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Le vertige tome 2 sur 2

Geneviève Johannet (Traducteur)
EAN : 9782020064200
Seuil (01/03/1983)
4.51/5   69 notes
Résumé :
Le premier tome de ce récit autobiographique fut publié en Occident sous le titre le Vertige en 1967.
Il provoqua une émotion d'autant plus profonde que l'auteur se contentait d'y énoncer des faits. Par les portraits, les anecdotes qu'il contient, ce second tome demeure comme l'un des témoignages les plus hauts, et les plus bouleversants, sur la vie du Goulag.
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Née en 1904, l'universitaire Evguenia S. Guinzbourg fut arrêtée en février 1937 pour ne pas avoir dénoncé un collègue trotskyste. Trois mois plus tard, après un procès « à la soviétique » (la réalité des faits reprochés y importe peu), elle fût condamnée à dix ans d'emprisonnement en cellule d'isolement, peine ensuite commuée en autant d'années de travaux forcés sur le territoire de la Kolyma.
Ce territoire du nord-ouest de la Sibérie orientale est traversé par le fleuve du même nom qui se jette dans l'Océan glacial arctique. Séparé du reste du pays par de vastes étendues de taïga et par des montagnes, on y accédait alors par bateaux via la mer du Japon et la mer d'Okhotsk, ou par les airs, d'où l'une de ses appellations : l'« île de la Kolyma ». Un autre nom donné à la Kolyma était « territoire de la mort blanche », et une maxime de l'époque soviétique énonçait : « Колыма значит смерть » (se dit « Kolyma znatchit smiert » et signifie : « Kolyma veut dire mort »). Ce territoire est riche en gisements d'or. A l'époque soviétique, des camps de travaux forcés y furent implantés, précisément pour extraire de l'or. Staline (re)peuplait intensément ces camps (mais ils furent créés dès le début des années 1920 selon Alexandre Soljénytsine - 1918-2008 - dans l'Archipel du Goulag). Ce territoire et ses camps de travail sont célèbres grâce aux "Récits de la Kolyma" de Varlam Chalamov (1907 - 1982), autre écrivain interné par le Goulag, cité par Guinzbourg (chapitre "mea culpa").

"Le ciel de la Kolyma" fait suite à un premier récit autobiographique d'Evguenia S. Guinzbourg ("Le vertige"), dans lequel elle relate son arrestation et sa condamnation. Dans ce second tome, elle raconte sa vie à la Kolyma, et la vie de ceux qu'elle y croise (pour certains c'est leur mort qu'elle décrit, son poste d'infirmière l'y confrontant souvent). Ce témoignage confirme de nombreux propos d'Alexandre Soljénytsine dans «l'Archipel du Goulag».
Faim, cadences de travail infernales, froid, et maladie (scorbut et épidémies de dysentrie), font partie du quotidien des internés, même si certaines places ou travaux sont moins contraignants et préservent des chances de survie. L'affectation de l'auteure dans un élevage de volailles (lui permettant d'accéder à de la nourriture) et sur des postes d'infirmière lui sauva la vie. Dans ces camps, fraternité, solidarité, et amour, peuvent côtoyer indifférence, sadisme, et haine, et ce aussi bien chez les gardiens que chez les prisonniers. L'arbitraire règne, comme il avait régné lors des arrestations et des procès. Ainsi, à l'achèvement de ses dix années d'internement, l'auteure ne sait pas si elle va être libérée ou si sa peine sera prolongée "jusqu'à nouvelle ordre" comme pour beaucoup d'autres. Les prisonniers ignoraient les règles dictant ce choix à l'administration des camps. Sans que l'auteure ne le dise, il me semble que la gestion de cette population d'esclaves en économie planifiée était alors un critère important de décision des autorités soviétiques. Et pour les zeks (mot formé à partir des abréviations ZK qui désignaient les « zaklioutchenny », ou détenus) qui sortaient à l'issue de leur peine, le retour à la « liberté » (les guillemets s'imposent ici …) était compliqué, leur statut d'ancien détenu figurant sur leurs documents officiels et certains déplacements leur étant interdits. Difficile aussi de faire semblant de révérer un régime qui vous a traité en esclave pendant des années ! Les nouvelles fonctions d'éducatrice décrochées par l'auteure à Magadan - par chance, et grâce à sa maîtrise du piano - étaient psychologiquement éprouvantes pour elle, les messages de propagande à inculquer aux enfants lui donnant l'impression de devenir complice du régime.

Guinzbourg est une remarquable observatrice du monde qui l'entoure. Elle s'interroge sur la nature humaine. Les camps sont un champ d'observation et d'analyse propice. Là-bas les conventions sociales s'effacent et un humain peut montrer son vrai visage. La peur et l'instinct de survie peuvent cependant aussi l'amener à commettre des actes a priori contre ses principes. Son regard et ses descriptions sont toujours pleins de finesse, souvent bienveillants.

