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sur 682 notes
Un essai autobiographique intéressant dans lequel l'auteur, philosophe, professeur d'université, mêle ses souvenirs personnels à des considérations sociologiques générales.

Alors qu'il ne cachait pas son homosexualité, Didier Eribon s'est longtemps efforcé de taire ses origines sociales qu'il exécrait et dont il avait honte. Ce n'est qu'après le décès de son père avec qui il était brouillé, (comme d'ailleurs avec le reste de sa famille), qu'il décida de revenir dans sa ville natale, Reims et d'avoir de longues conversations avec sa mère. Dans cet ouvrage il ose enfin dévoiler le milieu modeste dans lequel il a vécu jusqu'à ses vingt ans. Père manoeuvre porté sur la boisson, mère femme de ménage, frère garçon boucher, grand-mère concierge, habitat dans une cité HLM, l'auteur décrit froidement la vie d'une famille ouvrière pauvre et peu instruite, la sienne. Des conditions précaires et une classe sociale qui ne laissaient présager, pour lui, d'aucune ascension dans la société. Il n'a eu de cesse de s'en échapper afin de poursuivre ses ambitions.

L'auteur raconte toutes les étapes de son parcours personnel, les difficultés auxquelles il s'est heurté, sa résistance et sa combativité. Il y ajoute des réflexions sur les classes, le système scolaire, la fabrication des identités, les genres, la politique, les gouvernements, les dominations sous leurs différentes formes. Il cite et développe les théories de divers philosophes et sociologues qu'ils l'ont inspiré tels Michel Foucault, Pierre Bourdieu, Jean-Paul Sartre, Raymond Aron. J'avoue que certains passages sont parfois ardus et peu accessibles aux lecteurs non initiés.
Didier Eribon fait aussi référence aux récits intimistes, à l'ascension sociale et à la honte qu'a longtemps ressentie Annie Ernaux. Ces parcours peuvent être mis en parallèle tout comme celui d'Edouard Louis, pour lequel Retour à Reims reste une référence primordiale.

J'ai aimé le réalisme et le regard froid que l'auteur porte sur son milieu d'origine mais aussi son effort d'introspection et au final sa sincérité. Il découvre que son brillant parcours s'est construit sur le rejet de son origine sociale. Peut-être après coup éprouve-t-il quelques remords ou regrets...). Et même si je me suis parfois un peu perdue dans ses réflexions sociologiques, j'ai apprécié la lecture de cet ouvrage.

