Ayant déjà lu deux livres de
Marianne Chaillan, je me précipite sur le troisième.
La philosophie est bien la tentative de déceler, au coeur de ce qui nous apparait évident sans que nous l'ayons repensé par nous-mêmes, ce qui pose problème et nous apparait souvent comme une blessure.
Repenser le bonheur, justement, en en éliminant les idées reçues, voilà le propos du livre.
Marianne Chaillan a écarté, en bonne professeur de philosophie qu'elle est, la satisfaction, le plaisir, et même la chance, car l'homme heureux n'a aucun mérite à l'être, et les hommes malheureux aucune culpabilité non plus.
Tout le monde veut être heureux.
Portant, personne ne l'est vraiment et durablement.
Lorsque l'on se dit « je voudrais que cet instant durât toujours », comme Rousseau, trop tard, le bonheur, instable par nature, nous a échappé.
Vouloir être heureux, c'est, nous dit
Kant, vouloir que tout aille bien et que cela dure : comme cette gageure parait impossible, s'entêter serait précipiter le malheur.
L'exemple évident que cite l'auteur, c'est
Madame Bovary, la tête farcie par des illusions juvéniles de ce que doit être le mariage, les bals, l'amour conjugal, puis, comme son illusion perdure sans son objet le mari décevant, l'amour des amants.
Son entêtement à la recherche du bonheur la conduit au suicide.
« Voilà en quoi consiste le bovarysme : l'incapacité à se satisfaire d'un réel qui parait toujours déficient au regard de l'imaginaire merveilleux que l'on s'est construit. Être atteint de bovarysme, c'est être condamné au malheur ».
Puis Marianne enfonce le clou en citant le pessimiste
Schopenhauer, pour qui il n'y a qu'une erreur, celle qui consiste à croire que nous existons pour être heureux. Il ajoute : « pour ne pas devenir très malheureux, le moyen le plus certain est de ne pas demander à être heureux ».
De plus, continuons à développer la pensée : Faites croire à un être humain que la plénitude existe et qu'on peut l'atteindre, il sera malheureux, il jugera son état anormal, puisque, comme nous tous, il connaitra la maladie, les blessures, les manques et les regrets, la mort des proches, inévitable.
Inévitable, et même souhaitable. Ce qu'Heidegger appelle la dictature du ON, serait que ce qui pense à travers moi n'est que la tyrannie des normes des autres.
« Chacun de nous à la fois souhaite être unique et se conformer aux lois générales de la société ».
Pour enfin être soi, devenir authentique il s'agit non de nier mais de traverser l'angoisse. Il s'agit aussi de reconnaitre que nous sommes des « êtres-pour-la-mort », vivre sous la lumière de la mort prochaine.
Et donc, paradoxe, nous pousser « à vivre sans tarder, intensément, passionnément, authentiquement. » Avec nos propres choix, si cela est possible.
Enfin, et faisant allusion à la nouvelle de Camus, L'exil et le Royaume, Marianne ajoute : « vous voulez être heureux ? Franchissez les murs qui vous séparent de vos déserts. N'ayez pas peur de vous perdre. C'est en renonçant à exister que vous vous perdrez le plus sûrement. »
Exister, c'est se projeter constamment, non pas rester fixe comme certains livres de développement personnel promettent « deviens qui tu es ». Car nous ne sommes pas, ni les uns ni les autres, autre chose qu'un changement et un choix permanent.
le seul lien est celui d'accepter, comme dans un mariage, de vivre pour le meilleur et pour le pire, entre les instants de bonheur et la certitude de notre finitude.
Ceci est ma lecture extrêmement réductrice d'un livre de philosophie qui cite des romanciers (
Proust, Camus,
Flaubert), qui met la philosophie à la portée de tous, et qui… fait réfléchir.