On commémore tout, donc nécessairement aussi, en 2018, le cinquantenaire de mai 68, avec des commentaires sur son mouvement de flux et de reflux. En effet, on l'a peut-être oublié, mais les élections qui ont suivi fin juin 68 ont donné 367 sièges à la droite et 27 au centre. Quant à la gauche et à l'extrême-gauche, elles s'effondrent ensemble de 206 à 91 députés. Un mois plus tard, l'encyclique Humanae Vitae (25 juillet) condamne la pilule dans une certaine stupeur. Cela ne figurait pas, a-t-on, dit dans la première version. le point N° 14, intitulé «Moyens illicites de régulation des naissances» condamne l'«acte conjugal rendu volontairement infécond et, par conséquent, intrinsèquement déshonnête» (sic), mais restera lettre morte. Les évêques belges ont même l'audace de minimiser publiquement la portée de l'encyclique papale qui n'est pas, disent-ils, un document contraignant. L'Église accélère son déclin.
On n'avait pas vraiment vu venir mai 68, même si certains philosophes comme
Guy Debord avaient anticipés le mouvement (
La Société du spectacle, 1967).
Pour
Renaud Denuit, philosophe et ancien journaliste politique de la télévision belge, il faut approfondir plutôt que commémorer mai 68. Son ouvrage, accessible à un large public malgré les références philosophiques (Hegel,
Freud,...) étudie l'influence de la philosophie, notamment celle de Marcuse, sur cet événement qui a bouleversé durablement les modes de vie et de pensée.
Auteur d'Éros et civilisation, et de L'Homme unidimensionnel, Marcuse, philosophe juif allemand émigré aux États-Unis a vu sa pensée, qualifiée de freudo-marxiste, influencer l'insurrection contre les formes d'autorité («jouir sans entraves», «il est interdit d'interdire») au point qu'aujourd'hui, un parti politique inscrit l'insoumission sur son fronton, et que même la culture socio-politico-économique, dite néo-libérale, s'en trouve paradoxalement confortée idéologiquement dans sa quête de dérégulation. C'est dans ce climat que peine à se faire entendre la réaction contre le réchauffement climatique, la perte de la biodiversité, la pollution qui gagne même les océans et menace comme jamais les écosystèmes. C'est là, pour R. Denuit, que la pensée de Marcuse peut encore nous servir.
Aucune liberté, dit l'auteur, n'est de mise au milieu d'une «aliénation sociale globale», d'un «système totalisant, fût-il un État de droit hautement civilisé». La philosophie de Marcuse est dès lors un outil pour nous orienter, en refusant autant la situation que la résignation et le slogan TINA («There Is No Alternative»).