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sur 739 notes
En 1927, Maurice Ravel a cinquante-deux ans et s'apprête à embarquer sur le "France" pour une tournée triomphale en Amérique.
Entre ses voyages et sa maison de Montfort-l'Amaury, entourée d'oiseaux, sa garde-robe stupéfiante, Jean Echenoz s'approche au plus près de la personnalité de Ravel pendant les dix dernières années de sa vie.
Inquiet, Ravel a une peur du vide maladive qu'il retranscrit dans "Boléro", sans développement ni modulation, et dont l'immense succès l'exaspère.
"Ravel" de Jean Echenoz est un beau roman, étonnant, à la hauteur du grand musicien.
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Ravel, premier livre de Jean Echenoz que je lisais.
Cela semble n'avoir pas grand-chose à voir, mais lisant toujours plusieurs livres à la fois, j'étais passionnée au même moment de découvrir dans le Journal de Joyce Carol Oates comment se construit un roman.Un roman qui ..me parle, je veux dire, pas un roman qui sent justement la fabrication. N'étant pas une littéraire, c'est une chose à laquelle je n'avais pas souvent pensé ! Sauf peut être en lisant la Correspondance de Flaubert, qui en parle longuement dans certains échanges. Et là, j'ai été particulièrement sensible à la construction et au rythme du récit.

Echenoz prend donc un personnage et des évènements bien réels et il les habille minutieusement, avec force détails descriptifs ( les habits, la maison, les lieux, les traits de caractère, les manies -les fameuses chaussures vernies sans lesquelles Ravel n'est rien, mais qu'il oublie tout le temps!- les rapports , de travail surtout, avec les autres personnages, dont par exemple le redoutable Toscanini qui joue le Boléro trop vite, ou Marguerite Long dont le portrait est court, mais hilarant.. ).
Tout cela est donc longuement décrit. Enfin, cela semble long, et je me suis demandée , dans ce livre si court, comment il allait caser 10 ans de vie, puisque l'on est prévenu à l'avance.

Le rythme.. tout est très lent donc au début. Et en 1933, l'accident de taxi et tout s'accélère, c'est la fin. Et pourtant il va se passer encore 4 ans… Mais il n'y a plus ni "développement" ni " modulation ". Juste des lieux qui changent et des " idées qui restent enfermées dans son cerveau ".

Déjà, le succès du Boléro, "une chose qui s'auto-détruit, une partition sans musique, une fabrique orchestrale sans objet, un suicide dont l'arme est le seul élargissement du son , quelque chose qui relève du travail à la chaîne" l'a surpris. Vide de musique ,tout dans le rythme.
Après, il y a le fameux Concerto pour la main gauche que Paul Wittgenstein, voulant montrer que l'on peut être manchot et bon pianiste, lui a massacré:

"C'est que Wittgenstein n'a pas du tout simplifié l'ouvrage pour l'adapter à ses moyens, bien au contraire il a dû voir l'occasion de montrer à quel point, tout handicapé qu'il soit, il est bon… le visage de Ravel est blanc. A la fin du concert, pressentant que cela va mal tourner, Marguerite tente aussitôt une diversion avec l'ambassadeur en parlant d'autre chose, mais rien à faire: Ravel s'approche lentement de Wittgenstein, on ne lui pas vu cette tête depuis qu'il s'avançait vers Toscanini. Mais ça ne va pas, dit-il froidement. Ca ne va pas du tout. Ecoutez, veut se défendre Wittgenstein, je suis un vieux pianiste et, franchement, ça ne sonne pas. Je suis quant à moi un vieil orchestrateur, répond Ravel de plus en plus glacé, et je peux vous dire que ça sonne . le silence qui s'assied dans la salle à ces mots sonne pour sa part plus fort encore. Malaise sous les moulures, embarras chez les stucs. Les plastrons des smokings pâlissent, les franges des robes longues se figent, les maîtres d'hôtel examinent leurs souliers. Ravel enfile son manteau sans un mot puis quitte prématurément les lieux, traînant après lui Marguerite éperdue."

Cet extrait qui donne une idée du style, et des consonances se situe donc en 1931, à la page 97 sur 117, il reste 6 ans, 20 pages mais c'est le tout dernier mouvement..

