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EAN : 9782362800108
192 pages
Editions Thierry Marchaisse (06/11/2012)
4.38/5   8 notes
Résumé :
Longtemps, les anthropologues ont hésité à évoquer les coulisses de leur métier, par gêne ou crainte de nuire à l’image de leur discipline. En les dévoilant ici, à travers son parcours personnel, le but de l’auteur n’est nullement de desservir l’anthropologie, mais au contraire de mesurer sa fécondité en assumant la profondeur de ses failles.

Ce récit-essai des mésaventures d’une anthropologue (où se tressent verve narrative et analyse réflexive) écla... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Réédition d'un récit-essai déjà publié en 2004, enrichi d'une introduction (ou préface?)et d'un dialogue avec Maurice Godelier, anthropologue.

Les conditions de l'enquête : mission en Mauritanie sur les Rgaybat : « L'enquêteur se trouve pris au coeur d'une bataille dont il devient-à travers son propre projet d'écriture- l'un des atouts ou des handicaps potentiels. Ce qu'on va lui dire et ne pas lui dire, ce qu'on va lui laisser voir et ce qu'on va lui cacher, l'instrumentalisation dont il pourra être ultérieurement l'objet ou même l'otage relèvent alors de rivalités ou de conflits qu'il lui faut déchiffrer : l'enjeu de l'écriture dépasse-et de loin- les objectifs de la science. »(p.14)

Critique des études en ethnologie : à peine un trimestre effectué, elle part pour un long voyage de Bagdad à la Tunisie, puis lit intensivement et cela suffit à lui faire obtenir sa licence. (pas d'exigence d'assiduité à cette époque?)

Elle – même a été « manipulée » par un chargé de cours mauritanien à Nanterre, en fait un soutien actif du front Polisario qui ne voyait que du bien à ce qu'une étudiante française écrive sur les peuples nomades du Sahara espagnol, en lutte pour leur indépendance.
L'une des conséquences de ce fait est que, d'une part, les autochtones l'ont systématiquement aiguillée vers des familles de militants du Polisario en guise de famille d'accueil pour ses recherches, d'autre part qu'elle a fait l'objet de toutes sortes de suspicions sur place.

Sa directrice de mémoire de maîtrise l'ayant aiguillée vers le même peuple, elle n'a pas hésité et a travaillé sur le thème.
Lors de sa soutenance, un membre du jury lui a reproché vertement de ne pas avoir respecté les exigences de l'anthropologie, à savoir étudier selon la synchronie et non selon la diachronie, ce qui, selon lui, rendait la première partie de son mémoire hors sujet, plus un travail d'historienne que d'ethnologue.
Querelles d'écoles à l'université (structuralisme de Levi-Strauss ≠ marxisme), manque total d'information sur la discipline (on y arrivait un peu par hasard, dans le cadre d'UV connexes d'une licence littéraire), divergences d'idées entre les spécialistes eux-mêmes sur la méthodologie à adopter quand-enfin-l'étudiant part sur le terrain : tout décrire et restituer (Théorie de Mauss) : collecte de textes, de plantes, d'images etc... ou bien s'orienter sur un thème précis (approche pragmatique de Malinowski)

Les motivations des chercheurs après 1968 et dans les années 70 et leur évolution :
Régler un sentiment de culpabilité post-colonial, découvrir l'Autre, s'enfuir.

Anthropologie, l'étude de l'Autre comme moi-même/autre ou comme Autre/moi-même, n'entraîne plus forcément les chercheurs sous des latitudes lointaines mais en tournent certains vers l'altérité de proximité : les camps Roms, le quart-monde, les îlots d'habitation le long du périphérique ou dans le bois de Vincennes, par exemple.

