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3,95

sur 827 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Bon sang quel voyage, quelle magnifique écriture!
Avec Decoin, Echenoz, Camille Lemonnier, j'avais découvert de la belle prose mais en dègustant Giono, on monte encore d'un cran!

Sur les crêtes de Manosque, les Bastides blanches, hameau perdu où s'accrochent encore quatre familles, où le vieux Janet hallucine sur son lit de mort, où l'apparition d'un chat noir n'annonce rien de bon.

Giono un auteur que j'aurai plaisir à approfondir!
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Colline
Jean Giono (1895-1970)
Ce roman est le premier de la trilogie de Pan qui comporte de plus « Un de Baumugnes » et « Regain ».
Les Bastides Blanches, hameau endormi aux maisons fleuries d'orchis, situées entre plaine, oseraies, bosquet de ginestes et champs de lavandes où butinent les avettes au pied des monts de Lure non loin de Manosque sont le cadre de ce magnifique récit agreste qui met en scène une douzaine de personnes. Gagou le simplet accoité près de la fenière et Janet l'ancêtre égrotant délirant et grabataire à l'article de la mort complètent le tableau où la nature est omniprésente. Janet connaît tous les secrets de la nature et aime faire peur aux gens des Bastides. C'est alors que la fontaine publique cesse de couler. le chat noir rôde et c'est un signe de malheur. La petite Marie tombe malade et malgré les électuaires à base d'herbes séchées, camomille, mauve, sauge, thym, hysope, aigremoine, aspic et autre artémise elle s'affaiblit d'heure en heure, et le feu dévore halliers et bosquets, léchant dangereusement les maisons. Janet qui rit sous cape est responsable dans l'esprit de Jaume et de Gondran son gendre, il n'y a pas de doute. Il faut le tuer.
le talent de conteur et le style poétique somptueux au vocabulaire rare et riche de Giono, un écrivain profondément attaché à la terre et aux traditions nous ouvrent un monde inconnu en exaltant le lien profond qui unit les paysans et cette nature où le soleil crépite dans la solitude et les superstitions tenaces qui hantent depuis toujours ces gens simples animés de passions silencieuses, ces gens tournés vers une terre secrète et violente, parfois maléfique quand la colline assoupie soudain fait des siennes.
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« Colline » (1929) est le premier volet de ce que Giono a appelé « Trilogie de Pan ». Il sera suivi de « Un de Baumugnes » (1929) et de « Regain » (1930). Pan n'est pas, comme on pourrait le croire, le dieu des armuriers ; il est une divinité champêtre, protecteur de la nature, des bergers et des troupeaux (et dans le même temps des chasseurs et du gibier), en somme c'est la référence divine en matière d'environnement. Dans l'esprit de Giono, c'est toute la vie campagnarde (car « pan » étymologiquement signifie également « tout ») qui est évoquée, avec une relation particulière avec la terre, mère nourricière, la montagne (ou colline) ainsi qu'avec l'eau…
La montagne de Lure constitue le cadre privilégié de cette trilogie. C'est un pays sauvage, où les habitations sont disséminées dans les collines, où les villages tournent à l'abandon, où l'eau est rare. C'est précisément autour de la fontaine que se sont bâties les quatre maisons qui constituent le village des Bastides-Blanches. Douze personnes habitent dans ces bâtisses, réparties en quatre familles, plus le Gagou, un innocent « qui fait le mauvais compte » (le treizième). le Janet, l'ancien du village, est retrouvé un jour dans un champ, paralysé et choqué, il se met à « déparler ». Une série de coïncidences étranges (raréfaction de l'eau, incendies, maladies…) accentue les inquiétudes des paysans. Vivant près de la nature, ils la vénèrent inconsciemment comme une divinité locale, tellurique, et dans leur superstition, attribuent les dérèglements, quels qu'ils soient, au mauvais oeil, au vieux Janet en l'occurrence…
« Colline », le premier « grand » roman de Giono, contient en germe tous les grands thèmes de l'oeuvre future : la relation entre l'homme et la terre (lequel des deux réagit par rapport à l'autre ?), la religion panthéiste, animiste, empirique, qui emprunte son essence dans les mythes grecs antiques, l'hymne à la vie, malgré tous les accidents, naturels ou pas, les portraits saisissants de ces paysans frustes et roublards, pourtant non dénués de grandeur…
De plus, il y a dans « Colline » une dimension qu'on ne retrouvera qu'amoindrie dans les deux autres romans : ce réalisme merveilleux, cette atmosphère de mystère à l'intérieur même du concret, ce surnaturel, inquiétant, parfois, qui s'immisce dans les manifestations de la nature… Giono n'a pas de mal à nous « faire croire » à l'existence des phénomènes, encore moins à leur origine : si la nature se venge, il y a bien une raison… le lecteur de son côté n'a aucun mal à se mettre à la place des villageois : automatiquement, il se met à penser comme eux…
L'art de Giono, dans ce coup d'essai, se manifeste de façon éclatante. « Colline » à sa première sortie chez les libraires, fit un « tabac », dû essentiellement à son style : direct et dru, il est en même temps d'une grande simplicité, et bien entendu, d'une grande poésie.
Faire « couleur locale » sans tomber dans le « folklore » n'est pas donné à tout le monde : c'est à Jean Giono (et aussi à Marcel Pagnol, Henri Bosco, et plus près de nous à Pierre Magnan) que nous devons d'avoir sorti la Provence des cartes postales (pourtant bien belles) héritées d'Alphonse Daudet.
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Une relecture de ce premier roman de la trilogie de Pan.

