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3,3

sur 868 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
L'insomnie longue et douloureuse pousse le narrateur de Vienne la ville historiquement aux portes de l'orient vers cet est qui a et fait toujours rêver des générations d'intellectuels attirés par ce monde oriental aux facettes aussi nombreuses que les contes des 1001 nuits. Toujours aussi vaste l'écriture de Mathias Enard peu rebuter certains mais porte ceux qui l'apprécie jusqu'à l'aube salvatrice.
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Boussole, par Mathias Enard. Prix Goncourt 2015, voilà un livre important, qui tient du roman, de façon assez minimale toutefois, et d'un savoir quasi encyclopédique sur ce qui rattache l'Occident à ce Moyen-Orient si fascinant, en matière d'histoire, d'art, de culture, etc. Boussole fait figure d'un puits de connaissances d'une grande profondeur, servi par une écriture habile et savoureuse.
Franz Ritter, le narrateur, est un musicologue, chercheur attaché à l'Université de Vienne, et dont l'univers est constitué d'orientalistes, au premier rang desquels il y a Sarah, la belle et cérébrale Sarah, rousse à coeur, indépendante, grande voyageuse, prodigue en articles scientifiques, et que le pauvre Frank perçoit comme inaccessible et insoumise. Cependant, après avoir accédé une fois à l'intime, leur relation se relâche tout en restant pleine de promesses. D'autres personnages émergent, l'archéologue Bilger qui deviendra fou, l'opiomane Faugier, arpenteur invétéré des bas-fonds des capitales orientales, l'inélégant Gilbert de Morgan, directeur de thèse de Sarah, qui intrigue salement pour conquérir à Téhéran Azra la révolutionnaire, éperdument amoureuse d'un autre.
En parallèle à la quête amoureuse du narrateur qui jalonne le roman, Boussole est l'évocation des souvenirs qui hantent un Franz Ritter croupissant dans son logis viennois, souffrant, insomniaque, déprimé, en attente d'un message de Sarah qui séjourne alors au Sarawak, en Malaisie. Tous deux on séjourné par le passé en Turquie, à Istanbul, en Syrie, à Damas, à Alep, à Palmyre, en Iran, à Téhéran. Au fil du roman, on croise des multitudes d'artistes, poètes, écrivains, musiciens, peintres, archéologues, explorateurs, qui y ont voyagé ou non, en tout cas qui furent fascinés par l'Orient ou lui appartiennent, Liszt, Mozart, Rimbaud, Hugo, Balzac, Berlioz, Goethe, Heinrich Heine, l'iranien Sadegh Hedayat, Fernando Pessoa, Hafez, Lawrence d'Arabie, et cent ou mille autres, connus ou non. L'érudition de Mathias Enard est sans limite, elle s'étale à chaque page, lumineuse très souvent, quand elle s'exprime au travers d'anecdotes multiples, vaine bien des fois, quand elle consiste en de simples énumérations.
Cette érudition s'intègre toutefois à l'écriture, finalement assez fluide, de l'auteur, rendant cet ouvrage assez imposant, savant et poétique à la fois, en tout cas envoûtant, pénétrant peut-être, par cette manière dépourvue d'aspérités de mélanger les aspects romanesques avec cette écrasante culture. Et l'actualité - la Turquie sous des bottes despotiques, la Syrie à feu et à sang, l'Iran opprimé - qui traverse discrètement le livre, vient renforcer cette admiration, cette passion pour un Moyen-Orient riche de culture qu'un pont fragile reliait hier encore à l'Occident, un Occident fasciné, ébloui, hypnotisé.
Lien : http://lireecrireediter.over..
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Je suis parvenu à un âge où, vitesse de la vie oblige, je ne me force plus à lire jusqu'au bout un livre qui ne m'accroche pas. Boussole a failli me la faire perdre. Je l'ai lu en 3 fois. J'ai cru l'abandonner. Toute cette érudition comme cadeau d'anniversaire, l'amitié a ses limites. Et puis j'y revenais, avec parfois une semaine d'absence, quelques infidélités d'autres lectures. Et à chaque fois, malgré les apparences, je m'y retrouvais. Je suis donc parvenu au "bout". J'étais assez content, un peu comme lorsque l'on a terminé l'escalade d'un sommet pyrénéen, qu'il faisait chaud et que le chemin n'était pas toujours clairement indiqué. Mais ça allait bien au delà. Car comme en montagne, le panorama final s'avérait surprenant, riche, un 360° d'une vision enrichie du monde. Je ne détaillerai pas toutes les pistes ouvertes, les sympathies partagées ( comme Mathias ( pardon comme Franz!), par exemple, j'aime Mahler et grince avec le Vague Nerf!).
Toutes ces digressions...moi ça me va! Roman ou pas, franchement je m'en contrefous!
Dans un monde de lecteurs si friands de "lectures de gare", je ne vais pas me plaindre de trouver en Boussole une sacrée locomotive lourd d'un charbon parfois étouffant mais si copieux à m'emporter dans de fameux voyages dans l'espace et dans le temps.
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Je viens de terminer la lecture de ce roman de Mathias Enard ou plus précisément l'auteur vient de finir de me lire son roman : 18 heures de lecture ! C'est un privilège que je dois à Babelio et à Audiolib.

