(Le Condamné à Mort)
Je demande à la mort la paix, les longs sommeils,
Le chant des seraphins, leurs parfums, leurs guirlandes,
Les angelots de laine en chaudes houppelandes,
Et j'espère des nuits sans lunes ni soleils
Sur d'immobiles landes.
Un chant d'amour
Si mon cœur retenu dans l'or d'un faux chignon
Chavire ancré vivant sans pouvoir se vomir
Dans une mer de bile à ton sexe attelée
Je parcours immobile en d'immenses foulées
Ce monde sans bonté où tu me vois dormir.
La galère
Grappes d'empoisonneurs suspendus aux cordages
Se bitent les bagnards en mélangeant leurs âges.
De la Grande Fatigue un enfant endormi
Revenait nu taché par le sperme vomi.
Est-il pays si frais que celui de nos rires
Neige sur les écueils votre langue léchant
Le sel d'algues d'azur sur le ventre et le chant
Vibrant dans votre corps tourné comme une lyre ?
Voler, voler ton ciel éclaboussé de sang
Et faire un seul chef-d'oeuvre avec les morts cueillis
Ça et là dans les près, les haies, morts éblouies
De préparer sa mort, son ciel adolescent.
Le texte inédit d'un auteur culte.
Juin 1942. Jean Genet est incarcéré à la prison de Fresnes, condamné à huit mois de réclusion pour vol de livres. À trente et un ans, le détenu n'a encore rien publié ; mais la cellule est un lieu propice à l'éclosion de son talent littéraire. Il y écrit son premier roman, "Notre-Dame-des-Fleurs", et le long poème "Le Condamné à mort".
L'attrait du théâtre se fait déjà sentir, comme en témoigne "Héliogabale", ce drame à l'antique dont un manuscrit a été enfin retrouvé à la Houghton Library. L'existence de cette pièce était attestée, Genet l'ayant fait lire à quelques proches et ayant exprimé le souhait qu'elle soit publiée et créée — avec Jean Marais dans le rôle-titre. Rien de cela n'eut lieu et l'écrivain n'y revint plus.
Voilà donc, plus de quatre-vingts ans plus tard, la mise en scène des dernières heures d'Héliogabale, jeune prince romain assassiné, telles que Genet les a rêvées et méditées.
Au travers de cette figure solaire, hautement transgressive et sacrificielle, à laquelle Antonin Artaud avait consacré un essai flamboyant en 1934, Genet aborde les thèmes qui lui sont chers, dans les règles de l'art mais en laissant affleurer un lyrisme bien tenu : le travestissement et l'homosexualité, la sainteté par la déchéance, la beauté par l'abjection. Un envers du monde social où l'auteur, apprenti dramaturge, entend déjà trouver ses vérités, situer son oeuvre à venir et inventer sa propre légende.
Découvrir "Héliogabale" : https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/La-Nouvelle-Revue-Francaise/La-Nouvelle-Revue-Francaise524
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