse.
Celle-ci débarque l'avant-veille de la rentrée scolaire.
Françoise Cassel a dix-neuf ans.
Elle est jolie, sexy, citadine... innocente. Elle n'a pas épousé l'enseignement par vocation mais à cause de soucis pécuniaires.
Aussitôt qu'elle l'aperçoit, Marthe sait que cette jeune et trop jolie femme va bouleverser sa vie et celle de son mari...
Entre l'institutrice stagiaire et son "directeur" l'entente ne va pas être des plus cordiales.
Pour Françoise, l'homme est laid, c'est un poivrot grossier, répugnant et capable de violence. Il lui fait peur...mais c'est un bon enseignant.
Pour Julien, sa "collègue" est une novice , une qui vient de la ville avec ses préjugés, une bourgeoise élevée dans la soie qui n'est faite ni pour ces gens-là ni pour ce métier-là... mais elle est pleine de bonne volonté, les "Martiens" l'aiment, et elle est farouchement belle.
Tout en la formant, Julien s'enfonce de plus en plus dans l'alcool.
Après une altercation durant laquelle la jeune enseignante a traité son directeur de poivrot, Marthe fait appel à la jeune femme pour l'aider à venir à bout de l'alcoolisme de son mari.
Pour ce faire, elle invite l'institutrice à dîner le soir même avec eux...
Françoise ne se doute pas que cette invitation est un traquenard, un piège dont elle va ressortir ivre morte, devenue l'enjeu d'un couple qui, avec elle, joue sa survie...
150 pages qui se lisent plaisamment.
L'intrigue se tient même si je ne l'ai pas trouvée "renversante".
Les personnages sont crédibles mais restent cependant trop esquissés, pas assez creusés.
Dard fait l'effort d'une étude de moeurs paysannes qui est loin de valoir celle d'un
Franck Bouysse, d'une
Marie-Hélène Lafon ou d'un
Jean Giono,
Il y a quelques étincelles qui font penser à l'esprit de répartie du père de
San Antonio mais elles sont trop rares.
J'ai lu que la fin de ce petit noir était tout à fait inattendue... pour ma part, je l'ai trouvée théâtrale... du suspense en carton-pâte... Bon, c'est affaire de goûts !
Lorsque je dis théâtral, c'est dans un but "constructif". Car Dard a mis beaucoup d'éléments dans son roman qui relèvent de la tragédie et conséquemment du théâtre.
Il n'est qu'à s'arrêter un instant sur la barbe de Julien que Françoise trouve inadaptée à son visage car, dit-elle, "on dirait une barbe postiche". Or, Marthe tient à ladite barbe qui permet d'atténuer la différence d'âge entre le jeune mari et la vieille épouse. Et la barbe va jouer un rôle non négligeable dans le déroulé du drame.
On ne peut pas évidemment passer à côté du rôle des deux serpents... n'est-ce pas William ?
Comme il est difficile de ne pas évoquer le rôle très tchékhovien des pistolets.
Pas plus qu'on ne peut passer sous silence le comportement très "tragediante" de Julien faisant une tentative de suicide par amour en avalant cul sec un litre entier de Marc...
L'apothéose sacrificielle de Marthe met un point final à cette théâtralisation de ce polar noir dont les ficelles m'ont paru trop grosses...
Mais vous pourrez le lisant en trouver d'autres. Une ou deux pistes : la virginité déflorée de Françoise dans un jardin... le partage du poison qu'est l'alcool entre les deux amants prêts à s'en remettre au fatum etc etc
Fin de la parenthèse théâtrale.
Un petit mot encore sur la lettre manuscrite que Françoise adresse à à la toute fin au juge... je dirais si j'avais à apprécier la composition de l'élève Dard "aurait pu mieux faire !"
Très largement inférieur à –
le pain des fossoyeurs -, à –
La crève -, moins bon que –
C'est toi le venin – ou –
Les salauds vont en enfer -, cet "accident de parcours" a néanmoins le charme vipérin que seul (?) pouvait lui donner un auteur ayant un "Dard" à la hauteur ( lisez et vous comprendrez...).
Je ne regrette pas cette lecture, car même lorsque ce n'est pas du grand Dard, il en reste quand même une trace inexplicablement envoûtante.
Je ne saurais par ailleurs conclure un roman qui se déroule dans le milieu de l'enseignement sans paraphraser librement
Alphonse Allais en citant en guise de morale à cette histoire cette phrase célèbre du Maître : " Un(e) cocu(e) est un entier qui partage sa moitié avec un tiers."