J'y ai voyagé à travers les âges de la défaite des Ottomans après le siège de Vienne au XVIIe siècle à nos jours, à travers les pays et les civilisations de Vienne à Istanbul, à Damas, à Téhéran, à Darjeeling jusqu'au Sarawak en Malaisie, à travers le patrimoine culturel littéraire et musical de notre vieille Europe et celui des racines orientales. Il faut dire que les deux héros de ce roman Frantz et Sarah sont tous deux de fins lettrés, orientaliste et musicologue. On mesure alors à quel point l'Europe est proche de l'Orient aussi bien par Goethe et son Divan, que par Balzac, voire Verlaine et Rimbaud, Pessoa et aussi Liszt, Debussy, Berlioz, Beethoven, Schubert, le fado et beaucoup, beaucoup d'autres encore. Ces héros contribuent certes à construire ici l'édifice gigantesque de la culture européenne-orientale ou de l'étroite imbrication des deux mais ils forment aussi un couple presque aussi mythique que celui de Tristan et Iseut dont l'histoire ne cesse d'hésiter entre Eros et Thanatos ... Ce n'est pas pour rien que le prix Goncourt a couronné ce roman et il est vain de tenter de le résumer. D'ailleurs la renommée de l'oeuvre a rempli la toile d'une glose tentaculaire sur ce récit.

Or mon propos concerne ici la lecture audio par l'auteur lui-même : pour moi qui ne connaît de l'orient que ce que j'en ai lu, l'écoute a été justement un tremplin vers l'inconnu que le roman nous convie à explorer : tous ces mots et noms étrangers me paraissent si imprononçables qu'ils freinent sans cesse la lecture. Écouter l'auteur les lire tout naturellement, comme si leurs sonorités lui étaient coutumières, contribue amplement au plaisir de la découverte de ces Orients que le roman explore. A cela s'ajoute, le rythme particulier de la phrase ou du chapitre, le mélange des registres entre humour, lyrisme et tragédie que l'auteur traduit par sa voix.

Difficile de choisir un extrait tant les possibilités sont multiples. En voici un, presque au hasard, tiré du chapitre 3 où il est question De Balzac et de ses relations avec l'Orient :
Lien : http://www.lirelire.net/2016..
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Boussole de Mathias Enard, est un ovni littéraire situé à la frontière entre le roman, l'essaie et le livre documentaire. Riche somme de connaissances dédiée à l'Orient et aux relations entre Orient et Occident au cours des siècles, il se présente comme une longue nuit d'insomnie au cours de laquelle la pensée du narrateur, instable et fuyante, foisonnante autant qu'intarissable, se livre à une passionnante plongée dans le temps et dans l'espace, sur les traces de son propre passé, et sur celles des grands orientalistes qui l'ont précédé.

