Kafka, tout autant que les prophètes qui se rebellaient contre le poids de la Révélation, était hanté par les signes de l'inhumain. En l'homme, il voyait renaître la bête.
Ma propre conscience se sent envahie par les vagues de barbarie qui s'étendent sur l'Europe moderne ; par les massacres de millions de Juifs et par la destruction, sous l'égide du nazisme et du stalinisme, de ce que j'ai tenté de définir dans quelques-uns de ces essais comme le génie propre à "l'humanisme du centre européen". Au nom de cette abomination, je ne réclame aucun privilège particulier, mais c'est cette crise de l'espérance humaine et rationnelle qui a façonné ma propre vie et qui me concerne de la façon la plus directe.
Sa noirceur ne nous vient pas du désert de Gobi ou des forêts pluvieuses de l'Amazonie. Elle monte de l'intérieur et du plus profond de la civilisation européenne.
Ce n'est pas seulement par la bestialité massive que le langage s'est laissé infecter. Il a été aussi appelé à faire valoir des impostures innombrables., à persuader les allemands que la guerre était juste et partout victorieuse. A mesure que la défaite se rapprochait du Reich millénaire, la densité du mensonge devenait celle d'une tempête permanente. Le langage était mis à l'envers, pour dire "lumière" où il faisait noir et "victoire" là où il y avait désastre.
p 282 post face P.E Dauzat
Le plus souvent, donc, George Steiner est salué comme un critique, rangé, après T.S Eliot et Edmund Wilson, qu'il révère, parmi les quelques grands lecteurs de son temps, ces "lecteurs peu communs", dont parle Christopher J. Knight, et dont le cercle compte Denis Donoghue, Franck Kermode, Robert Alter et quelques autres comme René Wellek, Maurice Blanchot et Jean Starobinski. Si tous partagent le mérite d'avoir fui le Kitsch et la facilité pour donner à l'art de lire la dignité d'une vraie profession ("quand l'art est facile la critique est difficile"), peu ont mis autant d'application que Steiner à maintenir vivante une tradition venue d'Europe centrale, celle des "abstractionnistes juifs" qui ont cherché dans la littérature non pas la "vérité du lien social" mais une manière de dire et de lire le monde au diapason de la modernité littéraire et poétique.
Il est reconnu qu’il y a une poésie de la jeunesse et une prose de la maturité.
Nous venons de publier un recueil d'entretiens entre George Steiner et Nuccio Ordine, intitulé //George Steiner. L'Hôte importun//. Il est précédé par un beau texte en témoignage à Steiner, écrit par celui qui fut un de ses plus proches amis, Nuccio Ordine.
Pour en savoir plus : https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251453163/george-steiner-l-hote-importun
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Ce livre est le témoignage de la profonde amitié personnelle et intellectuelle qui a lié George Steiner et Nuccio Ordine. L'amour des classiques, la passion de l'enseignement, la défense du rôle du maître, la fonction essentielle de la littérature qui rend l'humanité plus humaine constituent les thèmes d'un intense dialogue, nourri de plus de quinze années de rencontres et de voyages dans diverses villes européennes. Ordine trace un portrait original de George Steiner, en le peignant sous les traits d'un « hôte importun ».
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