Un court mais génial et saisissant récit.

Une digression d'abord, une sorte de hors-sujet délibéré, auquel je me livre avec délice en songeant à tous ces profs de français qui m'en firent le reproche durant ma lointaine jeunesse.
Avec tout notre savoir et notre savoir-faire, avec toutes nos technologies, nous, humains, avons cru pouvoir maîtriser, asservir notre planète; et avant cela, nos croyances religieuses nous avaient mis dans la tête que l'Homme avait été choisi par Dieu pour gérer le monde. Mais devant l'évidence des sécheresses, des orages cataclysmiques, des inondations, qui nous accablent du fait de nos activités insensées, nous en sommes bien revenus, de l'Homme tout-puissant, et nous voilà maintenant assaillis de prévisions pessimistes sur notre sombre avenir climatique, y cherchant des remèdes sans penser aux causes profondes.

C'est cette pensée qui a trotté dans ma petite tête tout le temps de cette nouvelle lecture de Colline.
Parce que ma première rencontre avec ce livre extraordinaire m'avait surtout frappé par la puissance de la superstition des humains qui rend un vieillard responsable de tous les maux qu'un village endure, par la nature partout personnifiée, arbres, sources, feu, …et aussi, la Colline de Lure, par la stupéfiante beauté des images, et celle de l'écriture, mais en définitive tout cela me semblait parler d'un monde du passé, mené par l'irrationnel.

Mais, serait-ce si anormal, ou plutôt ne serait-ce pas juste, que nous, qui ne sommes en définitive que les descendants de chasseurs-cueilleurs, nous ne nous considérerions que comme les hôtes d'une planète qui nous parle et dont nous devrions comprendre le langage, que l'eau, le vent, les pierres, les arbres, les « bêtes », ce sont nos partenaires qu'il faut respecter, protéger.

Bien sûr, mon analyse est un peu arbitraire car Colline, c'est d'abord un roman magnifique, qui mêle cruauté des humains et croyances magiques, qui nous fait ressentir la vie animée dans toute la Nature en une langue si poétique, une mise en forme prodigieuse d'une vision panthéiste de notre Terre, qui peut être bénéfique ou maléfique dans son rapport avec les humains.
Il n'empêche, cette vision, nous devrions essayer d'y revenir, d'en saisir l'essence, de nous efforcer de ne plus être les exploiteurs de notre planète, mais d'humbles partenaires à son écoute.