Du grand art!.

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"Quelque chose ne colle plus" constate avec effroi le célèbre compositeur Maurice Ravel, pourtant au faite de sa gloire, dont les neurones se déconnectent peu à peu.
Comme Jean d'Ormesson dans La conversation, qui analyse le moment clef où Bonaparte décide de devenir empereur, Jean Echenoz accomplit le trajet en sens inverse et étudie l'impact déstabilisant un grand homme (Ravel en l' occurrence, compositeur de génie) le poussant un jour à dire "c'est vraiment tragique ce qui m'arrive" alors que le cerveau embrumé, il ne peut plus écrire, ni composer, oublie tout et s'enlise dans un ennui neurasthénique.
1927. Plus que (ou encore!) dix ans à vivre. Ravel l'ignore. Il embarque sur le France (ce géant mis en parallèle qui dans 9 ans chutera) via l'Amérique du nord pour une tournée mondiale sous un délire d'applaudissements (en particulier à New-York)où le public l'ovationne debout durant une demi-heure!
Jean Echenoz, au style brillant et concis, comme dans 14, campe peu à peu le décor de cette tragédie. Un portrait d'homme obsessionnel "sec,mais chic", de quincagénaire célibataire, asocial,"tiré à quatre épingles vingt-quatre heures sur vingt-quatre",humiliant, dont le cadre de vie précis supporte mal les arrangements surtout lorsqu'ils viennent d'un interprète aux rajouts (pour lui) incongrus.
De paresse en désinvolture, de dédain en je-m'en-foutisme, est-ce à ce moment précis que la chute commence? Où était-elle déjà là à l'état larvaire lorsqu'il composa son Boléro, captant son inspiration dans l'usine du Vésinet dont la "phrase ressassée sans espoir" dit le travail à la chaine mais dont les adaptations successives ne lui plaisent pas car elles déforment sa pensée, à savoir que son fameux Boléro "est vide de musique". Vide, vide à combler de notes....ses notes.
Ce point de vue intéressant pose le problème de l'adaptation d'une oeuvre dont a d'ailleurs parlé dernièrement Douglas Kennedy lors d'une soirée littéraire à la librairie Charlemagne de Toulon.Plus philosophe que Ravel, ou moins rigide, il a conclu à propos d'une adaptation cinématographique de l'un de ses romans: "c'est mon livre, c'est son film".
Pour en revenir à l'excellent Ravel de Jean Echenoz, les dix dernières années de vie de Ravel permettent également au lecteur de voir une période charnière (années 1930) de bouillonnement culturel et de progrés (jazz, nouvelle salle Pleyel, goûts littéraires pour du Faulkner,arrivée des Surréalistes....)
Bref, Jean Echenoz, ici encore (puisqu'il a reçu le prix Goncourt général 1999 pour Je m'en vais, le Médicis général 1983 pour Cherokee), ne faillit pas à sa réputation d'écrivain hors normes.
Ravel est édité par Les éditions de Minuit, actuellement à l'honneur au théâtre dans Nouveau Roman, car n'est-ce pas cette maison d'édition qui a lancé Nathalie Sarraute, Samuel Beckett....et tant d'autres écrivains intellectuels dits modernes).
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J'ai voulu prolonger le ravissement du Boléro d'Anne Fontaine vu hier en proie à une émotion intense, touché par la solitude et la tristesse de Ravel durant les dix dernières années de sa vie.
Après les images, les mots justes - juste les mots - de Jean Echenoz, condensé d'une décennie, allongé des arabesques de l'écrivain, sertissant le réel dans un écrin de phrases légères et de traits évocateurs. Sa description du Boléro, pages 78 et 79 est magistrale.
Il est parlé de Ravel à la troisième personne, en observateur attentif d'une lente plongée dans la prison du cerveau. La musique est toujours là mais elle ne sort plus.
C'est vrai, j'espérais percer un peu l'énigme Ravel, muet sur sa vie privée, parti sans aucune image filmée, ni aucun enregistrement de sa voix.
Echenoz, comme d'autres avant lui, semble avoir puisé aux mêmes sources historiques, probablement la somme de Marcel Marnat, publiée en 1986, aujourd'hui indisponible.
La patte d'un grand écrivain marque la différence avec les biographies convergentes; elle donne du relief aux faits, les enrobe d'un contexte intime inventé, sème l'humour sous la tragédie, imagine l'état d'âme du compositeur, reclus en lui-même, lucide sur ses déficiences cérébrales, prêt à laisser la vie se détacher de lui.
Grâce à un romancier et à une cinéaste, je "vois" mieux qui est Ravel.
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Ce roman est une biographie de Ravel limitée aux dix dernières années de sa vie. Mais c'est une biographie débarrassée de l'écume des jours (pardon Boris Vian). Si nous suivons Ravel dans son voyage en Amérique, puis son retour en Europe, la composition du Boléro et de ses deux concertos pour piano, c'est l'homme intime qui nous est livré là avec ses qualités, ses défauts, ses manies.
La langue d'Echenoz est une langue sans scorie, nue, qui va à l'essentiel, une langue précise où chaque mot est juste. le ton est distancié, pudique, subtil, ironique parfois et même dans le drame il reste léger, avec presque un sourire aux lèvres.
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J'ai tout de suite été séduite par l'écriture de Jean Echenoz. Puis, j'ai trouvé qu'il abusait des détails sur les caractéristiques techniques et l'aménagement du paquebot, des trains que Ravel avait empruntés pour sa tournée américaine, sur ses tenues à la limite de l'excentricité, etc. Heureusement, le livre est court. Je n'ai pas eu le temps de me lasser et je reconnais volontiers que ces détails nous mettent parfaitement dans l'ambiance du milieu dans lequel évoluait Ravel à l'époque de l'entre-deux-guerres. On est très loin d'une biographie exhaustive; il s'agit plutôt d'un portrait tout à fait crédible de Ravel, cette célébrité à la personnalité complexe qui, en dépit des apparences qu'il donnait à voir, était plutôt mal à l'aise dans son personnage.
C'est par ce livre que j'ai abordé cet auteur dont je connaissais le nom mais dont je n'avais jamais rien lu et cette découverte me donne le goût de faire un plus grand bout de chemin avec lui.
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Une narration romancée qui relate les dix dernières années de la vie de Maurice Ravel.
Le récit démarre à la fin l'année 1927. Ravel est alors âgé de 52 ans Nous assistons à son embarquement à bord du France pour un voyage et une tournée gigantesque à travers le continent nord-américain. Il s'y produira triomphalement : New York où il est acclamé par 3 500 personnes, Boston , Chicago, Cleveland, la Californie…
Puis après quelques mois d'absence, le voilà de retour à Montfort-l'Amaury dans sa petite maison atypique.
On suit encore Ravel à Saint Jean de Luz. C'est là, qu'il va jouer sur le clavier de son piano une phrase qui se répète inlassablement, qui s'étoffera en un crescendo pour devenir son fameux Boléro.
Nous le voyons encore écrire le concerto en ré majeur pour la main gauche pour Wittegenstein, être victime d'un accident de la circulation à Paris, et, peu après, sombrer dans la léthargie , le silence et la mort en subissant les attaques d'une maladie neurodégénérative.
C'est un roman émaillé de quantités d'anecdotes, concernant le musicien mais aussi la vie quotidienne, mondaine, de cette décennie, un riche témoignage sur la société de cette époque.
Pour autant, Maurice Ravel, petit homme par le physique, mais compositeur talentueux, grand fumeur de gauloises et insomniaque invétéré , conserve sa part d'ombre et de mystère , le roman ne lève pas le voile sur sa vie privée .