Le récit principal se déroule donc le temps d'une nuit blanche, de 23h10 à 6h du matin. Frantz Ritter, un musicologue universitaire autrichien passionné d'Orient, ne parvient pas à trouver le sommeil. Couché dans la chambre de son appartement de Vienne, il voit défiler toutes les minutes, se retourne dans son lit, écoute les bruits environnants, et voit peu à peu son esprit partir malgré lui, s'évader dans un voyage intérieur nocturne fait de réflexions, de pensées diverses, de souvenirs mêlés de rêveries. Il se remémore ses souvenirs, ses nombreux voyages en Orient, les moments partagés avec Sarah, une jeune universitaire rencontrée il y a des années, les lieux visités ensemble, leurs discussions enflammées, et les nombreuses expériences vécues au cours de ses séjours. de nombreux récits de vie personnelle en forme de souvenirs s'imbriquent alors au creux du récit principal, celui de l'insomnie. Mais ces récits dans le récit ouvrent à leur tour dans l'esprit connaisseur et érudit de Ritter, sur des réflexions autour des nombreux personnages de l'histoire, plus ou moins connus, qui ont eux aussi voyagé en Orient, ou ont tout simplement été inspirés, influencés par lui. de lien en lien, tout au long de la nuit, la pensée insomniaque de Frantz divague, voyage, s'échappe, revient dans l'obscurité de la chambre, puis repart vers Sarah, cette femme aimée si loin de lui désormais, bifurque de nouveau vers l'histoire des arts, de la musique, de la littérature que lui inspirent ses souvenirs, embarquant ainsi le lecteur dans un voyage culturel d'une extraordinaire richesse.

Il ne faut donc pas chercher dans Boussole une histoire narrée en continu, ni une petite fiction légère et divertissante déroulée dans une seule direction. Des temps multiples s'enchâssent dans le temps de cette nuit viennoise, s'étirant du 19e siècle à nos jours, des espaces et des territoires lointains et exotiques pénètrent dans l'espace étriqué de cette chambre obscure, d'Istanbul à Alep ou à Téhéran, faisant de Boussole un fabuleux puzzle culturel, un roman à tiroirs, une toile complexe tissée entre Orient et Occident, entre hier et aujourd'hui, entre rêve, fantasmes et réalité. le voyage intérieur de Frantz au cours de cette nuit interminable est parsemé d'une multitude d'anecdotes, de souvenirs, de pensées imbriquées, de pistes tracées, de liens tissés, mêlant les moments passés avec Sarah et les universitaires dans les années 90, aux parcours et aux vies d'autres orientalistes des deux derniers siècles. le roman est bourré à chaque page de références culturelles, artistiques et littéraires, brossant ainsi une impressionnante galerie de portraits, dressant une gigantesque liste d'oeuvres et de lieux, flirtant parfois dangereusement avec le catalogue. le lecteur rencontre alors une ribambelle de personnages, illustres pour certains (de Balzac à Wagner en passant par Goethe ou Mahler), mais pour bon nombre inconnus : artistes, architectes, musiciens, écrivains oubliés, poètes, princes, explorateurs fous, voyageuses-héroïnes au destin romanesque ou tragique, archéologues-espions, scientifiques, qui ne trouvent d'ordinaire leur place que dans les thèses les plus pointues et les travaux les plus confidentiels, mais à qui l'auteur rend ici hommage en leur conférant une identité, une existence, et en les remettant en lumière dans l'histoire culturelle et artistique occident-orientale, au moins le temps que le regard du lecteur ne parcoure la page, puisque nombre d'entre eux seront hélas bien vite oubliés.

