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sur 682 notes
Très bon essai sur la rupture sociale, que ce soit en terme de classe socio-professionnelle ou en terme d'hétéronormalité. Contrairement à certaines critiques antérieures, je ne trouve pas que cet essai relève de la martyrologie (oui, vivre son homosexualité est toujours un défi aux yeux des normes sociétales, qu'on peut payer très cher, que ce soit physiquement ou mentalement, cf la sombre période du vote sur le "mariage pour tous"), ni de la rancune (il y a des personnes qu'on n'a pas à remercier, y compris sa propre famille, quand on se rend compte qu'elles ne nous ont pas du tout aidé à nous construire, financièrement, moralement, psychologiquement, etc ; ceux qui disent que l'on doit forcément aider sa famille et la remercier rentrent justement dans ce que Didier Eribon souligne : la norme sociale). C'est brut, c'est dur, mais c'est exaltant de lire cela, surtout quand on a de la maturité. C'est une lecture que je conseillerai fortement aux plus de 40 ans (avant, on n'a pas forcément la maturité pour réfléchir sur soi). Et, aussi important que les ouvrages d'Annie Ernaux, on se rend compte qu'on n'est pas seul.e à être perdu.e face à la rupture sociale, à avoir honte de ses proches, voire les détester pour ce qu'ils sont. Il est très dur de dire qu'on n'aime pas ce qu'ils sont/ont, mais que de toute façon, il faut faire avec car ils restent notre famille biologique, qu'on le veuille ou non.
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Didier Eribon, sociologue et philosophe, à l'occasion d'une remise de prix, a tenté de faire un bilan de son parcours, celui d'un transfuge de classe, et considère sa famille, sa classe, sa ville natale et son environnement qu'il a tenté d'apostasier toute sa vie, d'une manière plus objective.
J'ai été gênée dès le début de ma lecture avec les similitudes de ce récit non seulement avec ceux d'Édouard Louis mais aussi avec Jean-Luc Lagarce ; j'ai essayé de me les expliquer par la chronologie, par la similitude de leur parcours (écrivains, intellectuels, gays, ex-provinciaux, transfuges de classe, en rupture familiale...) qui doit créer un nouveau topos sur le retour d'une telle personne/d'un tel personnage dans la famille quittée : les conversations auxquelles on feint de s'intéresser mais qu'on écoute à peine, les neveux inconnus dont on se contrefiche, la mère qu'on se garde comme point d'ancrage mais sans la surinvestir, le père haï voire craint dont on découvre le corps détruit par la vieillesse et la pauvreté laborieuse et qui (le fils enfui étant revenu oint d'une gloire médiatique et surtout télévisuelle, donc racheté) abjure avec le temps son homophobie et reconnaît son fils. Édouard Louis, qui doit beaucoup aux conseils d'Eribon, a-t-il conscience qu'il a creusé le sillon avant lui ? Et Eribon a-t-il conscience qu'il écrit si tard que cela frôle la réécriture ? En tout cas, son approche est moins littéraire, plus "sciences humaines" plus rigoureuse en fait, je n'ai pas l'habitude et ça m'a bien plu.

Mais Eribon a d'autres références : il cite, entre autres, Baldwin (Conversations, 1989 : to avoid the journey back is to avoid the Self, to avoid "Life") et je vois le Prologue de Juste la fin du monde.

J'ai été emballée par la rétrospective qu'Eribon fait du rôle du Parti (communiste) entre 1950 et 1970 auprès de la classe ouvrière. La définition que Deleuze donne de la gauche dans son Abécédaire est inepte et Eribon souligne que le premier n'a pas pris la peine de la vérifier auprès de qui que ce soit avant de la pondre.

