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EAN : 9782714312112
208 pages
José Corti (30/08/2018)
3.5/5   9 notes
Résumé :
Une forêt, un fleuve, une maison d'enfance : c'est le monde de Lynx, dont le père vient brutalement de mourir, écrasé par un tronc. Destin, accident, suicide ? Quitter la buvette où il travaille, fuir à moto vers les terres amples et dures du Maroc serait une solution pour éviter de se confronter au drame, au souvenir d'une enfance faite de confusion et de solitudes. Quelque chose pourtant retient Lynx. Est-ce l'arrivée de Lilia et de son petit qui viennent aider po... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
La maison de l'enfance

Dans son nouveau livre Claire Genoux mêle le végétal et le minéral, l'enfance et la mort, les liens familiaux et l'envie d'ailleurs. Un drame plein de poésie.

Au-delà de l'anecdote, ce qu'il faut d'abord retenir de ce beau roman, c'est l'ambiance dans laquelle il baigne. La grande forêt et ses mystères, la météo caniculaire qui incite à la retenue et limite les déplacements, la maison d'enfance – isolée et remplie de souvenirs douloureux – qui devrait être un refuge, mais rappelle plutôt des heures sombres, qui porte encore les stigmates des malheurs passés. Sans oublier ce silence qui, comme à la manière d'une brume envahissante, semble pousser Lynx à le respecter, à économiser ses mots. La mort de son père, qu'il vient de retrouver écrasé par un arbre n'y changera rien, bien au contraire. L'expérience lui ayant appris que ce silence peut aussi être un allié :
« Parler c'était pas la peine.
Dans l'enfance, après le départ de maman, les mots n'ont plus été utilisés. Seuls le silence et les coups ont été gardés comme moyen d'information. Quand Père rentre du bois avec les machines et les haches, les épaules retirées sous le pull, quelque chose monte qui empêche de respirer jusqu'au fond. le bol de soupe et le pain sont jetés sur la table. Lynx ne lève pas la tête, se protège les yeux. C'est maman à la maison qui parlait, qui écrivait des billets, des listes, disait des histoires et des drôleries. Père n'aimait pas qu'elle s'enferme seule au premier pour faire de l'écriture et des poèmes dans des carnets tout sombres, qu'elle ait comme ça sur elle cette vue, depuis l'intérieur, cet espace pour s'installer. Père, ça le porte à l'agressivité, ça lui donne les nerfs ces moments de pause qu'elle s'accorde, qui sont pris sur le temps du ménage et du maintien de la maison. Il refuse de lire ce qu'elle voudrait lui montrer. Les yeux de Père sont noirs, de la couleur du feu. Sur la maison, sur cette chose-là de leur vie commune, sur ce qui va et qui vient, il ne veut rien savoir. »
Lynx va-t-il pouvoir sortir de ce traumatisme? Trouvera-t-il dans la compagnie de ses proches la force de se construire un avenir? C'est tout l'enjeu des pages qui suivent…
Sauf que Claire Genoux s'amuse à brouiller les pistes, à instiller le soupçon. Pourquoi ce malaise persistant? Lynx aurait-il quelque chose à voir avec la mort de son père? L'été et la saison touristique arrive avec son lot de touristes et de promeneurs qui peuvent se restaurer. Lilia vient lui prêter main-forte. Avec son fils, elle a aussi envie de trouver dans la maison d'enfance un refuge, un endroit pour écrire.
Verba volant, scripta manent
Lynx pressent que si les paroles s'envolent, les écrits restent et que leur force est colossale. « Lynx ne sait pas comment on capte les histoires, comment on s'y prend avec la viande des mots ou comment on coupe à l'intérieur pour faire des poèmes. Comment ça fusionne, comment c'est rassemblé après dans le livre. Mais il peut bien s'imaginer que quelque chose tombe en obscurité comme quand il s'avance dans les branches, quand il se rapproche des bêtes qui soufflent. Il peut se l'imaginer et qu'ensuite quelque chose doit être accompli, qu'il faut frapper aux mots comme lui, Lynx, il frappe aux troncs et qu'il faut venir tout près pour sentir dessous ce qui se passe. Alors seulement on mérite sa place contre la nuit. »
La romancière nous en donne du reste la plus belle des démonstrations. Son écriture est de celle qui envoûtent et qui emportent les lecteurs.

Lien : https://collectiondelivres.w..
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Tout en touches retenues "Lynx" est le roman de l'enfance et de l'écriture.
De la forêt et du voyage.
De la folie, de la violence et de l'amour.
De l'été.

Lynx traverse une nuit noire, celle de la forêt qui l'entoure et celle de son coeur ravagé ; l'étrange mort de son père est l'occasion pour lui de broyer, digérer, accepter ses souffrances d'enfant terrorisé. Une psychopompe l'y aidera, en la personne d'une jeune saisonnière écrivaine, Lilia. Rien n'étant le fruit du hasard, tout faisant signe, des forces occultes relient cette généreuse Lilia à la mère de Lynx, Lily-Anne au prénom informulé et dont les talents d'écriture déchainèrent la fureur de l'Homme : tous ces mots proscrits, violemment refoulés jusqu'au fond de sa gorge, finirent par l'étouffer.

Lilian, acculée un temps à la même interdiction, parvient, elle, à s'en libérer et accouche avec des mots la maison de l'enfance obscure de Lynx.