Bien que le cadre et les circonstances du récit soient glauques, celui-ci reste optimiste et sa lecture passionnante. Je n'avais pas lu la première partie de l'autobiographie de l'auteure, et n'en ai pas ressenti le besoin pour comprendre cette suite. Je ne manquerai cependant pas de corriger cette lacune. Me reste aussi à découvrir l'oeuvre de Vassili Axionov, l'un des fils d'Evguenia S. Guinzbourg.
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Des deux tomes de ses mémoires, c'est ce tome 2 que j'ai préféré.
Après avoir expliqué son arrestation et sa déportation dans le tome 1, le tome 2 va être consacré dans un premier temps à la vie dans les camps de travail et à la façon dont elle va survivre, suivie de la vie après le camps jusqu'à sa réhabilitation après la mort de Staline.
Ce deuxième tome est beaucoup plus intéressant parce qu'elle prend beaucoup plus de recul sur les choses et le système.
Un grand sujet de réflexion qui va ponctuer et animer son récit va être le rôle des individus dans un système tortionnaire. Quelle est la responsabilité individuelle de chacun ? Quel est son libre arbitre ? Quelle est sa marge de manoeuvre ? le passage sur la responsable de camps Zimmerman est particulièrement intéressant. Cette cheffe de camps décide de la vie et de la mort de chaque individu sur son territoire. Pourtant, il n'y a aucune méchanceté dans ses actes. La seule motivation qui la guide est le respect du règlement et c'est précisément cette rigidité qui va entrainer une telle maltraitance.
J'ai été frappée aussi par sa comparaison avec les camps de concentration nazis. A aucun moment elle estime que la situation est comparable alors que de mon point de vu le résultat est le même, voire bien plus meurtrier pour le goulag vu le temps où il est resté en activité. Si les camps nazis avaient pour objectif la destruction et l'extermination, le goulag est avant tout un camps de travail forcé où l'objectif est de remplir des normes de production. de ce que j'ai compris de son récit, c'est l'application stupide de normes et de règlements par des fonctionnaires zélés et terrorisés par les sanctions qui entraine ces dérives. Les règlements sont définis par des autorités de Moscou qui n'ont aucune idée de la réalité, ces règlements et normes de productions sont inatteignables et les fonctionnaires locaux pour les respecter préfèrent épuiser à la tâche les détenus et les remplacer par des détenus plus frais que de les maintenir en bonne santé. Concrètement, c'est une logique aveugle économique qui entraine ce comportement. En tant que fonctionnaire, cela m'a beaucoup fait réfléchir sur les dérives possibles du système et le rôle que chaque individu peut jouer comme rouages.
Finalement, c'est presque le portrait d'une dictature des normes et des règlements administratifs qu'elle nous fait de la dictature de Staline, le tout soupoudré d'un grand lavage de cerveau idéologique généralisé. Là aussi cet aspect est particulièrement bien décrit et expliqué à travers le rejet dont sont victimes les anciens détenus de la part des citoyens libres à qui on a vendu un monde envahi de traitres et de saboteurs.
Définitivement un excellent livre à lire absolument et qui ne mérite qu'une chose, être réédité.
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L'ile de la Kolyma, seule île absente d'étendues d'eaux.

Son nom lui a été donné par son isolement et sa difficulté d'accès, autre particularité, pas de clôtures, pas de barrière.

Les grillages existants sont ceux que la météorologie de l'endroit, pose.

Froid extrême, nature austère sans arbres ni plantations, la température annihilant toute source de vie.

De Magadan à Elguen en passant par l'île de la Kolyma, toute l'horreur humaine se fait corps et cris.

Traversée d'un enfer que même Satan n'aurait osé imaginé.

De haillons en force de convictions, témoignage d'âme qui a su traverser et survire de cette décadence dans laquelle l'Homme s'est échoué.

