Sans doute, en un sens très large, on peut dire que la spéculation sur les choses politiques et sociales a commencé avant le XIXe siècle : La République de Platon, La Politique d'Aristote, les innombrables traités dont ces deux ouvrages ont été comme le modèle, ceux de Campanella, de Hobbes, de Rousseau et de tant d'autres traitaient déjà de ces questions. Mais ces diverses études différaient par un trait essentiel de celles que désigne le mot de sociologie. Elles avaient, en effet, pour objet, non pas de décrire et d'expliquer les sociétés telles qu'elles sont ou telles qu'elles ont été, mais de chercher ce que les sociétés doivent être, comment elles doivent s'organiser pour être aussi parfaites que possible. Tout autre est le but du sociologue qui étudie les sociétés simplement pour les connaître et les comprendre, comme le physicien, le chimiste, le biologiste font pour les phénomènes physiques, chimiques et biologiques. Sa tâche est uniquement de bien déterminer les faits dont il entreprend l'étude, de découvrir les lois selon lesquelles ils se produisent, en laissant à d'autres le soin de trouver, s'il y a lieu, les applications possibles des propositions qu'il établit.
Depuis Platon et sa République, il n'a pas manqué de penseurs qui aient philosophé sur la nature des sociétés. Mais jusqu'au commencement de ce siècle, la plupart de ces travaux étaient dominés par une idée qui empêchait radicalement la science sociale de se constituer. En effet, presque tous ces théoriciens de la politique voyaient dans la société une oeuvre humaine, un fruit de l'art et de la réflexion. D'après eux, les hommes se sont mis à vivre ensemble parce qu'ils ont trouvé que c'était utile et bon ; c'est un artifice qu'ils ont imaginé pour améliorer un peu leur condition. Une nation ne serait donc pas un produit naturel, comme un organisme ou comme une plante qui naît, croît et se développe en vertu d'une nécessité interne ; mais elle ressemblerait plutôt à ces machines que font les hommes et dont toutes les parties sont assemblées d'après un plan préconçu.
Qu'elle soit l’oeuvre de tous, comme le veut Rousseau, ou d'un seul, comme le pense Hobbes, elle serait sortie tout entière de notre cerveau et de notre imagination. Elle ne serait dans nos mains qu'un instrument commode, mais dont nous aurions pu nous passer à la rigueur, et qu'il nous est toujours possible de modifier à notre gré ; car nous pouvons librement défaire ce que nous avons fait librement. Si nous sommes les auteurs de la société, nous pouvons la détruire ou la transformer. Il suffit pour cela de le vouloir.
Le mot de sociologie a été créé par Auguste Comte pour désigner la science des sociétés. Si le mot était nouveau, c'est que la chose même était nouvelle ; un néologisme était nécessaire.
Intervention de Raphaëlle Bats, co-responsable de l'URFIST de Bordeaux, Université de Bordeaux, membre associée du Centre Emile Durkheim (U.Bordeaux)(intervention en visioconférence).