Cf. suite de cette très longue critique sur mon blog au lien ci-dessous.
Lien : http://aufildesimages.canalb..
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Je découvre vraiment (au-delà du nom et de la réputation) Didier Eribon à travers cet excellent ouvrage. J'avoue ne m'être jamais penché sur ses écrits, enfermé que je suis parfois par l'idée que certaines thématiques sont secondaires (et que celle de la question gaie en fait partie, voire qu'elle peut être instrumentalisée pour mieux enfouir la vraie, la grande la seule réelle question sociale).
Mais Eribon, qui a lui d'abord consacré ses analyses à cette question de l'identité sexuelle, revient précisément sur la question sociale de sa propre trajectoire et livre, dans ce brillant essai, une auto-analyse qui ne cesse de nous éclairer sur les mécanismes de la domination, aussi bien concernant les « déviants » (selon la théorie de l'étiquetage bien sûr) sexuels que s'agissant des exploités (à ce titre, et dans la période que nous connaissons, les propos d'Eribon sur le vote nationaliste des ouvriers sont vraiment très éclairantes et explique, n'en déplaisent à la gôôche – au sens de Michéa – le succès qu'ont connu certaines figures du prolétariat (Marchais, Krazuki) et que pourrait iej connaître l'actuel candidat du PC (un succès sans doute tout relatif mais dont je ne serais pas du tout surpris qu'il engage une « remontada » du PC par rapport aux scores de plus en plus lamentables du parti depuis 20 ans.
Ça donne une très, très, bonne introduction à ce que la sociologie peut donner de meilleur, me semble-t-il. Peut-être certaines formulation méritent-elles d'être déjà familier de la discipline, mais ce ne serait peut-être mêle pas rédhibitoire pour un novice réellement intéressé.
Et puis, cerise sur le gâteau, on fait ici connaissance avec un homme d'une telle honnêteté intellectuelle et si attendrissant parfois que la lecture même simplement curieuse de ce récit d'une des figures intellectuelles de notre temps vaut déjà la peine.
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Livre culte pour Édouard Louis entre autres "Retour à Reims" de Didier Eribon mérite largement des louanges. le sociologue saisi l'occasion d'un retour aux sources pour écrire ouvertement sur son identité sociale et sexuelle.
C'est avant tout le livre d'un intellectuel proche de Michel Foucault et de Pierre Bourdieu, dont les références citées sont appréciables et incitent à la lecture : Annie Ernaux, Paul Eluard, Marguerite Duras, Samuel Becket, Simone de Beauvoir et surtout James Baldwin, Jean-Paul Sartre et John Edgar Wideman.

En rupture avec sa famille depuis une trentaine d'années, ce retour dans la maison de son enfance à la mort de son père est l'occasion de raconter son histoire et, à travers elle, la nôtre puisqu'il complète ses confessions par des réflexions sur l'évolution des mentalités.
Publié en 2009, cet essai permet à Didier Eribon de revenir sur le passé. Pour cela, il reconstitue l'histoire familiale et les expériences constitutives de son appartenance à la classe ouvrière. Il y constate en particulier comment cette classe ouvrière où, dans son enfance on votait communiste, s'est désormais tournée vers l'extrême droite, se sentant abandonnée par la gauche.
Il se redécouvre donc fils d'ouvriers lui qui s'était toujours envisagé comme un adolescent gay. Dès lors, deux parcours s'imbriquent, l'un en regard de l'ordre sexuel et l'autre en regard de l'ordre social. Cela lui permet d'analyser sa trajectoire de transfuge de classe, et le rôle qu'y a joué son homosexualité. D'ailleurs, il montre comment il a repoussé sa famille, sa honte du prolétariat mais aussi la contradiction entre son ressenti et l'intellectualisation. Il écrit "J'étais politiquement du côté des ouvriers mais je détestais mon ancrage dans leur monde."

Au final, Didier Eribon propose de rompre avec les théories qui découpent le monde selon des frontières uniques (de classes, de genre, de race, de sexualité) et d'élaborer une théorie du sujet qui permet de penser la multiplicité de nos expériences.
De quoi faire réfléchir.


Challenge Entre-deux 2023

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La fluidité de la pensée et la légèreté du maniement de concepts complexes m'impressionnent terriblement. En refermant le livre, j'ai eu la pensée fugace d'avoir été intelligente ! Que de savoirs, de connaissances, de maîtrise pour rendre accessible ces concepts, le tout servi avec une écriture fluide et agréable.

Je salue également le courage de l'auteur pour s'être immergé en lui même sans indulgence et avec la plus grande des sincérité et, d'en avoir publié les résultats.
Un essai / témoignage très bien écrit, d'une grande sincérité, d'une très grand honnêteté.

Je ne partage pas nombre de ses points de vue, mais je comprend que cette lecture puisse avoir des répercussions majeures pour bien de ses lecteurs.
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Après la mort de son père l'auteur se rend auprès de sa mère à Reims, la ville de son enfance. Après des années de séparation il retrouve donc son milieu d'origine, dont il s'était très éloigné et avec lequel il avait quasiment rompu. C'est l'occasion de réfléchir sur la mise à distance sinon le rejet de sa classe d'origine, les rapports père – fils, et surtout le déterminisme social qui marque tant notre société.
Voilà de la « sociologie de terrain » particulièrement pertinente et aiguë, un livre très accessible et particulièrement éclairant à notre époque où les fractures de notre société s'avèrent béantes.
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Contrairement à ce que j'ai pu croire au premier abord, ce livre n'est pas une biographie à proprement parler, ni même un livre de philosophie politique, ni encore un livre de sociologie, mais un mix des trois.

