Je viens de terminer ce livre rare, étonnant , recommandé par Aléatoire dont les prescriptions sont toujours une découverte, une richesse, et un plaisir.
Le voici désormais devenu , pour moi, une sorte de livre de chevet.
Baedecker des Introuvables, miscellanée de grands Maudits, Réservoir Dog d'ivresses secrètes, puits creusé de nouveaux vertiges, cumulus d'orages désirés.
Je l'ai lu lentement, parce qu'il se déguste à petits pas lents, curieux, attentifs.
Comme on arpente la galerie d'un musée inconnu ou fermé depuis longtemps.
Une galerie de portraits.
53 écrivains, 53 inconnus "et nos frères pourtant" dont les portraits successifs et contrastés ( leur individualité est signalée, en plus du croquis à la plume de
Raphaël Caussimon qui leur donne un visage, par un sous titre apposé à leur nom: "
Georges Hyvernaud, Fantassin des ténèbres"; "Chaval de retour"; "
Jean Reverzy, Scaphandrier de l'âme".. , qui leur confère une aura unique) dont les portraits, dis-je, ont cependant tous un sombre point commun: vie tabassée , opiniâtre mistoufle, guigne-au -cul- verdâtre, solitude des grandes profondeurs, mort précoce. Violente, recherchée ou subie.
Chacun de ces portraits est l'occasion d' un court récit, campé avec talent :
Patrice Delbourg est un orfèvre de la formule, un prince de l'emporte- pièce, un fraternel de la marge, un convivial de la déroute- et à chaque vie esquissée, l'auteur mêle des textes rares, des mots perdus et fulgurants, des bouts rimés de génie, des amoralités de fables noires, qui donnent envie, tout à coup, de les avoir tous sous la main, ces trésors négligés, oubliés, introuvables...
C'est dire si la dégustation est lente:chaque rencontre est un coup de coeur ou un coup au coeur. On s'arrête, on veut en savoir plus, on cherche , on trouve parfois. Chacun des 53 -17 seulement m'étaient connus, à ma grande confusion!- est une fenêtre ouverte sur un monde nouveau.
Et par ces temps de confinement, il faut les ouvrir , les fenêtres.
Elles nous révèlent notre aveuglement, l'étroitesse de notre connaissance, le convenu de nos goûts, le conformisme de nos esprits.
Voilà des Désemparés qui ont des choses à nous dire sur nos défenses, sur notre enfermement.
Un petit livre des confins qui délivre du confinement et qui, sans bouger, nous remue.