A noter, le roman est précédé d'une longue préface et suivi d'un dossier qui commentent le contexte mythologique du roman. C'est intéressant, mais le roman peut se lire sans cela.
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Ils sont douze aux Bastides Blanches,"plus un qui fait le mauvais compte". Quatre maisons isolées de tout, plantées en pleine nature, trois heures de route pour le médecin. de toute façon,"tout ce qui vient de la ville est mauvais". Jaume, Gondran, Maurras, Arbaud, tous accrochés à leur hameau à moitié détruit, grattant la terre, tuant les animaux qui peuvent les nourrir (mais les chatons aussi), sont des hommes rudes menant une vie de labeur pour survivre. Janet, l'ancien, fait une attaque et ses jours sont comptés. Il se met à "déparler". La peur s'installe. Janet annonce des catastrophes. Elles ne tardent pas.
La fontaine, seule source d'eau du hameau, se tarit. Personne n'est capable de trouver une autre point d'eau.
Un gigantesque incendie détruit toute la nature environnante et menace les habitants des Bastides. La lutte acharnée des hommes sauvera l'essentiel, etc, etc...
Ce livre court, premier tome de la trilogie de pan, mêle la vie des hommes, leurs croyances, la nature faune et flore.
Il est servi par une écriture unique, poétique, un véritable enchantement pour les amoureux des mots. Ecrit il y a presque un siècle, il a un côté très daté et à la fois, un côté moderne très en avance sur son époque (écologie). Si j'en juge par sa description du feu, des pages d'anthologie, c'est même malheureusement très actuel en Gironde.
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De la douceur de la poésie à la force des croyances.
Relire Giono c'est entrer en nostalgie d'un monde qui n'existe quasiment plus.
Colline est le premier de la trilogie de Pan.
Les Bastides blanches ne sont plus qu'un débris de hameau.
Seulement quatre maisons sont encore debout, deux ménages y vivent cela donne douze personnes plus une pièce rapportée le Gagou, entendez l'idiot du village, qui est apparu un jour et à qui ils ont fait une petite place.
Au centre de ce lieu il y a une place, où se jouent des parties de boules et un lavoir qui a été remis en état.
Chaque maison est personnifiée (de façon naturelle) par les particularités de son propriétaire, à croire que la pierre fait du mimétisme.
« Une vigne vierge embroussaille celle de Jaume et imite dessus la porte la longue moustache de Gaulois qui pend sur la bouche de son propriétaire. »
Ce fut un bourg prospère mais seuls les paysans sont restés, les bourgeois ont déserté et laissé pourrir les maisons. Même le Gagou a un toit, il n'a pas tardé à se faire une maison en tôle avec des bidons d'essence.
Au loin la montagne de Lure veille ou menace.
Le vieux Janet est à l'agonie, c'est son gendre qui dirige la maison depuis longtemps. Dès que le vieux est alité, il déparle toute la journée et réclame son litre et beaucoup d'attention.
Depuis ce jour, le bourg subit des coup du sort : la source qui se tarit, une fillette tombe malade et un feu se déclare.
Et à chaque fois, un chat noir est là, narguant les habitants.
Ils doivent agir.
C'est Jaume qui va prendre la direction des opérations, il est désigné par l'ensemble des habitants car c'est le seul à lire autre chose que le journal, un homme qui a des livres c'est un qui a le savoir.
Ils s'organisent pour aller chercher de l'eau, ils veillent sur l'état de la petite et combattent le feu.
Cependant, Jaume croit que le malheur vient de Janet et de ses méchancetés.
La peur les agrippe et ne les lâche plus.
« Jaume a peur. Depuis le matin où il s'est vu le chef, il a lutté à l'abri de l'espérance ; il était comme un ressort, un coup reçu le jetait en avant. Ce soir, il a rencontré brusquement sur sa route le torrent du désespoir et l'eau furieuse l'emporte. Il a peur. Il n'a plus la certitude qu'on va gagner, dans cette lutte contre la méchanceté des collines. le doute est en lui, tout barbelé comme un chardon. »
Le lecteur suit l'histoire comme un roman à suspense, la tension est là dans chaque page et monte en puissance jusqu'au dénouement.
Giono se lit et se relit, à chaque fois l'émerveillement opère, c'est familier et nouveau dans un même mouvement.
Le sujet est somptueux les hommes de ce hameau doivent expier des tortures qu'ils ont infligé à la Terre, dame nature réclame son dû.
Un idée forte, une atmosphère pesante, une conscience qui doit émerger.
Ce sont les axes de cette narration, avec une écriture somptueuse, aux dialogues savoureux.
Nous lecteurs, nous ne lisons pas, nous sommes dans une maison de ce hameau et vivons les mêmes tourments.
Giono disait : « La Provence dissimule ses mystères derrière leur évidence ».
Colline c'est un chant à la beauté de la nature.
Dans cette trilogie le lyrisme prime, mais le combat de Giono est là : montrer la violence des hommes.
Une lecture qui me parait un luxe, lire se langage, où chaque mot vous offre des images fortes qui restent imprimées dans votre imaginaire. Une richesse de notre littérature française.
©Chantal Lafon