Boussole est un roman exigeant qui demande une attention et une implication certaines, par son foisonnement culturel mais aussi par sa langue. D'emblée les premières pages du livre peuvent dérouter voire décourager, enveloppant le lecteur dans une langue riche et inépuisable mais complexe, aux phrases très longues, parcourues de nombreuses subordonnées et usant abondamment de signes de ponctuation d'ordinaire peu employés dans le roman : points virgules, deux points, tirets, parenthèses, venant structurer et rythmer ces longues réflexions égrainées au fil de la pensée insomniaque. Toutefois, la langue est riche sans jamais être austère ni inaccessible, elle est même très souvent drôle, emprunte d'humour pour décrire des personnages hauts en couleur, des situations vécues, l'absurdité de certains comportements et milieux sociaux, ou l'ironie d'événements de l'histoire.
Le choix d'une langue touffue, foisonnante, faites d'imbrications et de digressions multiples illustre d'ailleurs parfaitement le cheminement de l'esprit propre à l'insomnie, qui passe d'une pensée ou d'une idée à une autre sans jamais s'arrêter, sans même que le dormeur contrarié ne s'en rende toujours compte. La pensée insomniaque ne saurait souffrir aucun point, aucune interruption, tout s'enchaîne, tout file, comme la langue dentelée déployée par l'auteur de Boussole, qui rend compte à merveille de cette instabilité de la pensée lorsqu'on n'arrive pas à dormir.

A travers le personnage de Frantz Ritter, Mathias Enard restitue fidèlement cet état d'insomnie, marqué par l'instabilité de la pensée, lorsque l'esprit part divaguer dans les méandres de la mémoire ou de la projection, lorsque les songes se mêlent brièvement aux souvenirs, les modifiant, les fantasmant dans une somnolence vite interrompue. Parfois au cours de la nuit l'esprit insomniaque de Frantz est rappelé à la réalité par un son entendu, par le clapotis des gouttes de pluie sur la vitre, une lueur qui entre par la fenêtre, le bruit d'un tramway qui passe, ou simplement une envie pressante. Il revient alors furtivement à la réalité de la chambre et de la situation : je n'arrive pas à m'enlever Sarah de la tête, est-ce bien le moment de penser à elle ? se dit-il, enjoint au sommeil par la raison, avant d'être d'aspiré par une nouvelle pensée, après quelques secondes seulement, et de repartir pour sa sinueuse promenade, tout étant prétexte et rampe d'accès dans ces moment là, vers un nouveau voyage mental jusqu'au prochain rappel tangible. « …changeons-nous les idées, retournons-nous, l'homme qui cherche à s'endormir se retourne et c'est un nouveau départ, un nouvel essaie, respirons profondément. »

Le personnage de Sarah constitue avec l'Orient, l'autre fil conducteur de ce voyage nocturne et de la pensée du narrateur qui, amoureuse, y revient sans cesse. Tout mène à Sarah à un moment ou un autre au cours de cette longue nuit d'insomnie. le dernier article dont elle est l'auteur, reçu le matin même, a ravivé les souvenirs et les sentiments de Frantz pour cette femme cultivée, savante, curieuse et émerveillée, à l'esprit toujours en éveil et avide de savoir. Sarah est fascinante et semble posséder toutes les qualités : elle est belle, intelligente et passionnée, infatigable, d'une énergie débordante, parfois jusqu'à susciter l'agacement, capable de s'indigner des choix muséographiques faits dans tel musée, ou de disserter inlassablement sur les aspects les plus pointus de la littérature orientale. Mais elle est surtout pour Frantz la femme aimée désormais inatteignable, inaccessible, qu'il a laissé partir sans jamais vraiment lui avouer ses sentiments. Sarah est l'héroïne évanescente du roman, toujours présente mais toujours lointaine, qui n'existe plus que dans les souvenirs nocturnes et emprunts de mélancolie et de regrets d'un homme malade, en proie au doute et à l'auto-dépréciation. Boussole est le roman de ce sentiment amoureux qui parcourt le narrateur tout au long de la nuit, de la manifestation intime d'un amour non assouvi dont il ne reste que des fragments : mails, articles, objets, souvenirs.