#Challenge illimité des départements français en lectures (51 - Marne)
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Didier Eribon me fait penser à l'enfant qu'auraient eut Annie Ernaux et Eric Zemmour. Je m'explique: à la mort de son père, beauf honni, Didier Eribon retourne à Reims et raconte comment et pourquoi il a quitté son milieu familial (ouvrier) qui lui faisait honte. Comme Annie Ernaux, Eribon mêle expérience personnelle et sociologie. Il analyse l'inappétence des jeunes des milieux populaires pour l'école, le vote front national, les goûts culturels... Et il est souvent très lucide. Mais il est surtout très méchant. Et c'est en cela qu'il me fait penser à Eric Zemmour tant on sent chez lui le frustré revanchard. C'est aussi pour cela que j'ai cessé ma lecture à la moitié. Je n'en pouvais plus de son mépris et de son ingratitude. J'ai eu honte pour lui d'avoir à ce point honte de son frère ou de son grand-père. J'ai eu honte pour lui de n'éprouver aucune reconnaissance au fait qu'il ait pu lire Marx et Lénine vautré dans sa chambre (qu'il n'avait pas à partager parce qu'il faisait des études) pendant que ses parents se tuaient littéralement à l'usine. On dirait la dernière scène de Ressources humaines sauf que la violence du petit con envers son père s'exprime de longue. Deux exemples qui m'ont ulcérée. le premier concerne l'école. Eribon ressasse cette théorie discutable selon laquelle l'école serait une machine à exclure. Il fait remarquer, non sans raison, que ce sont toujours parmi les classes populaires, que les jeunes n'aiment pas l'école. Mais il va plus loin: il prétend que la bourgeoisie agit à dessein, qu'un complot des possédants vise à supprimer toute possibilité, pour les pauvres, de s'élever dans l'échelle sociale. Cependant, une question se pose alors: et lui ? pourquoi et comment a-t-il aimé l'école ? N'est-ce pas par sa propre volonté qu'il a réussi ? N'aurait-il pas pu aider ses frères cadets ? - Ben non, bien sûr. Il avait tellement envie de les fuir qu'il préfère accuser la société. Tellement facile ! Autre malhonnêteté: il explique (très bien, quoi que dans un style ampoulé) que l'élection de François Mitterrand marque à la fois le sommet des aspirations de la classe ouvrière et le début de l'effondrement de celle-ci. Il explique comment les anciens étudiants bourgeois de mai 68 ont dénaturé les aspirations des ouvriers puis leur ont tourné le dos avant de les réduire au silence par leur mépris glacé. Mais il fait là son propre portrait !!! Celui d'un ex gauchiste bobo qui "ne serre pas la main à quelqu'un qui vote FN". Non, vraiment, je ne peux pas continuer. J'ai envie de le gifler.
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J'ai voulu lire ce livre après avoir vu le documentaire éponyme, que j'avais trouvé particulièrement éclairant sur la condition ouvrière mais aussi sur l'éducation. Il se trouve que ce livre était dans ma bibliothèque, un de ces livres dont je me demande comment il est arrivé là (je table sur les petits lutins, même si je sais très bien que ce n'est pas crédible).
Didier Eribon retrace son parcours, celui de ses parents, sans fards, sans se faire de cadeaux. Ce qu'il a fait, ce qu'il n'a pas fait, ce qu'il regrette aussi, lui qui a choisi de couper les ponts avec ses parents, avec ses frères, et qui s'interroge sur le fait de "revenir à Reims", après le décès de son père. Ecrit ainsi, je ne retranscris pas du tout la complexité de la pensée de Didier Eribon. Je ne retranscris pas son analyse du milieu dans lequel il a grandi, où la violence est quotidienne, ce que je qualifierai de "violence ordinaire", celle que l'on ne voit pas, que l'on ne veut pas voir, qui est "privée", violence exercée sur le corps et le mental des femmes et des enfants. Violence qu'il ne justifie pas : il montre les mécanismes qui peuvent expliquer comment l'on n'en arrive là. Il est question aussi de la violence exercée sur le corps des ouvriers, qui porteront les traces des travaux qu'ils ont effectués, traces qui ne feront que s'accentuer inexorablement en vieillissant, "traces" qu'il vaudrait peut-être mieux que je nomme "séquelles", ou "usure précoce pour cause de travail pénible". La pénibilité au travail a fait débat lors de la réforme des retraites, et certains penseurs politiques nous ont alors asséné leur diagnostique : si un métier est si pénible que cela, alors il faut en changer quand il devient trop dur. Simple. Facile. A dire mais pas à faire.
Le racisme et l'homophobie sont deux autres thèmes qui sont abordés. Didier Eribon rappelle que certains partis "de gauche" ont pu avoir des propos racistes, pour ne pas dire plus. Il démontre aussi que, contrairement à certaines idées reçues, les ouvriers ne votaient pas tous à gauche, mais un bon tiers vote à droite. Il montre aussi le glissement du vote de gauche vers le vote à l'extrême-droite, expliquant les techniques par lesquels ces hommes et femmes politiques les ont attirés vers ce parti, profitant il est vrai du désintérêt des politiques pour eux. Enfin, si tant est qu'ils se soient réellement intéressés un jour au sort des ouvriers. Il nous rappelle que l'autre, l'étranger, a toujours focalisé le mépris, la haine, il est "le bouc émissaire", et ce, déjà, au XIXe siècle, quand des ouvriers italiens sont arrivés en France. Quant à l'homophobie, si je devais écrire une appréciation, je dirai qu'elle est constante, normalisée, banalisée.
En ce qui concerne l'éducation (nationale), je sens que certains ne vont pas apprécier ce que je vais dire. Pourtant, l'éduc nat, je suis dedans depuis l'an 2000. Et ce que Didier Eribon écrit, je l'ai constaté quand j'étais élève. En ces années 80 finissantes, dans le collège où j'étais, l'on ne retenait pas vraiment les élèves dans le système éducatif. Certains quittaient le système scolaire dès la fin de la cinquième - et pas de leur plein gré. Pour nos professeurs, faire des études longues, c'était avoir le bac (combien nous l'ont dit ? Je n'ai pas compté). Enfin, sauf pour les filles, parce que nous serions toutes maman à 18 ans. Bref, certains professeurs cachaient à peine le mépris qu'ils éprouvaient pour nous. Et quand Didier Eribon dit qu'on ne lui a jamais parlé des classes préparatoires, je le rassure, c'est un constat que j'ai fait quand j'ai commencé à enseigner : aucun d'entre nous (=les professeurs du collège où j'enseignais) n'en avaient entendu parler pendant ses années collège et lycée. Rassurant ? Non, pas vraiment.
Alors, un avis est forcément personnel. Je ne regrette pas d'avoir découvert cette oeuvre qui interroge autant.
Lien : https://deslivresetsharon.wo..
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C'est après la mort de son père, auquel il ne parlait plus depuis des années, que Didier Eribon est retourné à Reims.