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- Colline - est le premier volet de la - Trilogie de P.A.N -, Pan étant le dieu grec des bergers et des troupeaux, écrit par Giono en 1928 alors que son auteur s'ennuie perdu dans un emploi de banque pour lequel il n'est pas fait.
Comment en effet imaginer cet écrivain en lequel soufflent les puissances mystérieuses et énigmatiques de la nature, auquel les dieux de l'Olympe murmurent à l'oreille, ce témoin privilégié qui voit se dérouler devant ses yeux interrogatifs les vies d'hommes simples confrontés à une destinée (?) faite de maigres et parcimonieuses petites joies simples, exigeant d'eux de rudes tâches jamais achevées, toujours à recommencer, un peu pareils à Sisyphe, la peau calée par les épreuves et les sacrifices, ces hommes qui, face au malheur, n'ont que des doutes et de piètres croyances, superstitions faites de saint bric et de saint broc ?
Alors Giono le Provençal, Giono l'anti-Pagnol, leur prête sa voix ou sa plume, si vous préférez... et quelle plume !
Une plume capable d'inventer une langue propre à ces gens, propre à la terre sur laquelle ils vivent, terre qu'ils travaillent pour pouvoir vivre.
Un "provençal populaire", pourrait-on dire... à condition d'ajouter qu'avant, pendant et après cette trilogie, Giono est un poète, un poète qui écrit et qui publie.
Cette étrange alchimie crée... je vais vous donner un aperçu de ce qu'elle nous offre :
- "Maintenant c'est la nuit. La lumière vient de s'éteindre à la dernière fenêtre. Une grande étoile veille au-dessus de Lure.
De la peau qui tourne au vent de nuit et bourdonne comme un tambour, des larmes de sang noir pleurent l'herbe."
-"Les vautours qui dorment, étalés sur la force plate du vent."
-" L'idée monte en lui comme un orage.
Elle écrase toute sa raison.
Elle fait mal.
Elle hallucine.
L'ondulation des collines déroule lentement sur l'horizon ses anneaux de serpents.
La glèbe halète d'une aspiration légère.
Une vie immense, très lente, mais terrible par sa force révélée, émeut le corps formidable de la terre, circule de mamelons en vallées, ploie la plaine, courbe les fleuves, hausse la lourde chair herbeuse.
Tout à l'heure, pour se venger, elle va me soulever en plein ciel jusqu'où les alouettes perdent le souffle."
Et quel souffle ! qu'en dites-vous ?
Nous sommes en 1928 à Lure ou village des Bastides-Blanches, un petit hameau de quatre maisons situé derrière Manosque, dans la haute Provence chère à l'auteur.
Dans ces quatre maisons vivent deux ménages et les personnages du roman.
-"Gondran, le Médéric ; il est marié avec Marguerite Ricard. Son beau-père ( Janet ) vit avec eux.
Aphrodis Arbaud qui s'est marié avec une de Pertuis.
Ils ont deux demoiselles de trois et cinq ans.
César Maurras, sa mère, leur petit valet de l'assistance publique.
Alexandre Jaume qui vit avec sa fille Ulalie, et puis, Gagou.
Ils sont donc douze, plus Gagou qui fait le mauvais compte."
Leur quotidien "ordinaire" va brusquement basculer dans "l'extraordinaire" lorsque Janet, le doyen octogénaire de ce qui fut naguère un bourg, va faire un malaise, devenir grabataire, confus et porteur de propos incompréhensibles pour ces hommes simples.
Ses délires vont être pris à la lettre par la petite communauté très vite, et concomitamment, confrontée à un environnement devenu subitement hostile.
Leur relation à la faune, à la flore, aux éléments va s'en trouver changer.
Le puits ne va plus donner d'eau.
Un incendie va éclater et menacer de ravager leur colline.
Une colline qui se met en colère et s'en prend à eux... comme si elle obéissait aux ordres vengeurs du vieillard.
- " Janet, le doyen, a la fièvre, il "déparle", il tient des propos étranges, des propos vengeurs, comme si les bêtes, les plantes, les rochers, la colline, parlaient à travers lui et lâchaient leur ressentiment contre l'aveuglement des hommes et leur brutalité de bêtes qui "tuent" la nature en se l'appropriant."
Quelle va être la réponse de ces hommes face à ce qui a été qualifié par la critique de "leçon animiste" ?
La peur liée à l'ignorance et la mort vont-elles l'emporter ?
Vous le saurez en lisant ce premier volet de la - Trilogie du P.A.N -...
Outre l'écriture charnelle, sensuelle, originale, puissante et poétique de Giono, il y a cette histoire réaliste et à la fois sur-naturelle, où tout est vie... leçon de vie.
L'écrivain anime avec virtuosité l'animal, le végétal et le minéral.
Il n'est rien du chat, du lièvre, du sanglier, des arbres, des fleurs, de l'herbe, des roches, des pierres, de l'eau... qui ne soit habité par un puissant souffle de vie.
Pour conclure, je vous recommande de lire plusieurs fois les pages qui relatent l'incendie épique... c'est prodigieux !
Quant aux références mythologiques qui peuplent ce roman, qui cohabitent avec ses personnages... j'avoue ne pas avoir suffisamment de culture pour avoir pu toutes les identifier.
Un grand classique à lire ou à relire !
Un écrivain à découvrir ou à redécouvrir !
Un écrivain dont le style a su se jouer du temps.
Un écrivain avant-gardiste tant son propos est plus que jamais d'actualité pour nous qui avons voulu asservir la nature et qui subissons tous les jours davantage ses colères légitimes.