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Jean Echenoz, dont on ne se lasse pas de la musique des mots quel que soit le sujet abordé, devait un jour écrire sur cet art. C'est chose faite avec ce court roman nous contant, sur un ton enlevé, n'hésitant pas à frayer avec le français de la rue, la dernière décennie de Maurice Ravel, immense musicien dont tout un chacun connait au moins le fameux "Boléro". Dix années fécondes, au cours desquelles Ravel, au faîte de sa gloire, adulé dans le monde entier bien que fuyant l'intelligentsia parisienne, va composer quelques-unes de ses partitions les plus célèbres avant de perdre petit à petit ses facultés, atteint selon l'auteur d'une atrophie cérébrale que l'on aurait aujourd'hui probablement diagnostiquée comme maladie d'Alzheimer. On se laisse porter par l'écriture fluide de ce merveilleux écrivain, admirable conteur d'histoires, dans sa quête de la vérité intime d'un artiste dont on ne connaît en fait que très peu de chose. Ses problèmes de sommeil, sa neurasthénie, ses envies et ses dégouts, ses amitiés, son goût pour le beau joint à un irrépressible besoin de choquer, nous semblent maintenant familiers. Merci, Jean Echenoz, pour ce délicieux moment passé dans l'intimité d'un grand artiste.
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Jean Echenoz nous fait voir au plus près le quotidien du compositeur Maurice Ravel durant les dix dernières années de sa vie, avant qu'une maladie dégénérative l'emporte.
Embarqué sur le paquebot Le France pour une longue tournée de villes américaines à la fin de 1927, Ravel est décrit dans ses moindres détails par la très belle plume d'Echenoz. À tel point, qu'on se prend à scruter des photos sur Internet afin de constater de visu les dires de l'auteur.
Il n'était pas à proprement parler un virtuose du piano mais il fut un compositeur adulé et acclamé de son vivant et son Boléro, qu'il ne considérait pas lui-même comme une oeuvre majeure, lui a valu une popularité immense.
À lire donc pour l'écriture charmante de Jean Echenoz et pour l'évocation d'une époque révolue.
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Ma toute première lecture d'Echenoz s'avère être une réussite.
J'avais au départ jeté mon dévolu sur Des éclairs ayant pour sujet Nicolas Tesla mais, étant indisponible à la bibliothèque, j'ai du me rabattre sur Ravel, que je connais très peu en dehors du fait qu'il soit le célèbre compositeur auquel on doit le tout aussi célèbre Boléro. Et finalement le hasard a bien fait les choses.

