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EAN : SIE244802_983
Marabout (30/11/-1)
3.94/5   27 notes
Résumé :
Selon une légende médiévale, la mandragore est une plante qui pousse au pied des gibets, née de la terre fécondée par la semence des pendus. Dans une ville des bords du Rhin, au début du siècle, le conseiller Jacob Ten Brinken, aidé de son neveu Frank, décide de créer une mandragore humaine. Il pratique sur une prostituée une insémination artificielle avec la semence d'un condamné à mort prise au moment où celui-ci vient d'être guillotiné. Ainsi naît une enfant de s... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique

Ah ! Hanns Heinz Ewers... Quel auteur fascinant !

Dandy allemand à la culture classique, il arpente au tout début du XXe siècle une partie du globe en aventurier (Amérique Latine, Caraïbes, Europe, États-Unis...). Sans doute, il se plaît dans sa figure d'artiste sans frontières et il y a dans cette philosophie quelque chose de très lumineux.
On se demande alors pourquoi se tourner vers le fantastique, le macabre et l'épouvante : genre à la mode dans la bourgeoisie de la Belle Époque ? Véritable amour pour la peur ? Esprit de provocation ?

Provocateur, H.H.Ewers l'est assurément. Ses nouvelles, avec lesquelles je l'ai découvert (Recueils "L'Araignée" chez Marabout et "Dans l'épouvante" chez J'ai lu), ont toutes en elles une tension malsaine, une acidité, regorgent d'allusions plus ou moins explicites qui rendent la lecture difficilement soutenable, même pour un lecteur du XXIe siècle ; dans la provocation, Ewers est un moderne.

Le roman Mandragore ne déroge pas aux règles de sa plume. Dans la forme, en décidant d'investir cette figure noire, mythique et mystérieuse, il inscrit son récit dans la lignée des auteurs romantiques se rappelant au bon souvenir du Moyen-Age. Stylistiquement parlant, le chapitrage et les intermede évoquent la pièce de théâtre ou l'opéra. Certains passages à partir du 14e chapitre (les plus ampoulés et mièvres, les moins digestes) assument de longues et précieuses descriptions de jardins, de plantes, et de reliefs aux aspirations gréco-romaines.
Dans le fond en revanche, il attise les braises du malsain : Mandragore est une jeune fille qui a le pouvoir (incontrôlable) de provoquer le désir, la folie passionnée, et la mort. Née de l'insémination artificielle d'un meurtrier guillotiné et de la plus dévergondée des putes, tout depuis la naissance est synonyme chez la jeune fille d'immoralité, d'impiété, et de vice.

H.H.E. provoque ? On l'a vu. Mais ici, rien n'est gratuit.
En la personne de Frank Braun, vrai protagoniste du récit, et incarnation dans le roman de Hanns Heinz Ewers lui-même, l'auteur développe une vision de la société allemande. La société dans laquelle il évolue est celle des cercles bourgeois où règnent le paraitre, le faux semblant et les plaisirs. Ce sont des héritiers fortunés qui méprisent le travail, multiplient les investissements pour s'enrichir, méprise le Peuple et côtoie la mort et le sexe par pur jeu. Rien d'étonnant à ce que l'idée de faire renaître Mandragore éclose dans une telle société.
Le livre est ainsi un prétexte pour dresser une vision de l'Allemagne. Elle est radicale et la jeune fille Mandragore n'est qu'une illustration de sa déliquescence. Frank Braun discutent à table avec ses amis haut placés, et à la lueur d'une introspection bienvenue, observera la société qu'ils forment et le monde qu'ils représentent. Pour ce dernier il aura une dernière pensée cinglante : "Seulement... c'est mort. C'est mort depuis longtemps et cela va vers la décomposition, mais, à vrai dire, ces messieurs ne le remarquent pas !' (pp.345-346 de l'édition C.Bourgois). L'Allemagne sombre, et elle sombre dans la frivolité des discussions d'une bourgeoisie mondaine. Hanns Heinz Ewers visionnaire ? le roman est publié en 1911...