Boussole est donc un roman passionnant, extrêmement documenté, ayant pour toile de fond l'histoire d'amour, d'amitié et de complicité intellectuelle de Frantz et Sarah, mais dont la lecture demande toutefois temps et concentration, pour parvenir à être happé par son récit fourmillant, alvéolaire, arborescent qui peut paraître difficile d'accès au premier abord. Cet immense réseau de petits récits mêlés de connaissances érudites aura probablement raison, quoi qu'en dise l'auteur lui-même, de bon nombre de lecteurs peu armés pour ce type d'ouvrage. Pour les plus vaillants, un temps suffisant de lecture sera nécessaire à chaque fois pour se plonger ou se replonger pleinement dans le livre et tâcher de ne pas trop perdre le fil, et malgré tout la tentation de décrocher pourra réapparaître par endroits, et on reprendra parfois sa lecture sans savoir plus où on se trouve. La somme conséquente de références qu'il réunit peut désemparer, mais si le lecteur accepte de ne pas tout connaître, renonce évidemment à faire des recherches à chaque nom croisé inconnu de lui, et se laisse tout simplement emporter dans cette folle nuit de voyages, de rencontres, de découvertes, de visites, de fumeries et d'amours, il ne s'ennuiera pas et en ressortira lui aussi avec l'impression de n'avoir pas dormi. La lecture de Boussole implique toutefois une bonne dose de courage et un brin de lâcher-prise.

Une fois acceptées les particularités du roman et ses propres limites, le lecteur découvrira un bel hommage à la culture orientale qui plaira aux esprits curieux, aux amateurs d'Orient et de voyages, aux amoureux de la langue française, dans lequel la richesse culturelle d'un Orient aujourd'hui malmené par un contexte géo-politique désastreux, est remis à l'honneur. L'auteur y ravive les liens profonds, les échanges mutuels, les interpénétrations constantes et les constructions communes qui ont existé entre l'Orient et l'Occident depuis des siècles, en faisant des détours par l'art, l'archéologie, la littérature, ou encore l'histoire de la musique. Un vrai régal pour les lecteurs avides de savoir, de culture et de découvertes. Au gré des séjours de Frantz et Sarah, le lecteur visite des sites aussi magiques que majestueux, regarde des fresques somptueuses, goûte des mets subtilement épicés, des nectars aux saveurs explosives, découvre des textes de poésie persane ou se laisse bercer par la voix d'une chanteuse sur fond de oud et de musique orientale, déambule dans les ruelles animées des villes encore épargnées par la guerre, partage la tente de bédouins hospitaliers. Mais plus qu'un simple voyage culturel, Boussole célèbre l'importance de l'autre en soi, des rencontres, des mélanges, des superpositions, des allers-retours et la nécessaire altérité dans la construction des civilisations. Sans moralisme ni misérabilisme, l'auteur évoque aussi par allusions et par la voix de son narrateur, la triste actualité de ces régions du monde, la situation qui frappe la Syrie et l'héritage du régime monstrueux des Assad depuis des décennies, l'horreur assénée par les islamistes sanguinaires. Il exprime à demi mots la profonde tristesse ressentie à voir la ruine de ces contrées majestueuses qu'il a connues et qui, comme à Frantz et à Sarah, lui sont si chères.

On découvre et on apprend énormément de choses en lisant Boussole, on en oublie beaucoup aussi, mais cela est sans importance puisque chacun pourra se l'approprier comme il le souhaite, y trouver quelque chose qui l'interpelle, et garder une part de ce roman nourrissant aux mille ingrédients, qui peut se lire une fois, ou plusieurs, d'un bout à l'autre ou par petits morceaux, au gré de ses envies.