Extrait:

"En relisant le beau texte de James Baldwin sur la mort de son père, une remarque m'a frappé. Il raconte qu'il avait repoussé le plus longtemps possible une visite à celui-ci,qu'il savait pourtant très malade. Et il commente: "J'avais dit à ma mère que c'était parce que je le haïssais. Mais ce n'était pas vrai. La vérité c'est que je l'avais haï et que je tenais à conserver cette haine. Je ne voulais pas voir la ruine qu'il était devenu: ce n'est pas une ruine que j'avais haïe."
Et plus frappante encore m'a paru l'explication qu'il propose: « J'imagine que l'une des raisons pour lesquelles les gens s'accrochent de manière si tenace à leurs haines, c'est qu'ils sentent bien que, une fois la haine disparue, ils se retrouveront confrontés à la douleur »
La douleur, ou plutôt, en ce qui me concerne- car l'extinction de la haine ne fit naître en moi aucune douleur- l'impérieuse obligation de m'interroger sur moi-même, l'irrépressible désir de remonter dans le temps afin de comprendre les raisons pour lesquelles il me fut si difficile d'avoir le moindre échange avec celui que, au fond, je n'ai guère connu. Quand j'essaie de réfléchir, je me dis que je ne sais pas grand-chose de mon père. Que pensait-il? Oui, que pensait-il du monde dans lequel il vivait? de lui-même? Et des autres? Comment percevait-il les choses de la vie? Les choses de sa vie?
Et notamment nos relations, de plus en plus tendues, puis de plus en plus distantes, puis notre absence de relations? Je fus stupéfait,il y a peu, d'apprendre que ,me voyant un jour dans une émission de télévision, il s'était mis à pleurer, submergé par l'émotion. Constater qu'un de ses fils avait atteint à ce qui représentait à ses yeux une réussite sociale à peine imaginable l'avait bouleversé. Il était prêt, lui que j'avais connu si homophobe, à braver le lendemain les regards des voisins et des habitants du village et même à défendre, en cas de besoin, ce qu'il considérait comme son honneur et celui de sa famille. Je présentais, ce soir là, mon livre, Réflexions sur la question gay et, redoutant les commentaires et les sarcasmes que cela pourrait déclencher il avait déclaré à ma mère: « Si quelqu'un me fait une remarque, je lui fous mon poing sur la gueule."

Familles, familles.. Beaucoup est dit dans ces lignes du début de ce très beau livre, mélange de récit autobiographique, d'essai sociologique et d'auto-analyse.
Car ce qui domine est la volonté de comprendre. Et de comprendre plusieurs choses passionnantes et qui nous concernent tous à un degré divers.

Alors que c'est l'homophobie existant et se manifestant en permanence à l'époque tant dans son milieu familial que scolaire qui l'a conduit à tout faire pour quitter ce milieu, il est passé d'une « honte »à une autre, en changeant radicalement de milieu social . Et il a longtemps et soigneusement caché ses origines ouvrières à ses nouvelles relations intellectuelles…

Je vais bien sûr peiner à expliquer les liens, mais ils sont très finement analysés dans ce récit qui se situe plusieurs niveaux, social, familial, scolaire et politique. Très intriqués bien sûr. Si j'avais quelque espoir que cela serve à quelque chose, je conseillerais cette lecture à notre ministre de l'Education,et à tous nos Enarques pendant que j'y suis, j'ai rarement lu quelque chose qui me parlait aussi bien de l'équilibre très fragile entre exclusion quasi annoncée du système , et chance donnée par le système scolaire( c'est la seule..) . Et pour un qui s'en sort, combien sombrent? Bourdieu en a parlé, bien sûr, mais pas avec cette sérénité et ce recul. Ils se connaissaient bien et il est beaucoup cité dans ce livre, ainsi que bien sûr aussi Foucault dont Eribon a écrit la biographie.