Elle s'interroge sur la place du chercheur sur le terrain : mandaté, autorisé officiellement à la fois par les autorités françaises et celles du pays où il travaille, soi-disant non rémunéré et non rémunérateur sur place, les habitants du pays s'interrogent sur ses motivations. Dire qu'on va rédiger un livre ou rendre un rapport flatte mais aussi laisse un peu sceptiques les interlocuteurs. le seul objectif scientifique tel qu'annoncé est peu convaincant : si ce n'est pour l'argent (elle parle surtout des étudiants en doctorat dont le seul bénéfice sera la mention lors de la soutenance de thèse), alors, c'est pour le sexe ? (interprétation désolante mais certainement éprouvée lors des tout premiers voyages).
le chercheur se retrouve à son arrivée dans la même situation qu'un nouveau-né : il ne parle pas (la langue), ne sait pas où dormir, ne sait pas comment se nourrir. Cette remise à zéro des connaissances minimales nécessaires à la vie le rend disponible, ouvert, générant une « faille », une « béance dans (son) système de référence. » le premier voyage aura ainsi valeur d'initiation lors même que le chercheur , conscient de ce qu'il « gagne » dans l'expérience, ignore à peu près tout de ce qu'il « donne ». Incertitude ressentie par tout observateur attentif des cultures dites « en voie de développement ».
L'auteure met en évidence les premiers signes qui influent sur le chercheur en « mission » (mot redoutable par les connotations qu'il recèle), signes éminemment physiques : le corps joue un rôle prépondérant dans la découverte du milieu. Elle révèle ce qu'aucun ethnologue n'aborde qu'en privé, les maux liés à la digestion, le mal-être, la fatigue, les insectes , la rusticité des lieux. « L'outil premier de cet apprentissage est son propre corps ».
Elle revient plus tard sur ces manifestations physiques de désordres et refus psychiques, la maladie en étant l'un des symptômes essentiels. Elle aura à plusieurs reprises la tentation du rapatriement sanitaire après des mois de lutte pour « s'immerger » dans la culture étudiée.
Elle s'interroge sur la place du chercheur, « étranger » à tous égards, qui doit se faire accepter, qui doit convaincre de son désintéressement et du bien – fondé de sa présence.



Le choix de l' »informateur » est prépondérant et...à risques. C'est au coup de chance ou à l'intuition que cela fonctionne. En effet le risque est double : se limiter à un seul informateur risque de réduire les chances de connaissance du milieu, se « tromper » dans son choix peut aboutir à une interdiction de facto de changer d'interlocuteur, chaque groupe ayant l'idée qu'il s'agira in fine d'une trahison. le choix étant fait, l'ethnologue finit par faire partie de la famille choisie,en quelque sorte « adopté » par elle, ce qui limite sa neutralité, « l'initiation l'aura conduit paradoxalement à se couper de toute possibilité d'objectivité ».
L'auteur insiste sur la nécessaire distanciation par rapport à « l'objet » d'étude, distanciation perturbée par les émotions et les affects, l'important étant de se situer à une juste place entre le deux. C'est ainsi qu'elle révèle avoir évité toute aventure sentimentale avec un membre de l'ethnie étudiée.

De la méthode : L'observation participante et l'observation systématique : dans un cas, s'intégrer à la vie quotidienne, participer aux actes communs et les décrire, dans l'autre partir d'une démarche d'initiative personnelle pour lister, recueillir, décrire. Par exemple, en passant dune tente à une autre et poser les mêmes questions sur les mêmes sujets.
Difficulté à être à la fois dehors et dedans. Question méthodologique de la « prise de position » : l'auteure fera les l'expérience de cette difficulté en se trouvant à la charnière de deux éléments familiaux, entre deux « frères » désunis par des rapports de force et des conflits hiérarchiques.


Il s'agit d'enquêter pour étudier et en faire son gagne-pain ≠ étudier pour aider et payer de sa personne des humanitaires
La dimension humaine, empathie, émotion partagée , expérience de vie, me semblent, arrivée à la page 37 totalement absentes. Voir l'analyse des PUF ci-dessous.

Sur la première édition  (PUF):
Cet essai est né d'un agacement, toujours plus vif, ressenti par une anthropologue française qui se veut " ordinaire " devant la vanité des procès intentés à la discipline, et devant les réactions inutilement défensives de certains chercheurs. Quand le " postmodernisme " - américain ou non - " déconstruit " l'anthropologie, ou que telle historienne française crie à " la mort du phénix ", ce qui apparaît dans le creux des discours est une représentation des sciences humaines fondée sur un leurre. Plutôt que de répondre sur le terrain du leurre, Sophie Caratini propose une approche épistémologique qui dévoile la faille, et l'assume. Elle s'attache en effet à montrer que c'est justement cette faille qui est nécessaire pour qu'advienne quelque chose de l'ordre de la connaissance dans le domaine des sciences humaines. Tout texte anthropologique relève d'une expérience vécue de l'altérité, faite d'une rencontre entre sujets appartenant à des cultures différentes. Mais le point de vue " scientifique " qui légitime le statut du chercheur de " terrain " n'est pas tant lié à son regard prétendument " distancié ". Il résulte en réalité d'une négociation perpétuelle et d'une lutte intérieure - perpétuellement incertaine - entre l'ouverture et la fermeture de l'esprit.