Pourtant là encore, j'ai eu un peu de difficultés au début de ma lecture. Je trouvais le style assez froid bien que fluide et agréable à lire mais les nombreuses considérations vestimentaires et les descriptions détaillées des lieux commençaient à m'agacer.
Et puis la magie a fini par opérer, la curiosité et la facilité de lecture ont fait que je tournais les pages sans même m'en rendre compte au point de me faire regretter que le récit soit aussi court.

Le récit n'est pas, comme on pourrait le croire, une biographie romancée complète de Ravel. Jean Echenoz ne s'attarde que sur les dix dernières années de sa vie. J'ai été un peu déçue en constatant ce fait mais Jean Echenoz a réussi, sur la base de ces dix années, à brosser le portrait de son personnage en faisant entrer le lecteur dans son intimité. On découvre alors un homme assez maniaque et désinvolte. Gare à ceux qui, à l'instar de Toscanini ou Wittgenstein, osent dénaturer ses oeuvres.
On assiste alors à la naissance du Boléro, on est témoin du quotidien de Ravel dans son travail, ses tournées, Ravel qui ne peut se passer de ses chaussures fétiches mais qui pourtant les oublie sans cesse, part en voyage avec plus d'une cinquantaine de chemises et tout autant de cravates. Mais malgré ses airs de dandy à la limite de l'égocentrisme, on ne peut que s'attacher à lui. La progressive détérioration de sa santé, bien que Echenoz ne fasse pas dans le sentimentalisme, le rend finalement quand même très touchant.

Finalement, le style de l'auteur s'accorde bien au tempérament du personnage. Ça me rappelle beaucoup le Peste & Choléra de Patrick Deville, ce dernier ayant un style un peu plus poétique mais plus ciselé ce qui le rend plus « difficile » à lire. Néanmoins, un autre point commun aux deux auteurs est cette petite touche d'humour qu'ils insèrent avec parcimonie dans leurs textes.

J'ai donc beaucoup apprécié ma lecture, j'en aurais voulu plus encore mais pour cela il me faudra passer aux autres romans d'Echenoz, ce que je compte bien faire !

Lien : http://booksandfruits.over-b..
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