Dans ce livre Didier Eribon revient sur une partie de sa vie, qu'il a occultée durant de longues années. La mort de son père et son enterrement auquel il n'a pas voulu assister, et son retour à Reims, ville où il est né et où ont vécu ses parents, est l'occasion pour lui de se remémorer son passé, et d'analyser les causes qui l'ont éloigné de sa famille pendant plus de 30 ans.

Issu d'un milieu modeste (père ouvrier ayant gagné à force de ténacité, le statut d'agent de maîtrise, mère femme de ménage dont les espoirs déçus de n'avoir pu faire des études et d'accéder à une autre condition sociale ont laissé les traces de quelques rancoeurs). Didier Eribon a longtemps eu honte de ses origines préférant être identifié comme homosexuel - ce qui à son époque n'était pas aussi bien toléré qu'aujourd'hui - catégorie sociale qu'il estimait plus valorisante car teinté d'intellectualité, et dans laquelle il s'est beaucoup investit à défendre la cause, plutôt que fils de prolétaire, délaissant ainsi la question de domination sociale...

Il revient notamment sur la sélection quasi systématique qui s'opérait dans les années 1968-1970 en France. Dès la scolarité, où un fils d'ouvrier était souvent dirigé vers des filières techniques passé le certificat d'études, alors, qu'un fils de « bourgeois » poursuivait ses études naturellement au lycée, voire pouvait effectuer des études supérieures, ou une prépa dans des Grandes Ecoles. Il en résultait que les ouvriers étaient condamnés à rester dans leur milieu social sans réelle possibilité d'évolution. Ce fût le cas de ses frères - avec lesquels il n'avait aucun point commun et avec qui il a rompu tout contact - qui entrèrent en apprentissage avant d'occuper un métier plus en rapport avec leur milieu d'origine.

Il se penche également sur le parcours politique de sa famille grands-parents et parents votant communiste dans les premiers temps par affiliation naturelle, fidélité, à un parti censé défendre les droits des ouvriers, puis en 1980, lorsque celui-ci participera au gouvernement et sa stratégie à nier ou diminuer la thématique de la lutte des classes, ceux-ci se tourneront vers le Front National, qui lui, met en façade la déception des classes populaires et leurs revendications.

Il y a une forte contradiction chez l'auteur, la haine de sa famille liée à tout ce que comporte ce milieu ouvrier - à mon sens, véritable caricature du monde à la Zola – et sa volonté de lutter contre la domination sociale, de loin, c'est-à-dire sans être assimilé ou reconnu comme venant dudit milieu. Il se rend compte qu'il reproduit les jugements et les catégories de pensées des classes dominantes.

Le livre de Didier Eribon, peut être lu, comme je l'ai indiqué précédemment, sous différentes facettes, comme une auto-socio-analyse. Ecrit dans un langage très accessible, car il ne manquerait plus que ce livre se montre excluant dans son écriture ce qui serait un véritable contre-sens eu égard aux thèses défendues !

Je n'avais, honte à moi rien lu de Didier Eribon, mais ce premier essai m'a énormément intéressé. Je vais donc poursuivre la lecture de ses écrits !
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Un 31 décembre à minuit, Didier Eribon apprend par sa mère, au téléphone, que son père vient de mourir.

" Difficile de rendre compte de toute la réflexion et de toute l'émotion que suscite la lecture du livre, parcouru par les vibrations de révolte d'une mémoire humiliée, par une sorte particulière de mélancolie, analysée dans une très belle page, celle de l'être arraché à son premier monde " ( Annie Ernaux )

