De
Roger-Pol Droit, j'ai souvent vivement apprécié les chroniques publiées dans le Monde, pour leur pertinence et leur vertu d'incitation à la lecture. de son oeuvre abondante, je n'ai guère lu que les
101 expériences de philosophie quotidienne, éclairantes, instructives, amusantes, excitantes.
Dans
Si je n'avais plus qu'une heure à vivre,
Roger-Pol Droit imagine une expérience qui, dans la réalité, ne peut-être vécue que dans deux types de situation : celle des condamnés à mort et celle des gens qui ont choisi de mettre fin à leur jours, et qui ont fixé la date et l'heure de l'événement, soit par les bonnes vieilles méthodes traditionnelles comme la pendaison à la poutre du grenier, soit sous assistance médicale dans des cliniques spécialisées de Suisse ou d'ailleurs, soit selon les diverses méthodes des kamikaze. Mais il est très rare que tous ces gens aient songé à consigner ce qu'ils avaient choisi de faire ou de penser dans l'heure qui précéda leur mort, et encore plus rare qu'ils aient songé à le faire publier. A nous autres en revanche, banals mortels, la connaissance de l'heure précise de l'heure de notre mort est refusée.
Roger-Pol Droit essaie donc d'imaginer ce que seraient ses choix dans sa dernière heure de vie si le privilège de savoir le jour et l'heure de la fin de la partie lui était accordé, on ne sait par quel miracle.
Roger-Pol Droit étant un intellectuel, on se doute que l'essentiel de l'heure fatidique serait consacré à écrire et à causer. de quoi ? C'est le but de son livre que de nous renseigner à ce sujet. Disons tout de suite que, si l'auteur s'était astreint à imaginer les choses de façon "réaliste", son livre aurait été sans doute plus convaincant car, là, il faut beaucoup plus d'une heure pour arriver au bout. On n'est donc pas dans le cas de figure annoncé par le titre. Avec un peu plus d'imagination, cela aurait donné un résultat probablement baroque et grevé d'une forte dose d'invraisemblance, mais au moins on se serait amusé, ce qui n'est pas le cas dans cet ouvrage qui n'est certainement pas un des meilleurs de son auteur. Je ne connais d'ailleurs dans la littérature qu'un seul cas de réussite dans cet exercice.
Roger-Pol Droit note que, tandis qu'aujourd'hui, du moins dans nos sociétés "développées", les agonies vont à leur terme le plus souvent à huis clos, derrière la porte anonyme d'une chambre d'hôpital, il n'en allait pas de même dans les temps anciens : jadis en effet, on se pressait en foule dans la chambre de l'agonisant, surtout s'il s'agissait d'une personne de quelque réputation et de quelque qualité. Dans un de ses romans (qui ne figure pas parmi ses plus fréquentés, et c'est dommage),
le Curé de village,
Balzac nous fait assister à l'agonie à grand spectacle de son héroïne, Véronique Graslin, qui, dans la dernière heure de sa vie, se livre à une confession publique en bonne et due forme.
On ne trouve malheureusement pas ce genre de piment dans le livre de
Roger-Pol Droit, livre à peu près complètement privé de la moindre once d'imagination. Que nous sert l'auteur, en effet ? Rien d'autre que l'exposé de ses convictions personnelles, telles qu'elles se sont forgées au long d'une vie, sur diverses questions, comme le savoir et l'ignorance, l'amour et la haine, la folie des hommes. Ce n'est pas que ces considérations et professions de foi soient dépourvues d'intérêt, c'est que, verbeuses, générales et abstraites, elles manquent cruellement du piment propre à secouer le lecteur de sa torpeur, elles manquent d'une séduction proprement littéraire. Or la possibilité de cette séduction, l'auteur en disposait : l'hypothèse contenue dans le titre est en effet une pure donnée de fiction, fantastique donc littérairement intéressante. Force est de constater qu'il ne l'exploite aucunement.
Car au fond, qu'attend le lecteur d'un livre comme celui-là : qu'il l'accroche, qu'il le séduise, qu'il l'excite, qu'il se grave dans sa mémoire au lieu d'être oublié quelques jours après avoir été lu. Je partage au moins quelques unes des convictions de
Roger-Pol Droit, mais je me fous de sa vie, de ses amours et de sa mort comme du tiers et du quart. Ce que j'attends d'un livre, ce n'est pas qu'il me serve, sous la forme d'une soupe assez fadasse, ce que je savais déjà plus ou moins, ce dont j'étais déjà à peu près convaincu. C'est qu'il m'offre le divertissement pour moi le plus haut qui soit : celui de l'oeuvre littéraire aboutie, dans son inimitable singularité.
Ce qu'on trouve dans ce livre, c'est la profession de foi d'un intellectuel humaniste de qualité honnête brodant sans grande imagination sur quelques thèmes d'aujourd'hui et de toujours. Ce qu'on n'y trouve pas, c'est la patte d'un écrivain. Il ne suffit pas d'être véhément pour faire partager sa véhémence, il ne suffit pas d'être passionné pour communiquer sa passion.
Roger-Pol Droit ,
Si je n'avais plus qu'une heure à vivre (
Odile Jacob )