"Je pensais qu'on pouvait vivre sa vie à l'écart de sa famille et s'inventer soi-même en tournant le dos à son passé et à ceux qui l'avait peuplé."


C'est toute l'intelligence de ce récit de montrer, à partir d'un exemple personnel, qu'il n'est jamais trop tard pour percevoir qu'on ne s'affranchit jamais de l'injure ni de la honte, mais qu'il est impératif de comprendre comment on peut quelquefois les utiliser,je le laisse parler ( dans Citations!) Longuement, car il résume clairement, c'est un livre très clair qui parle de choses pourtant si complexes!
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Merci à Mariecesttout de m'avoir fait découvrir ce livre et il aurait en effet été bien dommage d'en rester à la honte d'Annie Ernaux. Dans la honte, le milieu est très modeste mais relativement soft et Annie Ernaux n'y dépasse pas le stade descriptif. Ici, le milieu d'origine de l'auteur relève plus d'une description à la Zola, et le rejet de Didier Eribon y est en outre accentué par son homosexualité, qui a été le révélateur initial de son besoin de distance avec le milieu de son enfance. L'intérêt de ce livre est que Didier Eribon ne se contente pas de décrire. Il analyse ses sentiments avec beaucoup de sincérité et sans complaisance pour lui même, et tente à partir de son expérience personnelle de théoriser la notion de classes sociales, son fondement et les conséquences qu'elle implique en terme d'éducation, d'égalité de chances et de choix politiques. On pourrait lui reprocher comme il le reproche lui même à Raymond Aron, qu'il déteste, une subjectivité liée à la condition particulière de sa propre famille, dont il considère comme acquis sa représentativité de la réalité du monde ouvrier, mais cette référence est clairement assumée et présente l'avantage d'être très démonstrative de son point de vue. Les exemples vécus font que cette démonstration sonne très juste. Les références à d'autres auteurs sont un autre intérêt de ce livre, qui incite à d'autres lectures sur le sujet. Un grand livre de sociologie, mentionne l'éditeur. Je confirme et en recommande vivement la lecture.
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Voici un livre que je n'aurais certainement jamais lu s'il n'avait été évoqué au détour d'une conversation par un de mes beaux-frères qui l'avait trouvé remarquable et passionnant. Je n'ai en effet aucune appétence pour la sociologie, et la culture de base de cette discipline me manque donc complètement. Toutefois, et c'est une des qualités de l'ouvrage de Didier Eribon, la lecture en est relativement aisée, et si j'ai parfois cherché deux ou trois définitions, c'était en général pour confirmer et préciser ce que j'avais déduit du contexte.

La démarche de l'auteur est d'expliquer, et si possible de théoriser son propre parcours. Celui-ci a ceci d'intéressant qu'il a à la fois valeur d'exception et valeur d'illustration ou d'exemple. Exception au sens où, fils d'ouvrier, Didier Eribon était selon toute probabilité inscrit dans un parcours scolaire puis professionnel semblable à celui de tant d'autres (dont ses propres frères). Or, il s'en est extrait pour devenir un intellectuel, s'excluant du même coup de son milieu familial dans une forme de rejet mutuel quasi pathologique. Exemple ou illustration par son vécu finalement ordinaire d'adolescent de province réalisant son homosexualité, la refusant d'abord puis la revendiquant, et découvrant le milieu gay et sa culture. Il est son propre objet d'étude, revenant sur la manière dont ces deux grands marqueurs de son enfance et son adolescence ont contribué à façonner le "sujet", celui et ce qu'il est devenu. J'ai apprécié sa réflexion, nourrie de son propre exemple et de ses nombreuses lectures, qui, sans prétendre à l'universalité, propose des explications théoriques intéressantes et éclairantes pour d'autres parcours similaires ou au contraire dissemblables et restés "dans le rang" d'une norme sociale trop pesante pour en secouer le joug.