Témoignage à connaître et diffuser comme ce "vertige" et ces "mains coupées de la Taïga".
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Il s'agit de la deuxième partie d'un grand roman autobiographique sur la vie d''Evguénia Guinzbourg entre 1935 et 1955 (son arrestation, son séjour en prison puis dans des camps jusqu'à la mort de Staline et réhabilitation en 1955). le récit reprend donc en 1940, elle s'occupe pendant un an des enfants de détenus, qui vivent dans des conditions épouvantables. Puis la guerre éclate en 1941, et ça se dégrade : elle transite de camps en camps, rencontre son futur deuxième mari. En 1947 elle est libérée, mais après les camps, les détenus sont interdits de séjour dans la partie occidentale de l'URSS. En fait elle reste finalement à Magadan (la «capitale» de la Kolyma) et fait venir auprès d'elle son fils cadet, le futur écrivain Vassili Axionov, âgé alors de 16 ans. Son autre fils est décédé pendant la guerre. Elle adopte une petite fille. Puis en 1953 c'est le soulagement avec la mort de Staline : « C'étaient des larmes de vingt années. En une minute, tout défila devant mes yeux. Toutes les tortures et toutes les cellules. Toutes les rangées de fusillés et les foules innombrables d'êtres martyrisés. Et ma vie, ma vie à moi, réduite à néant par la volonté diabolique de cet homme ». Et enfin, en 1955, elle peut revenir dans la partie occidentale, réhabilitée « faute de corps du délit ». Evguénia Guinzbourg est vraiment une sacrée bonne femme : malgré ses observations fines sur la nature humaine, elle arrive à garder bienveillance et un certain optimisme. Et elle est douée pour l'écriture, la lecture est facile, fluide.
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goulag russe
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Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
Pendant plusieurs années il n’eut plus à la place de l’ulcère béant qu’un petit bleu opiniâtre. Mais peu avant le début de 1960, à la suite du surmenage moral et du choc physique représenté par la réhabilitation et le retour sur le continent, cet ulcère trophique se rouvrit en vertu de mystérieuses lois naturelles et s’étala à nouveau, béant, sur sa jambe. Comme un sceau, le sceau avec lequel tant et tant de détenus étaient morts à la Kolyma. A la fin de 1959, deux jours avant sa mort, Anton, hospitalisé à l’Institut thérapeutique de Moscou, disait avec un sourire amer : « On reconnait les anciens d’Auschwitz, et de Dachau à leur numéro tatoué sur le bras. Les anciens de la Kolyma, on peut les reconnaître à cette marque tatouée par la faim ». (Extrait du Chapitre « L’ire et l’amour de nos seigneurs… »)
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Toutes les autres éducatrices étaient des contractuelles, arrivées souvent depuis très peu de temps. Il y avait parmi elles des femmes charmantes, et je leur était reconnaissante du tact avec lequel elles évitaient de souligner ma qualité de paria. Mais je ne pouvais me lier d’amitié avec elles. Elles me paraissaient plus enfants que nos pupilles. Certes, elles avaient vécu la guerre, l’évacuation, la famine, mais sorties de là, elles ne savaient rien. Leur naïve confiance à l’égard de la propagande officielle était si forte que ce que leurs yeux voyaient à la Kolyma, elles ne le croyaient pas. Les phrases imprimées dans le journal faisaient sur elles plus d’effet que ce qu’elles voyaient dans la rue. C’est avec une extase quasi religieuse qu’elles apprenaient aux enfants la chanson si répandue à l’époque : « Le premier faucon est Lénine, le second est Staline. » En tout cas elles avaient un sentiment de la réalité nettement moins développé que, disons, la petite Lida Tchachetchkina, née à Elguen, qui avait déjà été par deux fois séparée brutalement de sa mère et qui, depuis six ans qu’elle était sur terre, avait vu je ne sais combien de mètres de barbelés, des dizaines de chiens-loups et autant de miradors. (Extrait du chapitre « Noble labeur », dans lequel l’auteure raconte son retour au monde « libre » et son travail d’éducatrice).
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Alors venaient des « pourquoi ? » et des « comment ? » sans fin, auxquels il était presque toujours délicat de répondre. C’est qu’il était diablement observateur, ce gamin ! La discordance entre les principes qu’on lui inculquait et ce qu’il voyait dans la vie réelle l’entretenait dans une inquiétude perpétuelle.
« Les éducatrices disent toujours qu’il ne faut pas s’assoir par terre, qu’on peut attraper du mal et se salir…
- Bien sûr. », acquiescé-je tout en pressentant vaguement un piège derrière cette phrase innocente. En effet, la voici. Comment se fait-il donc qu’Edik ait vu de ses yeux dans la rue, un soldat-escorteur qui criait : « Assis ! » à une colonne de zeks nouvellement débarqués et que tous se soient assis par terre ? Justement il venait de pleuvoir. Certains zeks se sont retrouvés le derrière dans des flaques. « Ils vont avoir attrapé du mal, n’est-ce pas ? C’était un mauvais homme, cet escorteur, n’est-ce pas ? » Le plus souvent j’élude ce genre de questions. Je détourne la conversation vers d’autres sujets. (…). Mais cette fois, il insiste : « C’était un mauvais homme, cet escorteur, n’est-ce pas ? » (Extrait du chapitre « Noble labeur », dans lequel l’auteure raconte son retour au monde « livre » et son travail d’éducatrice, ici à propos d’un enfant de six ans)
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J’ai gardé un souvenir particulièrement net de mon étude des « jeux créatifs ». Une heure était réservée, entre le goûter et le dîner, aux activités que l’on appelait ainsi. Les enfants avaient le droit de jouer à ce qu’ils voulaient et comme ils voulaient. Les éducateurs se tenaient à l’écart et devaient seulement éventuellement ramener le calme, veiller au bon usage des jouets communs, et surtout noter ensuite sur leur cahier, dans la colonne « bilan », à quoi avaient joué les enfants et comment s’étaient manifestés dans leurs jeux l’attachement à la patrie soviétique, la haine envers nos ennemis, etc. (Extrait du chapitre « Noble labeur » dans lequel l’auteure raconte son expérience d’éducatrice à Magadan peu après sa libération des camps de travaux forcés).
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Quand on vit pendant des années dans un monde de tragédie, on finit par s'accomoder d'une souffrance si constante, et on apprend même à lui échapper de temps en temps. On se console en pensant que la souffrance met à nu l'essence des choses, qu'elle est le prix dont on achète une vision de l'existence plus profonde et plus proche de la vérité.
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