Ô tourments
Ô tourments plus forts de n'être qu'une seule apparence
Angoisse des fuyantes créations
Prière du désert humilié
Les tempêtes battent en vain vos nuques bleues
Vous possédez l'éternelle dureté des rocs
Et les adorables épées du silence ont enfin défié vos feux noirs
Tourments sourdes sentinelles
Ô vous voûtes gorgées de désirs d'étoiles
Vos bras d'hier pleins des bras d'aujourd'hui
Ont fait en vain les gestes nécessaires
Vos bras parmi ces éventails de cristal
Vos yeux couchés sur la terre
Et vos doigts tièdes sur nos poitrines aveugles
N'ont créé pour notre solitude qu'une solitude d,acier
Je sais je sais ne le répétez pas
Vous avez perdu ce dur front de clarté
Vous avez oublié ces frais cheveux du matin
Et parce que chaque jour ne chante plus son passage
Vous avec cru l'heure immobile et la détresse éteinte
Vous avez pensé qu'une route neuve vous attendait
Ô vous pourquoi creuser cette fausse mortelle
Pourquoi pleurer sous les épaules des astres
Pourquoi crier votre nuit déchaînée
Pourquoi vos mains de faible assassin
Bientôt l'ombre nous rejoindra sous ses paupières faciles
Et nous serons comme des tombes sous la grâce des jardins
Non non je sais votre aventure
Je sais cet élan retrouvant le ciel du mât
Je sais ce corps dépouillé et ces larmes de songe
Je sais l'argile du marbre et la poussière du bronze
Je sais vos sourires de miroir
Ces genoux usés que rongent la ténèbre
Et ce frisson de rein inaccessible
Pourquoi le mur de pierre dites-moi
Pourquoi ce bloc scellé d'amitié
Pourquoi ce baiser de lèvres rouges
Pourquoi ce fiel et ce poison
Les minutes du temps me marquent plus que vos trahisons
Ô navires de haut-bords avec ce sillage de craie
Vos voiles déployées votre haine se gonfle
Pourquoi creuser ces houles comme une tranchée de sang
Pourquoi ces hommes penchés sur la mer comme aux fontaines de soif
Si les morts de la veille refusent de ressusciter
Libération
Chacun sans issue
Très bien muré
Dans son cachot dévorant
Le temps glisse à reculons
Mon fer m'a forgé
Nuls maillons de chaînes
Ne peuvent me retenir
Je suis plus dur
Que tout l'acier du monde
Je ne veux plus rien entendre
Je connais ces mots
Gonflés comme des fruits mûrs
Ah dans le brouillard
Ces îles fantômales
Je refuse leur murmure
Je refuse l'émouvante évasion
D'une aube libératrice
Avec le ciel de ses étoiles
Leurs troupes de fraîcheur
Dispensant les délices
Je refuse l'empreinte
De son pas sur la plage
Le sable léger
Marquant le signe encore
Aux cadrans solennels
Îles frontées de rubis
Îles belles perdues
Ô lumineux sarcophages
Vos purs doigts repliés
Me trouvent insaisissable
Les grands vertiges de la mer
Souffraient les souffles incantatoires
Quels éblouissants coquillages
Pour faire oublier la noyade
De ce qui restait de nos morts
Nous aurions pu tenter alors
La calme angoisse de la nuit
Le cristal de la solitude
L'innocence de l'immobilité
Le secret refuge des miroirs noirs
La dévastation de l'univers
Soudain sur nous répandue
La sourde confession
Des mornes mélancolies
Glissaient au bleu des ravisseurs
Plus loin que l'apparat des mondes
Au delà des abîmes prématurés
Au delà des tendres prairies vertes
Au delà du plus sûr piège
De l'instant du jeu brisé
Les prédestinations défendues
La voix de l'espoir avec appel
Un sang rouge comme apprivoisé
Un fallacieux destin de bonheur
Les liens de la mer et de la joie
Cette prison mortelle