[ Pour aller plus loin et se plonger dans l'atmosphère hautement musicale du roman : excellente initiative de l'émission La Grande Librairie, qui met en ligne une playlist qui recense tous les compositeurs, les morceaux et les chansons cités dans Boussole (beaucoup de musique classique, des opéras notamment, et un peu de musique orientale).
A découvrir sur : http://www.deezer.com/playlist/1523408091 ]
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Franz Ritter, le locuteur, est un hypocondriaque viennois, opiomane par besoin, musicologue de métier, spécialiste des musiques orientalistes du 19ème siècle. Les chapitres de sa nuit d'insomnie sont horodatés de 23h10 à 06h00 dans le flot d'un récit qu'on suit difficilement. Ses souvenirs nous mènent dans les villes de ses amours incertaines avec la belle et savante Sarah, celle qui lui offre une boussole orientée vers l'est: Alep où les horreurs sont anciennes, Téhéran dans la révolution Khomeyniste, Istanbul et toutes les villes des congrès et des rivalités académiques. Il nous assène partout une érudition formidable, jetant à chaque page dix noms de personnes ou de lieu, avec des citations de huit pages complétées de fac-similés. Les rares dialogues sont distanciés, traités sur un mode théâtral avec indication en majuscules des acteurs et en italiques de leur expression: FRANZ (confus) (...) SARAH (sourire patient) (...). L'humour ne vient qu'en milieu d'ouvrage, comme si l'auteur avait voulu tester la constance du lecteur. C'est un humour savant et autodestructeur, personnel ou par citation (Lucie Delarue-Mardrus fait de l'orientalisme une galanterie étrangère: Les Orientaux n'ont aucun sens de l'Orient. Le sens de l'Orient, c'est nous autres les Occidentaux, nous autres les roumis qui l'avons (j'entends les roumis, assez nombreux tout de même, qui ne sont pas des mufles) (p 191). L'émotion, la sincérité et la finesse de la relation amoureuse avec Sarah apparaissent en fin de volume. D'abord dans le malentendu: Aucun des mots ne me revient, aucune parole, tout est heureusement effacé; ne me restent que son visage un peu grave et la montée de la douleur, la sensation de redevenir soudain un objet dans le temps, écrasé par le poing de la honte et propulsé vers la disparition (p 196). Puis dans la splendeur de l'accomplissement à Téhéran (chapitre daté 5h33).

J'ai pesté contre le jury du Goncourt pendant les trois premiers quarts du livre, pour enfin me rallier à son jugement: l'originalité et la finesse méritent le premier plan. Un regret: le locuteur explique que, dans son métier, on ne compose ni ne joue d'instrument, pas plus que le critique n'écrit, et que l'expert se réfère à la science, pas à la jubilation. Bien, mais on aimerait les références des centaines de merveilles, perses ou ottomanes, instrumentales ou chantées, citées par allusion et probablement enregistrées.
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Comme je me suis fixé comme règle stupide de lire tous les prix Goncourt (sauf les années se terminant par le chiffre 6), j'ai donc lu Boussole de Mathias Enard, auteur que je connaissais pour avoir lu (et approuvé) zone (qui est bien plus qu'un exercice de style avais-je dis à son propos si je me souviens bien), mais la prose de cet auteur est quand même un peu compliquée si bien que je n'étais pas tenté de relire l'une de ses productions. Mais le sort en a décidé autrement.

Dans Boussole, le narrateur est Franz Ritter, un musicologue viennois qui agonise dans sa chambre suite à une maladie apparemment contractée lors d'un voyage en Orient, l'Orient qui, comme on dit est le personnage principal de ce roman, un roman auquel il faut s'accrocher, trouver des branches solides pour ne pas se casser la gueule par terre. Lors d'une nuit d'insomnie, il se remémore tous ses voyages et ses rencontres dans cette partie du monde dont il constate à regret la situation actuelle.

La théorie qui sert de fil rouge au tout est que la musique classique occidentale a été fortement influencée par la musique orientale. Je me garderais bien de le contredire ! En tout cas, c'est pour constater sur le terrain la véracité de sa théorie qu'il passe sa vie à parcourir l'Orient, de la Syrie, à l'Iran en passant par Istanbul. C'est un peu barbant quand on n'est pas amateur de Wagner ou de Liszt mais le roman qui est d'ailleurs autant un essai qu'un roman (on va dire que c'est un essai romanesque) ne s'arrête pas aux travaux de Ritter. Ces voyages sont pour le narrateur l'occasion de rencontrer des personnages hauts en couleur et je pense notamment à ce professeur alcoolique qui lui rappelle tout le processus qui a amené l'Iran à devenir une république islamique. Lors de ce monologue, Franz Ritter est accompagnée de Sarah, l'égérie de Boussole, Sarah, une orientaliste dont Franz est amoureux et avec qui il a dormi corps contre corps sous les colonnes des ruines de Palmyre mais cet amour platonique sera finalement le grand regret de Franz. Sarah l'amour de sa vie ne sera restée en fin de compte qu'une grande amie fuyante et trop absorbée par ses voyages et sa quête spirituelle qui l'amènera au bouddhisme.

