Écrit vers 1966 et publié en 1969,
Réjean Ducharme a-t-il voulu à ce moment profiter de sa nouvelle notoriété en lançant La Fille de
Christophe Colomb, ce roman de 233 pages écrit en vers, pour faire une blague à la société et aux gens sérieux qui le portaient déjà aux nues? Quoi qu'on dise à propos de ce livre étrange où se mêlent les temporalités et les espaces et où les ruptures de ton s'enchaînent, il incarne sans doute cette transition entre l'insoumission des premiers romans (qui culmine avec
L'Avalée des avalés) et l'écrasement total dans le pathétique (
L'Hiver de force). Colombe Colomb n'est définitivement pas Bérénice, ni assez forte pour prendre sa place chez les humains, ni même assez forte pour refuser de devenir chef des animaux. Et lorsqu'elle réduit l'humanité à néant, elle pleure cette perte à chaudes larmes.
Ce récit est, comme l'a bien mis en lumière Renée Leduc-Park, très propice à une lecture nietzschéenne. Colombe Colomb n'a évidemment rien du surhomme, dans sa naïveté morale et sa foi dans un Dieu qui a été putshé par al Capone. C'est son remarquable humanisme et sa pitié pour les faibles qui créent ses malheurs et ses exclusions.
Réjean Ducharme a écrit bien d'autres livres qu'il faut lire avant celui-ci. Gardez-le pour la fin.