Ô belle aux yeux morts
Je tente en veillant
De libérer ta mort
De libérer ma mort
RIVAGES DE L'HOMME
Longues trop longues ténèbres voraces
Voûtes exagérément profondes
Ô cercles trop parfaits
Qu'une seule colonne
Nous soit enfin donnée
Qui ne jaillisse pas du miracle
Qui pour une seule fois
Surgisse de la sourde terre
De la mer et du ciel
Et de deux belles mains fortes
D'homme de fièvre trop franche
De son long voyage insolite
A travers l'incantation du temps
Parmi son pitoyable périple
Parmi les mirages de sa vie
Parmi les grottes prochaines de sa mort
Cette frêle colonne d'allégresse
Polie par des mains pures
Sans brûler de ses fautes
Sans retour sur le passé
Qu'elle lui soit enfin donnée
Les cris n'importent pas
Ni le secours du poing
Contre le rouet du deuil
Ni le regard angoissé
Des femmes trop tôt négligées
Nourrissant la revendication
D'un autre bonheur illusoire
Ô corps délivrés sans traces
Mais si pour une seule fois
Sans le fléchissement du geste
Sans les ruses pathétiques
Sans ce poison des routes
Depuis longtemps parcourues
Sans la glace des villes noires
Qui n'en finissent jamais plus
Sous la pluie le vent
Balayant les rivages de l'homme
Dans le ravage le naufrage de sa nuit
Dans ce trop vif battement de son artère
Dans la forêt de son éternité
Si pour une seule fois
S'élevait cette colonne libératrice
Comme un immense geyser de feu
Trouant notre nuit foudroyée
Nous exigerions cependant encore
Avec la plus véhémente maladresse
Avec nos bouches marquées d'anonymat
Le dur œil juste de Dieu.
AVEC TA ROBE …
Avec ta robe sur le rocher comme une aile blanche
Des gouttes au creux de ta main comme une blessure fraîche
Et toi riant la tête renversée comme un enfant seul
Avec tes pieds faibles et nus sur la dure force du rocher
Et tes bras qui t’entourent d’éclairs nonchalants
Et ton genou rond comme l’Ile de mon enfance
Avec tes jeunes seins qu’un chant muet soulève
Pour une vaine allégresse
Et les courbes de ton corps plongeant toutes vers ton frêle secret.
Et ce pur mystère que ton sang guette
Ô toi pareille à un rêve déjà perdu
Ô toi pareille à une fiancée déjà morte
Ô toi mortel instant de l’éternel fleuve
Laisse-moi seulement fermer mes yeux
Laisse-moi seulement poser les paumes de mes mains
Sur mes paupières
Laisse-moi ne plus te voir
Pour ne pas voir dans l’épaisseur des ombres
Lentement s’entrouvrir et tourner
Les lourdes portes de l’oubli
Que la nuit soit parfaite…
Que la nuit soit parfaite si nous en sommes dignes
Nulle pierre blanche ne nous indiquait la route
Où les faiblesses vaincues achevaient de mourir
Nous allions plus loin que les plus lointains horizons
Avec nos épaules et nos mains
Et cet élan pareil
Aux étincelles des insondables voûtes
Et cette faim de durer
Et cette soif de souffrir
Nous étouffant au cou Comme mille pendaisons
Nous avons partagés nos ombres
Plus que nos lumières
Nous nous sommes montrés
Plus glorieux de nos blessures
Que des victoires éparses
Et des matins heureux
Et nous avons construit mur à mur
La noire enceinte de nos solitudes
Et ces chaînes de fer rivées à nos chevilles
Forgées du métal le plus dur
Que parfaite soit la nuit où nous nous enfonçons
Nous avons détruit tout bonheur et toute tendresse
Et nos cris désormais
N’auront plus que le tremblant écho
Des poussières perdues
Aux gouffres du néant.
L'Étoile pourpre, Alain Grandbois
lu par l'auteur.