Didier Eribon ne se prive pas d'en égratigner quelques-uns au passage, et d'en replacer quelques autres sur un piédestal dont on les avait peut-être un peu vite déboulonnés. Que l'on adhère ou non à ses convictions, on doit reconnaître qu'il argumente toujours et que ses idées incitent à la réflexion. En ces temps de diffusion généralisée de prêt-à-penser simplificateur et outrancier, ce n'est pas le moindre de ses mérites.
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Retour à Reims est une autobiographie sous forme d'essai mêlée d'éléments sociologiques. Il permet à son auteur de revenir sur son enfance et son parcours universitaire. Si en tant que sociologue, Didier Eribon s'est largement penché sur la question homosexuelle, celle des classes populaires est bien d'avantage au coeur de ce livre. Il y retrace les différentes étapes de sa vie, son propre transfert de classe et la manière dont il a été perçu par son entourage, la manière aussi dont il s'est distancié de sa famille. Son identité homosexuelle est abordée comme étant une des clés de son évolution intellectuelle et culturelle. A plusieurs reprises, il fait état du « mur de verre » auquel il a dû se heurter – et auquel toute personne faisant l'expérience d'un changement de groupe social se heurte – parce qu'il n'avait pas les codes de ce nouveau milieu. Il met en avant la manière dont les goûts sont modelés par l'environnement social : comment un fils d'ouvrier jugera presque systématiquement ridicule la représentation d'un opéra, summum du raffinement dans d'autres milieux. Avec recul et justesse, il revient sur son propre comportement, proche du snobisme, au début de sa vie étudiante lorsque, par exemple, il ne pouvait pas comprendre que ses camarades issus de classes aisées s'intéressent au football, sport largement répandu et apprécié dans les milieux ouvriers.