Mais la critique repose sur une ambiguïté qu'il est nécessaire de souligner. Frank Braun/H.H.E. est lui aussi un bourgeois, lui aussi un décadent. Voire même le pire de tous. N'est-ce pas de son esprit malade que naît l'oeuvre odieuse ? Et n'est-ce pas encore la fièvre de son personnage qui ramène à la vie Mandragore ?
On se demande alors comment l'auteur peut ou veut se positionner face aux comportements des personnages qu'il condamne, comme il embrasse.

On peut par exemple parler de la pédophilie. Elle est inhérente au récit sans jamais être clairement explicitée. Les allusions à la jeunesse des filles est omniprésente, Mandragore fait l'objet de fantasmes charnelles chez les hommes et les femmes, alors qu'elle n'est qu'une enfant. On retrouve cette situation dans d'autres oeuvres de Ewers : la nouvelle La Mamaloi où un vieil allemand installé dans les Caraïbes profite de son statut de propriétaire opulent pour violer à loisir les petites filles de l'île. Un exemple qui rappelle le parcours d'un autre artiste et aventurier de la période, un certain Paul Gauguin... Si ici ou là on pointe du doigt le caractère déplacé de l'acte, c'est un leitmotiv régulier qui ne semble pas être un vrai sujet d'immoralité pour autant. Aussi à travers cette exemple symbolique on est en droit d'interroger la part de décadence de Ewers l'auteur, l'homme, sans pour autant lui prêter de procès d'intention post mortem trop vite, mais en évitant tout autant les raccourcis faciles à la "autres temps, autres moeurs".

Ewers fascine, parce qu'il est ambigu.
Tantôt génie du macabre, tantôt l'incarnation personnifiée du mal dans ses récits. Tantôt observateur avisé de son temps et ouvert sur le monde, tantôt citoyen allemand proche du Parti Nazi et familier avec Hitler...

Le roman Mandragore est aussi sombre et cruel que les nouvelles de Ewers. Si j'ai regretté certains passages descriptifs assez pesants et des incohérences narratives injustifiées (pourquoi Frank Braun disparaît du roman alors que son oncle lui a confié une mission auprès de la mère de Mandragore ? Il ne s'en acquittera jamais et il n'en sera jamais plus question tout au long du roman), la lecture est fluide, riche en péripéties, et la dernière partie est inspirée, pleine de tableaux somptueusement gothiques (comment ne pas penser au Dracula de B.Stoker?).
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Cela débute avec une réunion mondaine au cours de laquelle un jeune homme entend raconter le mythe de la mandragore. Ce jeune homme avide d'aller au fond des choses et de tout ressentir n'est autre que Frank Braun, également présent dans ''L'apprenti sorcier''. Exalté par ce qu'il vient d'entendre, il imagine un moyen pour incarner l'esprit de ces légendes dans un être de chair et de sang, et de la sorte faire basculer le mythe dans la réalité. Après quelque temps, l'expérience sera tentée ; que ressortira de tout cela ?

Une histoire sombre et captivante comme H. H. Ewers sait en concocter. Il excelle dans la peinture de la décadence humaine. Toute cette société de personnages gangrenés de défauts et de vices qu'il met en scène est peu recommandable, mais la palme revient à cette jeune fille, enfant adoptive du notable Ten Brinken, avec son irrésistible aura magnétique et sa vénéneuse influence...

