Fanta Dramé convoque une histoire familiale de déracinement dans ce premier roman
Ajar-Paris dont les accents intimes sont omniprésents. Elle choisit de raconter l'histoire d'une jeune femme, française, qui à la faveur du décès de sa grand-mère remonte le fil du trajet migratoire de son père.
Arrivé en 1975 de sa Maurétanie natale, et notamment de la petite bourgade d'
Ajar, cet homme cultivé et profondément croyant que rien ne prédestinait à quitter son foyer va conquérir lentement, âprement, avec une témérité sans faille, le droit d'être français tout en gardant la culture de ses ancêtres.
Le décès de sa grand-mère, figure tutélaire de sa famille, va contraindre la narratrice à aller découvrir la ville de ces ancêtres pour honorer la promesse qu'elle lui avait faite. Selon les finances de la famille, elle avait bénéficié de vacances au pays, mais c'était à Dakar, là où une partie de sa famille s'était implantée et où son père avait investi dans une belle villa. Mais, pour le fils aîné de cette femme, il n'était pas question de ne pas l'enterrer dans la terre ancestrale.
Alors, la narratrice, portant le même prénom que l'écrivaine, parfaitement parisienne, va être confrontée, brutalement, au mode de vie et à la culture de ses ancêtres naturels. Et, cela donne des passages savoureux où le choc des cultures est décrit avec humour !
De cette confrontation, Fanta, professeure, décide d'écrire l'histoire de cet homme, son père, avant qu'il ne soit trop tard, lui qui par pudeur, n'a jamais rien raconté,pourtant conteur merveilleux des histoires des autres;
De ce fil chronologique,
Fanta Dramé tire un roman certes sensible et touchant, mais aussi édifiant de la dureté vécue, de l'opiniâtreté qu'il a fallu, de la réalité, enfin, contée, sans détour, dans sa crue réalité. Et, comme le souligne
Faïza Guène dans la préface, il a urgence à raconter la force et la dignité de ces hommes et ces femmes qui ont choisi, souvent, de s'effacer derrière la réussite de leurs enfants pour qu'enfin connaissance, reconnaissance et respect fondent le regard porté sur eux.
De l'histoire d'un parcours au roman
Cette attente, point commun du parcourt de l'émigrant que décrit si bien
Fanta Dramé est une constante au fil des années. Elle nous suggère que c'est peut-être cela la force principale de l'émigré(e), sa capacité à la patience, quoiqu'il en coûte.
Seulement, il ne suffit pas de raconter un épisode de vie pour faire littérature. Il faut du talent pour assembler les mots, créer les émotions et annuler le fossé avec celui (ou celle) qui les découvre. Créer cette musique intérieure qu'est l'exploration des mots de l'autre.
Fanta Dramé sait émouvoir, troubler, faire sourire, et même rire, parfois, en convoquant des images décalées entre nos représentations et la réalité d'une culture d'un pays si différent. Mais au delà du ressenti, elle permet de porter un autre regard sur ces autres oubliés, jamais narrés, comme effacés de notre monde : l'éboueur qui vide notre poubelle, le corps épuisé de l'homme et la femme qui somnolent dans les premiers RER du matin ou ceux qui prennent le Noctilien, au milieu des fêtards, seul moyen de rentrer chez soi avant l'ouverture du métro, etc.
Alors, laissons nous envahir par la voix chaude et douce de
Fanta Dramé dans
Ajar-Paris comme si, assise à côté, elle nous contait, un soir de lune claire, l'histoire d'un homme qui a choisi de quitter son pays et qui fonde une famille. Un premier roman réussi !
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