Critique du livre :

Réédition d'un récit-essai déjà publié en 2004, enrichi d'un dialogue avec Maurice Godelier, anthropologue spécialiste de la Nouvelle- Guinée.

Sophie Caratini rédige ici un essai appuyé sur son expérience personnelle sur le terrain de sa recherche, le peuple nomade Rgaybi en Mauritanie.
Dans son entretien avec M Godelier, elle explique ce livre par son désir de montrer que la part de subjectivité intervenant dans la recherche ethnologique est une source d'enrichissement et non un frein. Ne pas se limiter aux contraintes posées par les différentes « écoles » de la discipline, l'analyse réflexive et le récit autobiographique se mêlent pour aboutir à une information précieuse pour étudiants en anthropologie innocents des pièges du « terrain » mais qui résonnera dans la mémoire de tous chercheurs en sciences humaines habitués aux missions sur place. L'évocation du savant blanc, seul en milieu hostile, va être ici un peu réactualisée et surtout analysée.

L'essai s'organise autour de thèmes nettement définis, dans une approche réflexive illustrée la plupart du temps par des expériences personnelles et enrichies de références bibliographiques.

Sont ainsi abordés les motivations de l'ethnologue débutant (appel de l'exotisme, culpabilité post-coloniale ? désir de fuite ? Dans l'après – 68, plusieurs raisons se chevauchent) , ses choix (pourquoi telle tribu plutôt que telle autre ?) La part reste belle parfois au hasard des rencontres et des opportunités.
Elle s'attarde sur les réactions physiques que l'apprenti-chercheur peut éprouver lors de son séjour et fait part de ses propres expériences, ce qu'aucun « africaniste » ne se complaît en général à raconter...
Elle revient plus tard sur ces manifestations physiques de désordres et refus psychiques, la maladie en étant l'un des symptômes essentiels. Elle aura à plusieurs reprises la tentation du rapatriement sanitaire après des mois de lutte pour « s'immerger » dans la culture étudiée.
Elle s'interroge sur la place du chercheur, « étranger » à tous égards, qui doit se faire accepter, qui doit convaincre de son désintéressement et du bien – fondé de sa présence, usant parfois de la séduction, cette arme à double-tranchant.

Le choix de l' »informateur »sur place est prépondérant et...à risques. C'est au coup de chance ou à l'intuition que cela fonctionne. En effet le risque est double : se limiter à un seul informateur risque de réduire les chances de connaissance du milieu, se « tromper » dans son choix peut aboutir à une interdiction de facto de changer d'interlocuteur, chaque groupe ayant l'idée qu'il s'agira in fine d'une trahison. le choix étant fait, l'ethnologue finit par faire partie de la famille choisie,en quelque sorte « adopté » et « initié » par elle, ce qui limite sa neutralité, « l'initiation l'aura conduit paradoxalement à se couper de toute possibilité d'objectivité ».
L'auteur insiste sur la nécessaire distanciation par rapport à « l'objet » d'étude, distanciation perturbée par les émotions et les affects, l'important étant de se situer à une juste place entre les deux. C'est ainsi qu'elle confie avoir évité toute aventure sentimentale avec un membre de l'ethnie étudiée.

L'auteure aborde les questions de méthode : l'observation participante et l'observation systématique. Dans un cas, s'intégrer à la vie quotidienne, participer aux actes communs et les décrire, dans l'autre partir d'une démarche volontariste pour lister, recueillir, décrire. Par exemple, en passant d'une tente à une autre et poser aux habitants les mêmes questions sur les mêmes sujets.
Difficulté à être à la fois dehors et dedans. Question méthodologique de la « prise de position » : l'auteure fera l' l'expérience de cette difficulté en se trouvant à la charnière de deux groupes familiaux, entre deux « frères » désunis par des rapports de force et des conflits hiérarchiques.


Elle porte un regard critique sur l'enseignement qui – au moins à son époque - ne proposait l'approche de l'ethnologie que comme formation connexe aux études littéraires, sur l'Université où elle s'est visiblement ennuyée au point de partir en voyage à travers le monde arabe en lieu et place des heures de cours avec profit visiblement. Elle dénonce aussi la manipulation dont elle a fait l'objet, ayant été envoyée de façon délibérée par son tuteur mauritanien dans un milieu en effervescence politique, celui de rebelles membres actifs du Front Polisario luttant pour l'indépendance du Sahara espagnol.
La place de l'ethnologue sur le terrain risquera d'être ainsi déviée de son objectif scientifique et l'auteure suspectée d'intentions politiques voire d'espionnage. L'aspect politique est non négligeable dans toute mission en Afrique où il est nécessaire de s'entourer de toutes les précautions avant de partir et une fois sur le terrain.

