Gustave Flaubert, patrimoine national, nom associé à des oeuvres monumentales, monstre sacré de la littérature. Si l'on cherche une représentation physique de l'homme ne nous viennent à l'esprit que des images qui semblent ne jamais varier : un
Flaubert au visage vieillissant, crâne dégarni, toupets sur les côtés, moustache grisonnante souvent caricaturée.
Or, lapalissade : comme tout un chacun,
Gustave Flaubert n'est pas né vieux. Et @Juvenalia est passionnant en ce sens qu'il nous offre un bain de sa jeunesse, de son adolescence, de ce moment où, jeune adulte, il doit devenir autonome, moment exaltant et néanmoins redouté. @Juvenalia nous permet d'être au plus près de
Flaubert, dans le vécu et non pas dans le souvenir.
Lorsque j'ai reçu @Juvenalia, je n'ai pas voulu lire l'introduction d'@
Alain Vaillant parce que je souhaitais me lancer dans la lecture de ces récits, nouvelles, pensées, lettres, écrits variés, terminés ou non, en oubliant quel écrivain
Gustave Flaubert avait été, comme il ignorait alors lui-même quel serait son destin.
En ce qui concerne le contexte, je ne pouvais pas en faire fi. Je connaissais un peu la biographie du grand écrivain, son père chirurgien, la famille habitant sur le lieu du travail paternel, sa soeur, sa complice, sa bien-aimée Caroline, jouant avec lui à se cacher pour braver l'interdiction d'apercevoir, à un certain endroit du jardin, des corps morts disséqués par les carabins. Je savais aussi que son frère aîné, Achille, prendrait la succession du père.
Que je sache ce qui s'est passé ensuite dans la vie de
Gustave Flaubert n'a aucune importance pour cette lecture.
Les jeunes années de
Gustave Flaubert sont, sur bien des points, assez semblables à celles de tous les adolescents. J'ai retrouvé, dans @Juvenalia, les émotions de ma propre adolescence dans la seconde moitié du 20ème siècle, adolescence que je me suis juré de ne jamais oublier. La société n'était certes pas la même qu'en la première moitié du 19ème et, en particulier, pour les femmes. Néanmoins et avec des valeurs moins institutionnalisées qu'à l'époque du jeune
Flaubert, la bourgeoisie du 20ème siècle faisait toujours peser sur les épaules de « ses » jeunes une pression morale ; famille, établissements scolaires, environnement. Les codes sociaux n'appartiennent ni à un seul milieu ni à une seule époque. J'ai donc éprouvé beaucoup d'empathie envers
Flaubert, une intime compréhension, une proximité et une certaine connivence. Idéaux, illusions, désillusions, envies, déceptions, rires n'ont ni sexe ni âge.
Suivre un avenir tout tracé, accepter des normes sociales exécrées, transmises avec ferveur par la famille, la société, le collège… comment
Flaubert pourrait-il ne pas avoir envie de le chahuter, ce monde ? ce monde qui ne parvient pas à le tromper et qu'il observe avec la plus grande acuité.
La mesquinerie, l'hypocrisie, la vanité, la vacuité de l'homme, tout lui saute aux yeux. Il est d'une lucidité foudroyante, le jeune
Flaubert et certainement pas fait pour la vie que lui prépare son milieu social.
Il aime sa famille sans souscrire à ses valeurs. Il a les siennes, qui signent son indépendance d'esprit et il a un idéal en ligne de mire.
Le jeune Gustave n'est pas sûr de lui mais le sera-t-il jamais ? le doute est essentiel, fait partie de son intégrité. Nul ne peut vivre sans douter.
J'aime les moments où, parce qu'il lui semble ne pas avoir assez bien formulé ce qu'il souhaitait transmettre par l'écriture, il se récupère par une pirouette, un mot d'esprit.
J'aime
Flaubert, ironique et impitoyable, lorsqu'il parle des hommes aux gants jaunes de son milieu, vanité et piété chevillées au corps mais entretenant leur maîtresse dans un secret éventé.
"Dites-moi maintenant que la vie n'est pas une ignoble farce, puisque le prêtre jette son Dieu pour entrer chez la fille de joie ! Satan rit, vous voyez bien ; bravo, il triomphe. Allons, j'ai raison : la vertu c'est le masque, le vice c'est la vérité."
Ce qu'écrit
Flaubert peut être triste et drôle à en pleurer.