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Un huis clos.

Colline est le premier roman de Jean Giono et aussi celui qui inaugure la trilogie de Pan, il est sorti en 1929.

Ma première impression a été de le trouver dans l'air du temps, Giono explique la situation de huis clos par le grand isolement du hameau des Bastides Blanches ; un romancier d'aujourd'hui en ferait un roman post apocalyptique où une catastrophe quelconque n'aurait laissée que treize survivants. Ce roman est en fait intemporel.
Que s'y passe-t-il ? Dans le hameau très isolé, « à l'ombre froide des monts de Lure », des Bastides Blanches vivent quatre familles comptant douze personnes « plus Gagou qui fait le mauvais compte. » Ce hameau ne se compose que des maisons des habitants, il n'y a pas de bâtiments communs signes d'une société plus complexe (pas d'école, de mairie, d'église, de bistrot), les Bastidiens se réunissent dehors sur une place quand ils en ont besoin. Ces hommes vivent entourés par « la sauvagine », ils observent la nature pour la maîtriser et pouvoir en vivre mais les animaux sauvages les observent également et en tirent parti. C'est illustré par le sanglier qui attend l'heure de la sieste pour aller se vautrer dans l'eau de la source mais qui détale au moindre grincement d'un volet : signe qu'on l'ouvre doucement pour pointer un fusil.
Voilà la situation initiale, des gens vivant loin de tout mais vivant bien quand même.
L'histoire bascule lorsque Janet, le plus ancien habitant et fondateur des Bastides Blanches (il a trouvé la source), a une attaque qui ne le tue pas mais le laisse alité et délirant.



Ce premier roman de Giono contient déjà toute sa manière : les descriptions poétiques de la nature, sa personnification, une histoire prenante, on a vraiment l'impression d'être avec les personnages. Dans ce premier volet de la trilogie, Giono montre l'aspect inhumain de Pan, il est le dieu du rustre, cette région qui se place entre la nature sauvage et la civilisation. La nature a-t-elle une volonté propre et veut-elle nuire aux Bastidiens ? Ou ceux-ci sont-ils victimes d'une folie collective ? Pan est aussi le dieu qui provoque la peur panique, celle qui fait perdre leur humanité à ceux qui l'éprouvent, ici les hommes ont tellement peur qu'ils en viennent à vouloir un meurtre.

J'ai adoré ce texte puissant, tout en tension jusqu'à la délivrance finale, avec en plus quelque chose que je ne trouve pas dans les romans récents : il est court, 85 pages en livre numérique, il n'y a pas un mot de trop ; il respecte ce précepte d'écrivain qui dit que l'oeuvre est aboutie quand on ne peut plus rien enlever.
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"Colline" étant un roman de Jean Giono, personne ne sera surpris qu'il se déroule en Provence, près de Manosque, bien sûr, même si l'auteur a reconstitué un territoire semi-fictif.