Le dialogue avec Maurice Godelier clôt le récit-essai par une confrontation de points de vue et d'expériences sur la rencontre avec cet « Autre » qu'on est désireux de comprendre en sachant qu'il porte lui aussi un regard critique sur ce que nous sommes. A noter aussi les remarques un peu aigres sur la « carrière », les relations, parfois conflictuelles, avec les collègues et les difficultés, en général, des sciences humaines.

Livre utile à tous les débutants en sciences humaines de terrain, pas seulement aux ethnologues. Mais ce n'est pas pour autant ce qu'on appelle un livre « grand public » dans la mesure où il fait appel à des connaissances assez pointues et à une approche réflexive organisée et argumentée intéressante mais pas forcément abordable à tous lecteurs.




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Voilà un essai salutaire pour l'anthropologie et d'ailleurs pour les sciences sociales en général.
L'auteur aborde la question de l'impact de l'histoire personnelle et de la culture d'origine de l'anthropologue sur la façon qu'il aura de percevoir, d'analyser et de comprendre l'objet de ses recherches : une autre culture.
Aussi évident que puissent paraître la nécessité de ces questionnements, Sophie Caratini nous explique à quel point ces points entrent dans le champ des non-dits de l'anthropologie. L'université n'aborde pas ces questions, les chercheurs ne les soulèvent pas entre eux et il est malvenu de faire part des difficultés qu'on a pu rencontrer lors du travail de terrain.
Avec un développement structuré, elle nous montre quelle nécessité il y a pour cette science particulière d'aborder son travail avec, aussi, une approche psychanalytique.
En effet, la compréhension des schémas de la culture étudiée se fait par les traumatismes - positifs ou négatifs - que créent la confrontation à l'altérité chez le chercheur. de surcroît, le choix de cette discipline et le choix du terrain ne se font pas plus par hasard, et il est important de comprendre le pourquoi de ces choix. La prise en compte de cet état de fait dans la manière de former les futurs chercheurs ne pourra qu'améliorer la qualité des recherches.
On apprendra aussi ici, sans forcément beaucoup de surprise, que le fonctionnement universitaire français est loin d'être efficace, que la mise en concurrence des chercheurs plutôt que la collaboration est un frein à l'innovation, et qu'un chercheur un peu trop à la marge des normes admises risque l'ostracisme par ses pairs. Et tant pis si cela freine la possibilité de faire avancer toute la discipline.
La seconde partie du livre, plus légère mais pas moins intéressante, est la retranscription d'un échange entre l'auteur et Maurice Godelier. Les deux chercheurs reviennent sur les propos de l'essai de Sophie Caratini, les illustrant par des souvenirs de terrain.
Les amateurs d'anthropologie trouveront également dans cet ouvrage une bibliographie des plus intéressante.
J'ai découvert cet essai grâce à l'opération Masse critique de Babélio. Je ne m'étais pas plongée depuis longtemps dans un essai d'anthropologie, et celui ci a réveillé ma curiosité. Plusieurs ouvrages du même auteur vont donc rejoindre ma (très longue) liste des ouvrages à lire prochainement.
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L'anthropologie a pour visée de décrire et d'étudier, le plus scientifiquement possible, l'Autre.
Seulement, comment étudier l'Autre sans agir et interférer avec lui et, du fait, sans "fausser" les résultats ?
C'est de ce non-dit (et de bien d'autres) que nous parle Sophie Caratini, dans cet essai riche et passionnant.
Des générations d'anthropologues et d'ethnologues, par souci "scientifique", ont occulté volontairement ou non dans leurs travaux, la part sensible, subjective et/ou personnelle de leur rencontre et de leurs rapports avec leur "sujet" d'étude, et ce afin de coller au plus près des méthodes et des discours attendus et imposés par la communauté des chercheurs.
Cependant, comme le dit très bien Sophie Caratini, ce qui amène un chercheur à étudier tel ou tel Autre, c'est un faisceau de hasards, de manipulations, de chances (ou de malchances), de choix inconscients...
Omettre ce faisceau d'événements est, pour l'anthropologue, cacher une partie de son travail et de son analyse.
En incitant les chercheurs à exprimer cette part de vécu et de subjectif (au risque de paraître moins "scientifiques"), l'auteur nous donne à lire aussi ce qui fait la valeur et l'intérêt de cette recherche : l'anthropologie est avant, et sur tout, d'être une science, la rencontre d'êtres humains.
Adressé aux étudiants et aux chercheurs de la communauté, cet essai, écrit avec finesse et sans tomber dans le jargon technique et universitaire, ne manquera pas d'intéresser le grand public, séduit par la question de l'étude de l'Autre.
Ma rencontre avec ce livre et cette critique furent possibles grâce à Masse Critique.
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L'anthropologie devient intéressante quand l'anthropologue parvient à garder son regard extérieur, d'occidental, tout en se mêlant à la vie des populations/personnes qu'il observe.
Ainsi il peut à la fois :
-se sentir le seul de son espèce
- élargir son espace mental
- observer les effets de la transformation
- se confronter aux autres
Et par conséquent apprendre sur lui et sur les autres. Donc élargir sa conscience davantage.
C'est le constat que fait Sophie Caratini après un accident psychique qui la pousse à introduire l'ethnologie dans sa vie personnelle (et plus seulement comme observation).
L'écriture est agréable, précise et rythmée. Les chapitres courts et explicites. le texte est agrémenté d'une série de photos.
Puis augmenté d'un dialogue avec Maurice Godelier qui met en perspective cette subjectivité que doivent avoir, forcément, les anthropologues et qui ne remet néanmoins pas en cause leurs observations sur les autres populations.
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Claude Lévi-Strauss en parle :
« Vous avez admirablement choisi votre titre. Car ces choses n'avaient jamais ou presque jamais été dites. Vous les formulez avec une finesse d'analyse, une profondeur, une justesse d'expression qui, j'en suis sûr, mériteront à votre petit mais si riche ouvrage une place de premier rang dans la littérature ethnologique. »
(Quatrième de couverture du livre)
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Qui pourrait affirmer que la question des identités est obsolète alors que la plupart des guerres – et la guerre est partout – se font au nom d’une identité? Identité « nationale », identité « ethnique», identité revendiquée, identité bafouée, identité créée ou supprimée.