On ne sait pas si ces deux-là resteront ensemble, mais ce qui est certain, c'est que quelque chose d'important se sera passé : le mutique Lynx se souviendra de cet été de canicule où la bienfaisante Lilia parvint à lui rendre vie en exprimant ses maux. Et les mots lui viendront. Et la vue lui sera rendue.

Le livre s'achève en effet par cette phrase : "C'est maintenant le moment qu'il parle, qu'il dise qui il est et ce qu'il souhaite."

L'écriture de Claire Genoux, pleine de leitmotivs, d'affleurements, de rêveries ou d'ouvertures aux possibles (exprimées au conditionnel), est un enchantement.

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Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
On rend visite une fois par semaine, puis les visites s’espacent. Lily-Anne reste assise sur le banc devant l’entrée de l’hospice, récite des noms de fleurs. On a parlé du monde rude de la forêt, de l’isolement, des odeurs boueuses du fleuve, mais on n’a pas inspecté dans les coutures de la terre, on n’est pas allé regarder dans la doublure des choses. Comment Père traitait, comment il partait aux outils sous le ciel vide. On ne quitterait pas ce monde. On tiendrait sans parler. Le soleil du matin sèche la table devant le cerisier, on ne peut pas poser de mots sur ce qui est au dedans. Lilia oui elle essaie, il lui pousse une langue au bout du stylo-plume. Elle retrouve ce qu’il faut dans le fond des armoires et sous les lits, le porte au jour avec un talent sûr. 
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Parler c’était pas la peine.
Dans l’enfance, après le départ de maman, les mots n’ont plus été utilisés. Seuls le silence et les coups ont été gardés comme moyen d’information. Quand Père rentre du bois avec les machines et les haches, les épaules retirées sous le pull, quelque chose monte qui empêche de respirer jusqu’au fond. Le bol de soupe et le pain sont jetés sur la table. Lynx ne lève pas la tête, se protège les yeux. C’est maman à la maison qui parlait, qui écrivait des billets, des listes, disait des histoires et des drôleries. Père n’aimait pas qu’elle s’enferme seule au premier pour faire de l’écriture et des poèmes dans des carnets tout sombres, qu’elle ait comme ça sur elle cette vue, depuis l’intérieur, cet espace pour s’installer.
Père, ça le porte à l’agressivité, ça lui donne les nerfs ces moments de pause qu’elle s’accorde, qui sont pris sur le temps du ménage et du maintien de la maison. Il refuse de lire ce qu’elle voudrait lui montrer. Les yeux de Père sont noirs, de la couleur du feu. Sur la maison, sur cette chose-là de leur vie commune, sur ce qui va et qui vient, il ne veut rien savoir.
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Le corps de Père avait disparu tout entier dans des trous de vieilles ronces, seul le visage éclairait. Le terrain n’est plat que par endroits et difficile d’accès dans cette partie de la forêt qui surplombe le fleuve. Il était parti avec la tronçonneuse. On ne l’a retrouvé que tard dans l’après-midi après des heures de recherche et déjà la lumière avait baissé. C’est Lynx qui a donné l’alerte. Il a entendu l’arbre tomber, ensuite plus aucun bruit. Il a été chercher les pompiers et ils ont mal retrouvé l’endroit à cause du brouillard qui s’était épaissi. Le visage était comme détaché du corps, la bouche donnait des mots dans le désordre. Ils ont conclu à l’accident. Dans un premier temps ils ont laissé Lynx tranquille. Père était malade et les gens de la ville savent qu’il ne faut pas toucher aux forêts, aux fleuves et aux lacs d’ici : des morts étranges s’y produisent, des noyades qui ne s’expliquent pas. Les bêtes se traînent, pourrissent dans des trous. Personne n’a dans l’idée de vouloir expliquer ça, de comment la terre et l’eau se nourrissent.
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Les arbres forment un auvent au-dessus de la clairière, les flammes claquent, le vent dépose sa dent dure sur la tête des vivants. La forêt est pleine, elle renferme des colères mal éteintes. Ce serait de cet inachèvement que l’histoire tirerait sa force. Aucun autre événement ne se produirait dans le livre que la solitude de Lynx. Aucune autre musique que celle du feu. L’écriture seule resterait, une écriture basse, des phrases incomplètes. Elle s’installerait dans l’intimité des pages et plus rien des arbres ni du fleuve ne serait perçu. Le travail serait d’aller à cet extrême du silence donné par le feu, celui qui a détruit l’enfance, celui qui a condamné au secret. 
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L’enfance a été faite avec Père seulement, avec les longues heures d’attente dans la forêt et la lumière jaune des arbres. Avec le fleuve, avec l’étang qui était beaucoup plus marécageux qu’aujourd’hui, et ça ne pourra pas être transformé. Lynx s’en ira, il oubliera tout de la maison d’enfance, s’arrachera aux hivers. Il vivra et durera loin d’ici. Une autre vie viendra avec le voyage à moto, la tête sera débarrassée et toujours il conservera une bonne place dans sa bouche pour la cigarette, qui sent la terre et enivre jusqu’au poumon.
De la forêt, des bruits de la nuit et des bêtes, il ne s’occupera plus, il fumera lentement les yeux fermés sans penser à rien. 
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