Ah ! La mine entendue, gourmande, frisant la condescendance, de cette amie lors d'un dîner chez elle, encore à parler de ce cauchemar post-moderne qu'est la guerre des sexes — du peu de femmes de lettres étudiées en Belgique — lorsque je citais l'inoubliable
Marie Gevers, l'un de ces rares traits d'union entre les deux principales cultures linguistiques du Royaume, bétonneuse que l'on va volontairement oublier, cette Frontière à présent ancrée au plus profond des êtres, brocardant toute ultime tentative de mélanger le « chacun chez soi », de troquer ces créations géographiques frisant la malhonnêteté intellectuelle, telle cette « Wallonie Picarde », qui gagnerait tellement à s'appeler « Flandres Francophones »…
Bref une auteure qui pour plusieurs raisons ne rentre pas dans les actuels canons…
Il faut dire que ce roman ne sent pas assez le soufre.. Pire, il y est question de mariage, pour cette belle et indépendante arpenteuse de digues, dont le savoir a le mauvais goût d'avoir été transmis par son père… Où va-t-on ?!
Non, ma chère amie pétroleuse, avec laquelle j'adore croiser le verre à pied, en vient à sortir sa fameuse moue et ses yeux qui brillent, moment choisi habituellement par ses collègues de salle de rédaction pour essayer de changer de sujet, voire de vider la pièce ; la culture, l'information, ça la connait, et
Marie Gevers a du mal à exister dans son monde de causalité.
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Il faut dire que l'on parle ici d'un roman décrivant un monde à présent disparu, une archéologie d'une société très différente d'aujourd'hui, où le commun avait encore un sens, la richesse matérielle qui inonda ensuite cette moitié de pays emporta sa culture en la troquant contre de trop grosses Audi, de fameuses maisons quatre-façades aux jardinets emportés de ridicule ( voir le fameux site « Ugly Belgian Houses », lien en bas de page, lui qui ne fait pas de jaloux entre Flandre et Wallonie ), laissant exsangue ce peuple de kermesse et de Schlager muziek, dont un des grands jours de fierté nationale reste le saccage d'une des plus anciennes bibliothèques universitaires au monde… mais n'allez surtout pas penser que seule la faute leur incombe…
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Cet éternel et délicat problème de la langue… Patois ou bien langue nationale ? Rien n'empêche d'en parler plusieurs, selon le degré de langage désiré.
On n'est pas là pour se comparer, vivons d'abord ensemble…
Il n'y a qu'à voir les degrés de haine atteinte dans ce pays multi-national qu'est l'Espagne, l'Homme probablement trop bête ou grégaire pour la pluralité…
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La langue de
Marie Gevers respire l'hybridation réussie et apaisée, comme peut l'être le fameux Brusseleer, actuellement en voie de disparition, malgré la volonté affichée de le restaurer, bien que les politiques n'aient véritablement rien fait depuis le drame du BHV… ( non, amis parisiens, pas le magasin… (*) )
Le Français lui servant de base littéraire et narrative, le West-Vlaanderen, voire le «Scheldepraten » (parlé de l'Escaut), comme langue vernaculaire, de manière naturelle, sans orgueil mal placée empêchant de dire la vérité.
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Ce monde paysan dont la Modernité nous a appris à se méfier, ce déterminisme du rythme des saisons et des marées que l'on a voulu défier, au nom d'une certaine liberté ( ha ! il faut lire ce qu'en écrit
Bernard Charbonneau dans son «
Je fus - essai sur la liberté » ), c'est bien de lui qu'il est question au cours de ces pages, et de son remarquable pouvoir structurant au niveau culturel, ciment d'une nation que l'argent n'a bien-sûr pas remplacé, elle qui l'a troqué pour un monde n'usant des haies que pour délimiter ses jardinets aux trognes bien taillées.
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Mais ce roman est avant tout celui de Suzanne, une très jolie et délicate histoire qui emportera le plus réticent à l'expression d'un certain romantisme.
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Les considérations nées lors de cette critique ne sont que conséquences de la charge symbolique que ce roman charrie à présent ; qu'un certain milieu n'y voit qu'un univers délicieusement suranné démontre à quel point les promesses de l'individualisme ont été tenues de manière si pernicieuse, ou quand la disparition souhaitée d'une histoire pour en bâtir une supposément plus juste ne fait que tout inonder.
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Donc oui, lisons
Marie Gevers, et laissons aux autres le soin de la bouder au profit de leurs nouvelles égéries, actions affirmatives friandes de vérités alternatives, et gardons en souvenir l'époque où féminisme rimait avec humanisme, sans doute la plus importante révolution sociétale du 20ème siècle en Occident élargi, tardant à se répandre dans d'autres parties du monde, alors que c'est un préalable au développement ( « empowerment » des femmes dixit l'ONU ).
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( * ) « BHV » ou arrondissement électoral de Bruxelles - Halle - Vilvoorde : longue et ultra-compliquée histoire politique belge ayant comme fond l'expansion de la francophonie en région bruxelloise, historiquement et géographiquement flamande, et les mesures prises par les Flamands pour tenter de la contrer, dont la dissolution de ce reliquat de bilinguisme hors Bruxelles ; feuilleton à rebondissement, sans être vraiment intéressant, seulement triste, avec cette nouvelle victoire des creuseurs de fossé…
Allez expliquer la politique belge à un étranger… s'il vous a compris… c'est que vous lui avez mal expliqué…
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