Peut-on prétendre que l’humanité en a fini avec les holocaustes et autres génocides, que le projet de tuer l’Autre, uniquement parce qu’il est Autre, n’est plus d’actualité ? Or quelle discipline interroge la distinction du Même et de l’Autre en même temps que ce besoin qu’ont les individus et les groupes humains de se distinguer, si ce n’est l’anthropologie ? Et quel est donc l’enjeu d’une telle « discipline » qui demande à ses chercheurs d’aller expérimenter la différence, de frôler la lisière entre la distinction et la confusion, de l’éprouver jusque dans leur chair et d’en imprégner leur inconscient ?

Lorsque l’étranger interroge l’Autre étrange, il est inclus dans la question, et c’est la condition humaine qu’il interroge.
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Comment admettre que l'impact du non-dit à soi-même - déjà présent au moment du choix de la discipline, de l'objet et de la problématique, puis déterminant lors des phases de négociation et de constitution des points de vue - puisse s'arrêter aux états physiques, affectifs et psychiques de l'anthropologue et ne pas influer sur ses interprétations ? Sur le terrain, à chaque instant, les associations conscientes et inconscientes qu'il effectue spontanément ou de manière réflexive infléchissent son attitude et donc la situation, car ses réactions en engendrent d'autres. Plus tard, cette part incontrôlable de ce nouveau Ça qu'il aura acquis par-dessus l'autre, comme autant de couches non plus archéologiques mais pratiquement préhistoriques de son savoir, viendra interférer pour orienter ses analyses, d'abord lors de la mise en ordre de ses matériaux, puis lorsqu'il sera confronté à l'épreuve du choix qu'impose toute écriture.
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Toute nouveauté est rapportée au connu, tandis que la part incompressible d'inconnu qu'elle contient est incorporée sans pouvoir être symbolisée. quand les mots se refusent, le corps parle. A travers les organes de la perception, il est le premier lieu d'intégration de l'information, une information que la mémoire enregistre d'abord sous sa forme émotionnelle, avant que le cerveau n'en façonne l'image et que la conscience ne ma mette éventuellement en mots. Et de tout ce qu'il a absorbé, il garde souvenance. Les sensations de confort, de joie ou même de bonheur qui l'irradient parfois, et qu'il est naturellement porté à rechercher, sont étroitement dépendantes de ces mécanismes d'association. Le connu, même non su, procure le bien-être du corps, lorsqu'il peut être associé à des expériences passées positives, alors qu'il engendre une attitude incontrôlable d'auto-défense (la fuite, le dégoût, le stress, le sommeil ou l'insomnie, la maladie) lorsqu'il réveille de mauvais souvenirs. L'intégration dans une autre culture, qu'elle soit ou non le fait d'un anthropologue, génère un conflit intérieur qui se manifeste sous la forme qu'une sorte de lutte, parfois très douloureuse, au cours de laquelle l'esprit tente de maîtriser le corps, l'oblige à contrôler ses réactions, comme ses pulsions, parfois même ses modes d'expression les plus naturels (c'est-à-dire culturels).