Évidemment, cette oeuvre est dans l'air du temps et l'auteur a sans doute voulu briser des idées reçues et montrer les rapports étroits qui unissent l'Orient et l'Occident dans tous les domaines culturels surtout dans cette période tourmentée que traverse cette partie du monde mais il n'occulte rien des atrocités et du rigorisme oriental. Dans ce roman d'une érudition qui frôle parfois le débordement, on croise les figures de Rimbaud (dont, horreur, on subodore qu'il n'est pas l'auteur des illuminations) et de femmes aventureuses ou sulfureuses comme Annemarie Schwarzenbach qui vaut un roman à elle toute seule.

Alors oui, il faut lire Boussole (et celle que possède Franz indique désespérément l'est…) et tant pis si parfois on perd le fil du rasoir. C'est un grand Goncourt et Mathias Enard prouve une fois de plus que c'est un auteur sur qui il faut compter si tant est qu'il devait encore le prouver.

Loïc LT, 10/12/2015
Lien : http://doelan.blogspirit.com..
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Que dire après la lecture de Boussole ? Est – ce :
Une nuit ajoutée aux Contes des Mille et un nuits.
Un voyage en Orient avec l'évocation des déserts de Syrie, les palmerais de Palmyre, la neige de Téhéran ou les rivages du détroit d'Ormuz.
Un récit érudit et surprenant sur les artistes du 19ème et 20ème siècle influencés par l'Orient comme les musiciens Beethoven ou Schubert, des écrivains comme Flaubert ou Balzac et les peintres tel Delacroix ou Victor Kramer.
Une série de portraits d'aventurières attachantes : Lady Hester Stanlope ou Margan d'Andurain.
Un plaidoyer vibrant pour la richesse du contact avec l'autre . «  Tous les orientalistes, ceux d'hier comme ceux d'aujourd'hui, se posent cette question de la différence, du soi, de l'autre... » . Et l'inquiétude pour ce monde oriental en danger. «  Parfois, j'ai l'impression que la nuit est tombée, que la ténèbre occidentale a envahi l'Orient des lumières. Que l'esprit, l'étude, les plaisirs de l'esprit et de l'étude, du vin de Khayyam ou de Pessoa n'ont pas résisté au XXème siècle, que la construction cosmopolite du monde ne se fait plus dans l'échange de l'amour et de la pensée mais dans celui de la violence et des objets manufacturés «.
Oui, Boussole, c'est tout cela. Mais, c'est aussi un livre profondément humain. Les rêves brisés des universitaires orientalistes sont pathétiques. Leurs échecs les conduisent à une fuite dans l'alcool et la drogue. Mais, si la boussole de Franz pointe vers l'Est, c'est vers l'Est de Sarah. Boussole est un formidable roman d'amour, l'amour inconditionnel et inabouti de Franz pour Sarah. Sarah fuit de plus en plus loin jusqu'à se réfugier dans un monastère tibétain. «  ...sa vie, comme celle de Sarah, est un long chemin vers l'Est, une suite de stations qui la mènent, inexorablement, toujours plus loin vers l'Orient à la recherche de quelque chose qu'elle ignore. »
Un livre mélancolique, presque triste, loin d'un Orient rêvé, de l'Orient des Mille et Une nuits. » Un vitrail. Je est dans la nuit. L'être est toujours dans cette distance, quelque part entre un soi insondable et l'autre en soi. Dans la sensation du temps. Dans l'amour, qui est l'impossibilité de la fusion entre soi et l'autre. Dans l'art, l'expérience de l'altérité « . Mais, le dernier mot du roman est espérance.
 
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Cette lecture m'a assommé, m'a laissé KO par l'excès d'informations de toute sorte. Même si au final, on peut dire que ce fut une lecture intéressante, riche, par moments hermétique, mais d'où on pouvait extraire quelques idées brillantes et de temps en temps un trait humoristique effilé.