La force de Retour à Reims s'exprime dans l'absence de jugement, Didier Eribon – en bon scientifique – se contente d'observer à la fois ses propres réactions et celles de son entourage. Il constate l'existence de frontières psychologiques entre les différentes milieux sociaux et culturels, et par ce simple constat il fait à mon sens oeuvre de résistance en invitant le lecteur à la réflexion. Loin de toute naïveté, Didier Eribon n'enjolive pas à posteriori le milieu dont il est issu, il en reconnaît les incohérences, notamment politiques – du vote communiste à la montée de l'extrême-droite – et endosse la casquette du sociologue pour développer ces questions. Il travaille ainsi à décrire les mécanismes de domination de classes et leur influence sur l'individu et sur le groupe auquel il appartient.
Lien : https://synchroniciteetseren..
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Voici une agréable découverte de lecture. En s'appuyant sur son passé d'enfant issu d'un milieu ouvrier très modeste, Didier Eribon mène une réflexion sociologique sur la lutte des classes.
Le livre se divise en 5 parties plus un épilogue et une introduction sous forme d'interview d'Edouard Louis.
Dans les deux premières parties, l'auteur raconte sa jeunesse dans cette famille ouvrière qui avait du mal à joindre les deux bouts malgré l'acharnement au travail des parents. le quotidien est souvent glauque : violence, alcoolisme, beaucoup de regrets de la part des parents qui aspiraient bien évidemment à une toute autre existence. La place de l'école y est largement développée et on comprend qu'il est difficile d'échapper à sa condition même avec de l'instruction !
La troisième partie s'attarde davantage sur la place de la politique au sein des classes populaires. Didier Eribon y explique comment le Front National a su récupérer les voix autrefois accordées au Parti Communiste en tenant un discours populiste qui résonnait agréablement aux oreilles de ceux qui se sentaient méprisés par les représentants de l'Etat.
Dans les quatrième et cinquième parties, il revient sur son adolescence et sa vie d'étudiant à Reims puis à Paris en expliquant quelles difficultés il a dû braver du fait de son milieu social et de son homosexualité en accordant une large place à ce qu'on pourrait nommer ses mentors : Sartre, Bourdieu et Foucault.
Edouard Louis dit en préambule que ce livre a la capacité de changer des vies. Pour ma part, il m'a en tout cas éclairée sur la condition du milieu dont je suis issue et sur comment le système s'acharne à maintenir chacun à sa place dès le début de la scolarité. Il faut une détermination hors pair pour briser les barrières de classe et sans doute une intelligence brillante.
Je reste admirative devant le parcours de Didier Eribon qui a réussi tout cela.
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Beaucoup de mépris dans ce texte et bien peu d'amour… on comprend certes une ambition – devenir un intellectuel – puisque l'auteur reconnaît qu'il n'a suivi des études que dans la construction d'une pensée politique complètement décalée de la réalité et en copiant ce qui s'est fait ailleurs (ainsi son DEA n'est obtenu que de cette manière sans qu'il ait lu les auteurs qui forment son sujet…), et on saisit bien que le moteur de cette ambition est l'aversion, mais on ne saisit pas bien, en dehors de l'autosatisfaction de s'être offert une vie confortable, ce que de positif aura animé cette existence… le mépris, en particulier, à l'égard de sa famille devient insupportable à force d'être répété et sans qu'il ne mène jamais, semble-t-il, seulement à une prise de conscience de l'auteur qui se contente de le déverser avec d'autant plus de violence qu'il est exprimé avec indifférence – et on se demande à quoi il sert de devenir intellectuel si c'est pour marquer une telle incapacité de compréhension – des autres… Les passages sur le marxisme et la politique sont aussi superficiels que dépassés puisqu'ils reprennent des schémas de pensée entre une gauche ouvrière et une droite patronale dont il ne semble pas qu'il soit abusif de dire qu'elle est plus que datée, et on pourrait même reprocher à cette pensée qui se veut de gauche une supériorité et une capacité à cliver, à rejeter hors de soi ce qui gêne, une tendance qui pourrait selon les mêmes schémas être jugée comme typique d'une droite – qui ne serait pas la plus centriste… En particulier, j'ai trouvé le mode argumentatif avec lequel il s'adresse à sa mère (p. 141) au sujet de son vote, particulièrement fourbe : comment peut-on avoir écrit sur la honte et s'en être plaint, prétendre être qualifié en politique internationale, et ne trouver pour argument envers quelqu'un dont il ne cesse de rappeler la faiblesse des connaissances que – la honte ? La particularité de la honte est qu'elle se retourne contre qui veut en faire abusivement usage – et c'est bien le cas ici… de fait, si les premières pages laisse envisager par leur très grande littérarité et leur perçant un texte hautement littéraire par une introspection que leur brutalité semble imposer, il n'en est rien : le récit de l'enfance n'est pas approfondi vers une explicitation de la haine que ressent l'auteur. Sartre est cité pour fourni un « principe [d'] existence » : « L'important n'est pas ce qu'on fait de nous, mais ce que nous faisons nous-mêmes de ce qu'on a fait de nous » : l'auteur indique dans cet ouvrage qu'il n'a fait que du dégoût du dégoût qu'il dit avoir subi – sans jamais montrer qu'il aurait cherché, malgré sa grande érudition qui marque ici son artifice puisque moyen plutôt que fin, ne serait-ce qu'à le comprendre… Ne reste donc que cela : la haine, le dégoût, le mépris, qu'illustre magnifiquement les toutes dernières lignes et qui nous donne singulièrement l'impression d'être pris pour les mêmes imbéciles que ceux dont il parle dans cet ouvrage par une existence de façade qui n'aurait appris à maîtriser les mots que dans le soucis de marquer son mépris des autres et sans aucunement celui de leur donner d'autre sens...
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Voilà une lecture dont je sors avec un goût d'inachevé qui justifie les deux étoiles seulement.

Trois éléments m'ont rendu cette lecture difficile :
- le style de l'auteur que j'ai trouvé trop sentencieux, parfois presque lourd et emprunté,
- l'espèce de carcan idéologique au prisme duquel tout est passé y compris la simple humanité. Cela prive le récit d'une chaleur qui aurait pu faire naître la compassion,
- la douleur qui suinte de toutes les pages. En tout cas le manque de joie. le sujet est un sujet grave certes. Je ne suis pas certain que la dissection dont il fait l'objet serve réellement le propos.

Cela étant dit, cette étude sociologique car au-delà du prétexte autobiographique c'est de cela qu'il s'agit, est très intéressante. Elle éclaire bien certaines lignes de fracture de notre société même si, à mon sens, elle ne va pas toujours au bout des choses.

En filigrane, des thèmes qui me sont chers : la paternité, la transmission, la construction de l'individu, l'héritage.

La lecture de certaine critiques m'a peut être fait attendre un peu trop de cet ouvrage. Dommage.
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