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(...) et puis il y a une chose qu'il n'avait pas prévue, pas même imaginée, une chose dont il n'avait jamais entendu parler : ce sont les effets physiques, émotionnels et psychiques qu'a sur lui cette immersion volontaire. Il n'a plus personne pour le rassurer, le conforter ou l e réconforter ; il ne peut plus voir, dans le miroir, son double, celui qui aurait pu lui confirmer que cet émoi qui l'étreint ou cette mauvaise pensée qui l'assaille ou le hante sont "normaux. Il n'a plus d'autre norme que lui-même, cet inconnu. Et le miroir, impitoyable, ne lui renvoie plus passivement son image : il le regarde. Il a des pouvoirs magiques, il fait peur. "Miroir, mon beau miroir, dis-moi, qui est la plus belle ?". L'Autre se tait, ou même sourit tandis que l'anthropologue sent monter en lui le doute vertigineux de la science victorieuse. Tout d'abord, il s'écarte : non, pas ça, ce n'est pas possible, ce n'est pas la science, c'est moi. Alors il doute de son savoir, puis de ses capacités, et le voyage tourne à l'errance. Parce qu'on ne lui avait rien dit de cette errance, il n'osera jamais rien en dire.
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On ne choisit pas son époque pour naître, on ne choisit pas vraiment non plus ses professeurs. On reçoit tout ça, et si on est honnête, on essaye de comprendre sans considérer que c'est définitif. Il faut être hyper-pragmatique en matière de théories : ne jamais s'accrocher et savoir abandonner quand ça ne marche pas.
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Video de Sophie Caratini (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Sophie Caratini
Sophie CARATINI présente son livre Les Enfants des nuages. Une ethnologue dans la tourmente saharienne (version revue et augmentée, éditions Thierry Marchaisse, 2022).
« Vous avez un don rare, même parmi les ethnologues : vous savez voir. J'ai aimé votre livre auquel je souhaite tout le succès qu'il mérite. Il est vivant, il sonne vrai, ce qui n'exclut pas la réflexion, qui nous vaut des remarques très fines, des pensées pénétrantes et de grands moments d'émotion. » Claude LÉVI-STRAUSS
Près de cinquante ans après son premier voyage en Mauritanie, Sophie Caratini revient sur cette expérience fondatrice de sa carrière d'anthropologue et de sa vie de femme.
Cette nouvelle version de son récit autobiographique, largement remaniée et complétée, en accentue la valeur de témoignage historique. Elle éclaire en particulier l'effondrement du grand nomadisme chamelier et les débuts du combat pour l'indépendance des révolutionnaires sahraouis. C'est donc l'histoire d'une jeune fille inexpérimentée qui s'enfonce dans le désert à la recherche des bédouins Rgaybat « enfants des nuages », et qui finira par y trouver des guerilleros. le lecteur y découvre une civilisation fascinante, un art de vivre, une culture raffinée, en même temps qu'un monde en plein naufrage.
"Au-delà de l'expérience de ce qui fut mon premier terrain d'enquête, je voudrais donner ainsi à comprendre toute la complexité de ce moment de déchirure de la société des grands nomades ouest-sahariens, accablée par des années de sécheresse, et qui basculera quelques mois plus tard dans la guerre." Sophie Caratini (Avant-propos de la dernière édition)
Sophie CARATINI est une anthropologue française et mauritanienne, directrice émérite au CNRS, et spécialiste des sociétés de l'Ouest saharien. Elle a écrit plusieurs ouvrages qui allient avec talent l'anthropologie et la littérature. Notamment Les non-dits de l'anthropologie suivi de Dialogue avec Maurice Godelier, et une grande saga en trois volumes indépendants sur le choc de la rencontre coloniale : Antinéa mon amour ; Les Sept Cercles ; La Fille du chasseur (editions Thierry Marchaisse).
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