J'aime la célébration de la gaité et du rire chez cet homme-là, sa plume affûtée qu'il ne garde pas dans sa poche. D'autres que lui se fondent dans le moule ; lui s'étonne des esprits étroits et du malaise qu'ils engendrent. "Pourquoi lorsque nous ne sommes pas dans les mêmes sentiments que ceux que nous abordons, nous sentons-nous gauches, embarrassés à nous-mêmes ?"
J'aime aussi son désespoir, ses émotions poussées à l'extrême. C'est aussi le
Flaubert de cette époque.
Sa vie, dit-il, ce ne sont pas des faits, sa vie est sa pensée.
J'aime sa quête incessante de pureté, de perfection, du mot qui, disposé autrement, ferait d'une pierre un diamant. C'est à ce prix seulement que l'on peut parler d'oeuvre et envisager la publication.
Flaubert respecte infiniment les écrivains. Rien n'est au-dessus de l'Art.
Et déjà, le jeune homme est talentueux ; il observe, il ressent, et cela prend sens sur le papier. Il est capable de passer d'un genre littéraire à un autre et c'est juste incroyable. Ses longues phrases pour décrire un instant fugace de beauté sont de l'émotion pure. Il passe ensuite au fantastique et dans un autre récit, décrit les différentes étapes observables de la mutation des corps lorsqu'ils deviennent cadavres. Oups, c'est glauque mais cela pourrait plaire à toutes les jeunes classes ! Dans d'autres nouvelles ou ébauches de nouvelles, les personnages prennent vie, sont de chair et de sang, mus par leur intériorité, leur singularité et ne ressemblent pas à des fantaisies.
Flaubert est écrivain.
Il étudie la psyché humaine. Il décrit sans complaisance la société dans laquelle il vit. Et il y a l'Orient. Il en rêve,
Flaubert, de cet Orient flamboyant et fascinant que sa culture et ses lectures lui ont fait découvrir. Il a pour ambition de voyager. Et ses mots, déjà, ont un goût de voyage. Je les ai lus avec la sensation d'être à ses côtés, dans cet Orient encore inconnu.
En ce qui concerne l'amour, il fantasme sur une femme qui ne pourra jamais être sienne. Jamais il ne l'oubliera. Cette femme inaccessible est un repère dans l'apprentissage de sa vie mais somme toute, c'est assez banal, tout cela. Lorsqu'il perd sa virginité,
Gustave Flaubert, c'est avant tout pour être comme les autres. Cela n'a rien d'extraordinaire. Il voulait perdre son pucelage, il l'a perdu. L'amour dans ses rêves ne ressemble pas à l'acte charnel qu'il a vécu, si éloigné de tout sentiment et de toute émotion. Mais justement, peut-être que tout cela donne la meilleure matière pour écrire ?
Plus que l'amour, c'est l'amitié qui compte pour le jeune
Flaubert. L'amitié qui l'unit à Alfred le Poitevin est une grâce. C'est à lui que Gustave dédie ce qu'il écrit et c'est encore à ce cher ami qu'il exprime avec romantisme la force de leur amitié. C'est une de ces amitiés à la vie, à la mort et destinée à durer toute une vie. J'ai été bouleversée par ce don fraternel de soi, cette totale confiance, cette amitié si rare qui nous en dit encore beaucoup sur la personnalité du jeune
Flaubert.
Sans @Juvenalia et la construction établie par @
Alain Vaillant, je n'aurais effectivement jamais pu savoir quel jeune homme avait été
Gustave Flaubert.
@
Alain Vaillant met en avant le talent littéraire du jeune
Flaubert, ce jeune homme à la personnalité forte et ancrée, impressionnante comme devait l'être sa stature. Ce jeune
Flaubert n'est en rien le brouillon du
Flaubert de
Madame Bovary ou de
l'Education sentimentale. Ses écrits n'en sont pas une esquisse.
Ce que j'ai, a posteriori, trouvé magnifique, c'est de savoir que
Flaubert n'avait jamais dérogé à l'essentiel des valeurs auxquelles jeune, il croyait.
Merci à @
Alain Vaillant pour son remarquable travail et sa si pointue connaissance de
Flaubert, à @Rotbart pour l'illustration, aux éditions Presses universitaires de Nanterre et bien sûr à @nicolasbabelio et toute l'équipe BABELIO. Cette rencontre avec le jeune
Flaubert a été pour moi un immense cadeau.