Pour son premier roman, Giono livre un récit étrange, à la morale trouble et pétri de poésie panthéiste, jusqu'à l'excès sans doute.

L'histoire est simple en apparence.
Elle se déroule dans un petit village isolé, « Les Bastides Blanches », où ne vivent plus que quelques familles d'une douzaine de personnes. Sous les monts de Lure, « quatre maisons fleuries d'orchis jusque sous les tuiles émergent de blés drus et hauts.
C'est entre les collines, là où la chair de la terre se plie en bourrelets gras.
Le sainfoin fleuri saigne dessous les oliviers. Les avettes dansent autour des bouleaux gluants de sève douce. »

La nature pourvoit à tous les besoins, la vie s'écoule paisiblement et harmonieusement. Jusqu'à ce que des évènements soudain viennent troubler cette vie tranquille.
C'est d'abord l'ainé, le vieux Janet, qui tombe malade. Il agonise en accablant la petite communauté d'imprécations hallucinées qui sèment une peur trouble. L'angoisse s'installe également quand la source du village se tarit mystérieusement, qu'une enfant tombe malade à son tour, qu'un chat noir inconnu rode et qu'enfin, un terrible incendie ravage les collines.

Giono ne donne jamais d'explications et quand tout revient dans l'ordre, le doute demeure : est-ce le hasard, ou une punition infligée aux hommes par la nature pour avoir fait « couler des ruisseaux de douleur ? »

Le personnage de Gagou, un être simple qui a été adopté par la petite communauté, est sans doute le lien entre les mondes de l'humain et de la nature et Giono ne manque pas de cultiver l'ambiguïté de cet être mi-homme mi bête, jusqu'à l'appellation qui rappelle immanquablement le loup-garou (« la lune fait de Gagou un être étrange »).

Le style est la grande affaire de ce roman.
Il évolue entre réalisme paysan et lyrisme forcené. Il suscite très souvent l'enthousiasme, mais agace aussi parfois tant les métaphores foisonnent. Contrairement aux romans suivants « Un de Baumugnes » et « Regain » à mon sens mieux maitrisés, Giono a ici souvent la main lourde : « le fleuve du vent… », « Une épaisse couronne de violettes pèse sur le front pur du ciel », « L'air brule comme une haleine de malade », « …le soleil dépasse le sol de l'horizon. Il entre dans le ciel comme un lutteur, sur le dandinement de ses bras de feu. », « Au fond de l'air tremble la flûte d'une source… », « le ciel est maintenant comme une grande meule bleue qui aiguise la faux des cigales. »…

Évidemment, il est impossible de lire Giono aujourd'hui, sans avoir dans l'oreille en arrière-plan, les dialogues des films que Pagnol a tiré à de multiples reprises, de ces romans, les illustrant autant qu'il les trahissait.
Il n'en reste pas moins que la profonde originalité de l'oeuvre de Giono va bien au-delà de ces décors de Provence au sein desquels on le confine parfois.

Colline est déjà l'oeuvre d ‘un grand écrivain.
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Giono est tout le contraire d'un écrivain régionaliste à la Pagnol. Il nous conte ici une histoire intemporelle, une tragédie se déroulant dans un village qui devient peu à peu un lieu mythique (même s'il est décrit de façon très réaliste, presque charnelle), un espace de lumière cruelle et d'obscurité menaçante.
Les villageois sont irrésistiblement submergés par une peur immémoriale, un sentiment de panique - ce mot signifiant ici non seulement la peur que suscitent des phénomènes inexplicables, mais aussi, mais surtout, UN sentiment Panique, le pressentiment de la Totalité (Pan en grec signifie Tout), le pressentiment de l'inconnu, de l'immense, du mystère de notre monde, révélation quasi mystique, ivresse panthéiste suscitant effroi et extase.

"Colline" est un livre unique dans la littérature française. Giono au tout début de sa vie d'écrivain y est proche d'un Bernanos, sans la foi, ou d'un Barbey d'Aurevilly, élargi à une dimension cosmique.
Oublions la Provence des cigales et de l'accent. Dans l'univers de Giono le soleil ne brille pas, il brûle.
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