Ce livre m'a beaucoup touchée car je suis de la même génération que l'auteur, issue du même milieu social et comme lui, la seule " miraculée " scolaire de ma famille. J'ai moi aussi coupé les ponts avec ma famille d'origine, pour qui j'étais une sorte de mouton noir...
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Didier Eribon se heurte à l incompréhension de son milieu socio culturel qui ne conçoit pas que l on puisse être différent (homosexuel)
Cette rupture liée à la sortie par le haut ,il est universitaire ,de sa strate sociale l amène à en rechercher les causes aux plans psycho sociologique et économique .
Plus qu une introspection à voix haute , c est une analyse fine du glissement populaire vers le bas : au delà de cette limite vous ne serez entendu(compris ) et accepté que par une minorité .
On mesure depuis sa sortie l importance de cette fracture sociale si bien exposée dans cet opus. .
Un livre prémonitoire à mettre en parallèle avec la prose de Zemmour et consors .
Je l ai lu à sa sortie (né à Reims ! ) et rédige ces phrases de mémoire. INDISPENSABLE en ces temps de désarroi idéologique et moral.
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Le titre est à prendre bien sûr dans son sens littéral, puisque Didier Eribon est bel et bien retourné à Reims après des décennies d'éloignement, dès que son père a quitté la maison familiale pour un service dédié aux personnes atteintes d'Alzheimer ; mais il revêt aussi un sens symbolique, car, en retournant à Reims, ou plus exactement à Muizon, dans sa banlieue, c'est vers son enfance et sa jeunesse, vers une part de lui-même qu'il avait délibérément rejetée, reniée, qu'il a accepté de revenir, dans un travail de réconciliation avec cette part constitutive de son être.

Ce philosophe et sociologue à la carrière impressionnante nous livre un récit autobiographique touchant, qui mêle histoire personnelle et analyse sociologique et politique. Au fil des chapitres, il explore son passé, restitue l'histoire de sa famille et celle de la classe ouvrière et essaie de comprendre comment sa trajectoire personnelle a pu s'écarter du destin tracé d'avance pour les enfants d'ouvriers. Sa prise de conscience progressive de l'écart entre les classes sociales, de l'effet d'appartenance de classe dans une vie individuelle l'a fait fuir ce milieu d'origine pour devenir autre chose que ce à quoi le destin social l'assignait. Il expose le rôle du système scolaire dans le processus de perpétuation de ces écarts, de ce qui semble « aller de soi » -quitter l'école dès qu'elle n'est plus obligatoire pour les enfants de la classe ouvrière ou faire de longues études, pour ceux de la bourgeoisie ; le film récent de Jean-Gabriel Périot, Retour à Reims (Fragments), dans lequel Adèle Haenel lit des extraits du livre, sur fond d'images d'archives et d'extraits de films, l'illustre de façon saisissante, avec l'interview de jeunes ouvrières tout juste sorties de l'école, qui disent préférer la liberté gaie de l'usine à l'enfermement austère de l'école et ont eu l'impression d'avoir effectué ce choix librement et non d'être victimes d'un déterminisme d'exclusion.

Il tente aussi d'analyser l'histoire des dernières décennies en terme de classes sociales et s'interroge sur les raisons du passage de sa famille et de la classe ouvrière en général d'un vote communiste (eux les patrons vs nous les ouvriers) à un vote d'extrême droite (eux les étrangers vs nous les Français). Il tient pour responsable de ce changement la disparition de la notion de classes sociales dans le discours de la gauche qui l'a remplacée, à son arrivée au pouvoir, par l'idée de responsabilité individuelle et de pacte social. Didier Eribon estime que, en effaçant cette notion de groupes sociaux dans le discours politique, on amène ces groupes et classes à se reconstituer d'une autre manière.

Enfin, il souligne son sentiment d'appartenance à une classe sociale défavorisée en terme de références et intérêts culturels, d'opportunités et de choix, une classe de dominés et d'humiliés, et la honte qui accompagne le contact avec les ressortissants de classes privilégiées. On retrouve la même analyse chez Annie Ernaux, que Didier Eribon cite à plusieurs reprises ; comme elle, il relève ces « prononciations et tournures de phrases fautives, les idiomatismes régionaux » dont il a dû se débarrasser, et des phrases familières à sa famille : « Y'a pas de raison qu'on n'ait pas le droit d'avoir ça nous aussi », « Ils ne sont pas malheureux » et certaines situations où la honte l'empêchait d'être lui-même...

Avant ce retour vers sa région natale, il avait déjà écrit sur les mécanismes de la domination et de la honte (dans Réflexions sur la question gay, en 1999, qui aborde la honte qu'on ressent à ne pas être dans la norme sexuelle), mais jamais dans le domaine social, sur le fait d'être né dans la classe ouvrière, sur son ressenti de transfuge de classe. « Il me fut plus facile d'écrire sur la honte sexuelle que sur la honte sociale » écrit-il. Avec cet essai, il s'explique sur cette honte sociale, incommunicable auparavant, ce type même de honte spontanément caché, qu'il met cette fois en avant pour la faire entrer dans le débat public.
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