Parmi tous ces créateurs, Tolstoî est celui qui a cultivé avec le plus de génie la forme nette, le contour précis. Si "oriental" qu'on le surprenne quelquefois dans sa philosophie, ce n'est pas lui qui se serait laissé aller aux mollesses stylistiques d'un
Hermann Hesse
Lamartine dit que les écrivains perdent de vue la littérature populaire, que le nombre de lecteurs est plus grand dans le milieu populaire, que tous ceux qui écrivent le font pour le milieu dans lequel ils vivent, et le peuple, au sein duquel il y a des gens avides d'instruction, n'a pas de littérature et n'en aura pas tant qu'on ne commencera pas à écrire pour le peuple.
Etc .. Ben oui, à quoi bon chercher à résumer l'essai de Fernandez dédié à la Russie. Il est fait d'une addition de coups de coeur, d'un recueil de découver
tes singulières si chères à son coeur, si singulières qu'il titre ses chapitres toujours, c'est pourquoi je préfère ici en livrer des fragments.
17 novembre 2021
Tolstoï, les connaisseurs savent qu'il avait une relation avec le cheval hors du commun. C'était aussi sans doute le moyen le plus indiqué pour parcourir des dizaines de verstes de son domaine, à travers bois, prairies, champs, à n'importe quelle saison. C'était son brave "j'ai oublié son nom" qu'il montait encore quelques jours avant sa mort : on imagine, ce ne fut pas dit, quelle dut être sa peine que de devoir s'arracher à tout ce monde là pour aller mourir plus au sud.
En lisant ces mots qui vont suivre de Fernandez, à qui il serait bien de penser un peu : il a 90 ans passés, je pense que ça pourrait convenir à une préface de Kholstomer ou Histoire d'un cheval écrit en 1981 par l'écrivain russe. Voici ce qu'il dit :
"Il pouvait aussi bien chercher à se fondre dans l'âme d'un animal, le monde animal étant plus "monde" que le monde humain, plus proche des sources élémentaires de la vie. Un jour
Tourgueniev était de passage à Iasnaïa Poliana, les
deux amis allèrent se promener dans le domaine. Ils aperçurent un cheval borgne qui broutait dans un pré, à grand-peine, épuisé et pitoyable au possible. Tolstoï vint lui parler à l'oreille et interpréter les pensées qu'il croyait lire dans la tête di vieil animal. Peu de temps après, de retour chez lui, l'auteur des
Récits d'un chasseur rendit compte de cet épisode à un correspondant. "Nous nous sommes approchés de ce malheureux hongre et voilà que Tolstoï s'est mis à le caresser tout en parlant pour exprimer ce qu'il devait penser et sentir. J'écoutais, fasciné. Non seulement il s'était mis lui-même à la place de ce malheureux cheval, mais il me faisait m'y mettre moi aussi. Je ne pus m'empêcher de lui dire : Ecoutez, Léon Nikolaïévitch, ma parole, vous avez dû être cheval un jour."
Comme s'il avait pris au mot cette boutade, Tolstoî composa un récit où il donna la parole à un cheval, où il se fit cheval. Kholstomer est un texte magnifique. le cheval qui porte ce nom (signifiant l'"arpenteur" ou le "métreur" à cause de ses foulées jadis ample et régulière, y raconte les injustices qu'il a subies, les souffrances qu'il a endurées. Il y fait, à sa façon, le procès de la société. Bien qu'il raisonne en cheval, exactement comme un cheval pourrait raisonner, c'est la voix de Tolstoî qu'on entend.