C'était un de ces jours de Décembre, gris et froid, où je traînais comme une âme de lectrice boulimique en peine à la Médiathèque, errant d'un rayonnage à l'autre, en désespérant de trouver un ou deux romans à emprunter. Tous les romans que je voulais lire avec empressement étaient soit déjà sortis, soit non proposés et mon pas se faisait plus lourd et traînant à chaque minute supplémentaire, à chaque nouvelle déconvenue. Je savais qu'il fallait que je me résolve à sélectionner un roman faisant partie de ma seconde liste des romans à lire, ceux dont l'envie était moins ‘'impérative''. Alors, passant devant le rayon des auteurs commençant par un D, je me suis arrêtée devant les polars de
Pascal Dessaint. (
Dostoïevski,
Desnos, je ne vous oublie pas, mais pas pour cette fois).
J'avais lu «
du bruit sous le silence » il y a quelques années que j'avais beaucoup apprécié. Depuis, j'ai vu, de temps à autre, des critiques sur «
le chemin s'arrêtera là » et je l'avais ajouté à mon pense-bête. Je n'avais pas sous les yeux de « chemin s'arrêtera là » mais «
on y va tout droit », ça en prenait bien le chemin quand même, non ?…
Le narrateur, Emile, trente-huit ans, est un écrivain qui a connu le succès. Enfin, « écrivain » ne serait plus forcément le terme adéquat à sa période actuelle plus sombre et amère et donc quasi désoeuvrée. Il est comme un poisson rouge qui tourne en rond dans son bocal, à s'y taper les nageoires. (Un bébé algue dans le coin dont il faut s'occuper pourrait parfois lui permettre de se changer les idées, mais ça c'est la petite référence qui ne peut être comprise que par les lecteurs du roman). C'est que notre Emile n'a plus vraiment l'envie, il rumine des idées noires sur la vie, sur les pauvres êtres que nous sommes. Faut dire que son ex' est dans une maison de repos et ne peut plus lui parler (littéralement). Et sa copine actuelle Alexa, de dix ans sa cadette, n'est pas la plus fidèle des compagnes (mais, que lui reprocher lorsqu'on sait que nous, on a passé un cap, que les premières rides et cheveux blancs commencent à s'afficher sournoisement devant la glace ? bref, que la jeunesse est derrière nous ?). Heureusement, il lui reste son chien, Tati, et son meilleur pote Franck. Mais perturbé justement par la disparition de Tati, Emile n'a pas entendu l'appel au secours de Mary, la nièce de Franck…
Y'a pas à dire, Emile m'a parlé comme un frère, un chéri, un ami, un pote. C'est un de ces êtres humains que j'ai envie de prendre dans mes bras, avec qui j'ai envie d'aller boire un verre ou deux au bistrot du coin et qu'on se parle de tout et de rien, des choses les plus inconsistantes aux plus primordiales, pendant des heures bien entendu, jusqu'à ce que le patron nous jette dehors, à moins qu'on arrive à l'amadouer en lui proposant de trinquer avec nous. On se raconterait notre quotidien, les petites comme les plus jubilatoires des anecdotes, nos grandes illusions et nos plus belles rencontres. On y mettrait quelques pincées de répliques drôles ou piquantes, un peu taquins vis-à-vis des autres ou de nous-mêmes. Il en faut de l'humour et de l'autodérision pour supporter notre quotidien et notre bocal de poisson rouge, et pour parler de nos histoires d'amour qui finissent mal, qu'on a peut-être encore du mal à digérer, sans se laisser aller à la grosse déprime.
Il m'a fait penser à
Philippe Jaenada avec cet amour pour les autres sans en avoir l'air, à faire le gros nounours bougon mais avec un besoin évident d'aimer et d'être aimé ; avec cet humour, ce brin de folie proche du grand n'importe quoi ou de la poésie. J'aime qu'on me fasse passer, virevolter d'une émotion à une autre, du sourire aux impacts au coeur, qu'on me fasse rêver, qu'on me sorte de son chapeau tout un tas de surprises, comme des lapins pour nourrir son chien Tati -qui ressemble à un hippopotame- jusqu'au peintre qui s'enthousiasme de ce mur qu'il vient de peindre en blanc (Tiens, autre point de comparaison, Jaenada a aussi une prédilection pour les lapins).
Et sûr que Dessaint est un de ces magiciens-là. Il en a pas mal sous le chapeau… J'avais l'impression de me retrouver parfois dans l'ambiance de «
L'écume des jours » de
Vian pour toutes ces raisons-là, pour cette imagination, ces personnages hauts en couleur, parfois décalés, en marge, qui peignent des arcs-en-ciel au ciel laiteux de nos journées. Certains plus profonds qu'ils en ont l'air. Certes, c'est plus noir et amer que «
L'écume des jours » mais cela m'a fait presque autant de bien et je n'ai pas voulu lâcher ce roman avant la fin. Dès que j'avais une minute dans la journée, je m'empressais d'y replonger avec délice.
Ce fut mon petit cadeau de Noël avant l'heure, un petit plaisir à la française qu'on devrait goûter plus souvent. Je me suis demandé, compte tenu des bonnes critiques de ses romans et des très bonnes notes qu'ils obtenaient, pour quelles raisons cet auteur n'avait pas plus de lecteurs. Hein, pourquoi ?? Il a pourtant du style, de l'humour et de la fantaisie. Et il y a une sacrée dose de sociologie, d'humanité et d'intelligence dans ses romans. Et puis avec Toulouse comme décor et de la bonne musique en fond sonore, le petit plus, comme de belles guirlandes sur le sapin, ou des lutins en chocolat sur la buche glacée.
Moi en tout cas, avec «
On y va tout droit », je mets dorénavant Dessaint à ma liste des auteurs à lire avec « empressement » (enfin, je dis ça, c'est si par hasard le Père-Noël était à trainer dans le coin). Sûr qu'avec une année encore quasi terminée,
on y va tout droit, mais en lisant des romans de Dessaint, c'est quand même bien plus sympa…