En début de lecture le livre me faisait penser assez fort à Danube, livre écrit par un autre érudit, Claudio Magris…(autre KO de lecture) et quelques pages plus loin, je tombe sur une première citation dudit Danube (et il y aura une deuxième citation plus tard). Mais pour moi, le livre Danube de Magris est encore plus hermétique et difficile à lire car ses digressions partent dans tous les sens et peuvent s'éterniser comme par exemple sur les origines du fleuve Danube. C'est un livre référence pour érudits de la Mittel-Europa.

Le texte d'Evrard est en flux de conscience où un narrateur malade et souffrant d'insomnie, se remémore sa vie. Dans les souvenirs de ce narrateur il y a des choses très épicuriennes, variées; je dirais de façon prosaïque, que dans ce livre « ‘il y en a pour tous les goûts » et par ce biais, c'est plus facile à lire.

L'écriture d'Evrard est de qualité, elle peut comporter quelques envolées lyriques du plus bel effet et la poésie orientale est largement référencée.

LE SUJET DU LIVRE: Franz Ritter est autrichien, musicologue spécialisé en musique orientale, il fait partie « des orientalistes », une élite qui étudie divers aspects de l'Orient. Il sera amoureux toute sa vie de Sarah, une française orientaliste aussi, thésarde et détentrice d'une renommée internationale, toujours en voyage, toujours entre deux conférences. Ils vont se rencontrer à Téhéran où cet amour ne sera jamais vécu comme une réalité, mais plutôt comme un rêve inassouvi, une éternelle anxiété, de la part de Franz. A tel point que je me suis posé souvent la question de la réalité de Sarah. Joue-t-elle le rôle d'une métaphore? d'un idéal évanescent? Pour moi, elle manquait de chair, d'épaisseur.

Franz Ritter fera plusieurs séjours en Orient, toujours sur la trace de Sarah, une trace très peu tangible, source de regrets perpétuels. Ces voyages incessants sont motivés par des recherches en musique mais aussi par une certaine quête spirituelle, une confrontation permanente entre Orient-Occident (…un Orient extrême au-delà des flammes de l'Orient moyen, on se prend à penser qu'autrefois l'Empire ottoman était « l'homme malade de l'Europe » : aujourd'hui l'Europe est son propre homme malade, vieilli, un corps abandonné, pendu à son gibet, qui s'observe pourrir en croyant que Paris sera toujours Paris.

En parlant de Sigmund Freud, l'écrivain Evrard fait dire à l'autrichien Ritter...je ne suis même jamais entré dans l'appartement du cocaïnomane spécialiste de la vie sexuelle des nourrissons…Fichtre, j'apprends ici un fait que j'ignorais.

Pour le côté poétique de l'écriture, voici mon échantillon…Où se trouve la lumière de Sohrawardi, quel Orient montrera la boussole, quel archange vêtu de pourpre viendra nous ouvrir le coeur sur l'amour? Eros, Philip ou agape, quel ivrogne grec en sandales viendra de nouveau, accompagné d'une joueuse de flûte, le front ceint de violettes, nous rappeler la folie de l'amour?

Une mélopée délirante par moments que ce livre, trop riche en informations où l'humain n'est qu'un faire valoir pour de vastes connaissances.

Lecture certes intéressante, un peu accablante comportant des flammèches de génie.
Lien : https://pasiondelalectura.wo..
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Ce roman a comme trame l'insomnie d'un homme malade, qui se remémore ses voyages de spécialiste des musiques orientales d'Istanbul à Téhéran en passant par Damas, toujours hanté par Sarah qui arpente les mêmes lieux et les mêmes découvertes. C'est un livre dense et assez erudit mais qui curieusement ne vous ecrase pas de sa science. On y découvre des choses et des personnages d'Orient et d'Occident dont certains nous accrochent plus ou moins. Les recherches historiques où le narrateur brille, alternent avec l'histoire d'amour où il est sympathiquement pathétique. Si les digressions peuvent parfois nous perdre, la langue est si belle, que les ambiances enveloppantes nous emportent malgré tout.
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