Jusqu'à maintenant, toutes mes incursions chez M. Ewers valaient amplement le coup. Un attrait quasi-hypnotique m'a soutenu tout le long de ce roman qui ne date quand même pas d'hier (1911). Ce fut un plaisir de retrouver Frank Braun, personnage équivoque à la moralité plutôt fluide. Heureusement, quoique pas facile à dénicher, il reste encore quelques titres de cet auteur devant moi.
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Cette note n'est pas une critique du texte, que j'ai trouvé excellent et sur lequel je ne m'étendrai pas, mais de l'édition catastrophique de Terre de Brume parue en 2018.
J'imagine que le texte a été scanné à partir d'une précédente édition. le problème est que les logiciels de reconnaissance de texte sont loin d'être infaillibles et que, de toute évidence, personne n'a effectué de relecture avant l'impression. le texte est cousu de coquilles. Mots mal reconnus, ponctuation manquante ou fantaisiste, c'est un vrai festival de la première à la dernière page. Je peux tolérer ce genre de problèmes dans un ebook gratuit téléchargé sur le Net, dans un ouvrage à 20€, ça me reste un peu en travers de la gorge. Je ne peux pas m'empêcher de voir ce manque de soin pour la correction comme une marque de mépris flagrante de l'éditeur pour son lecteur. Je regrette amèrement de ne pas avoir opté pour une des éditions précédentes d'occasion.
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C'est un monde décadent que nous décrit Ewers. L'Allemagne de 1911 n'est plus qu'une poutre vermoulue faite de bourgeois corrompus qui grignotent le cadavre de leur civilisation.
Corrompus et malsains, trichant, abusant, n'hésitant pas à chercher le frisson dans des désirs coupables. ( La description de la famille Gontram, qui correspond au chapitre premier, est un bijou littéraire à elle seule.) Mais, qu'est-ce qui pourrait encore exciter ces âmes perdues? Vers quelle nouvelle noirceur plonger?
Alors tombe la Mandragore, racine fille du condamné le plus vil et de la Terre nourricière, celle qui peut amener bonheur et mort à la fois. Oncle et Neveu décident alors de créer une Mandragore humaine par une fécondation artificielle: fille d'un assassin décapité et de la putain la plus convaincue de la ville.
La petite Mandragore naît, celle qui amène bonheur et mort sur son sillage d'enfant...

Un livre à l'ambiance remarquablement dépeinte, on a le sentiment qu'il y fait tout le temps nuit, les décors défraichis témoignent d'une magnificence passée, mais tout tombe en ruines, les maisons comme les coeurs et les âmes. Si une visite dans les méandres toxiques de l'âme humaine vous tente...
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"Soeur de mon péché, c'est pour toi que j'écris ce livre".
Poète, dramaturge, écrivain, fantastiqueur macabre proche de lExpressionnisme, Hanns Heinz Ewers demeure certainement l'un des esprits les plus curieux de l'Allemagne de la charnière XIXème-XXème siècles.
Encore et toujours, sa "Mandragore" fascine... Encore et toujours, ce chef d'oeuvre de la littérature fantastique allemande envoûte et transporte à la façon, quelquefois, d'un poème de Baudelaire ou bien encore d'un dessin de Beardsley...
"Prends ce livre, petite soeur, reçois-le d'un homme qui courut à côté du chemin de la vie..."
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Froids comme le nord, petite sœur, sont nos jours paisibles.
Mais quand les ombres sont tombés, ma blonde sœur, ta peau frémit et devient brûlante. Les brouillards arrivent, venant du sud, et ton âme, avidement les respire. Et tes lèvres, dans leurs baisers sanglants, demandent le poison brulant de tous les déserts ...
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Tous les péchés, ma chère amie, viennent du désert, c'est le vent brûlant du sud qui nous les apporte. Là où le soleil brille depuis des siècles infinis, un léger brouillard blanc flotte au-dessus des sables dormants. Ce brouillard se divise en nuées légères. Le vent les roule dans son tourbillon, et en fait d'étranges oeufs , qui contiennent la chaleur brûlante de tous les soleils.
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Dès qu'il la voyait, il oubliait tout. Son regard s'élargissait, son ouïe s'aiguisait, il entendait le moindre bruissement de soie. Son nez puissant reniflait l'air, aspirait avec avidité le parfum de sa chair; ses vieux doigts tremblaient, sa langue léchait la bave qui coulait de ses lèvres. Tous ses sens criaient vers elles, avides, lubriques, complètement fous de désirs répugnants. Mandragore le tenait par cette solide corde.
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Alors, le vent du sud court à midi. Il rampe sur les marais, danse au-dessus des déserts de sable. Il prend les voiles de braise des œufs du soleil et les emporte au loin, au-dessus des mers bleus, fins brouillards, draperies transparentes de prêtresses nocturnes.
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Cet homme universel savait beaucoup de choses, presque autant que le petit Manassé, mais ces connaissances n'avaient aucune relation avec sa personnalité. Il ne pouvait rien en faire : il avait collectionné les enseignements, comme un jeune garçon collectionne des timbres, parce que ses camarades de classe le font.
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