Aujourd'hui c'est mercredi et mercredi, c'est... ?
« - C'est ravioli ! » Toute la classe se met à rire.
Le petit Pat n'en rate jamais une. Il a fallu que ce soit la petite Anna qui lui dise d'un air à la fois tendre et légèrement moqueur: « Mais non, mercredi ce sont les histoires de Berni. »
Sandrine, la maîtresse d'école a fait entrer tous les élèves dans la classe, formant un cercle dans lequel je suis entré pour raconter mon histoire d'aujourd'hui, une BD dont je savais par avance que les thèmes allaient leur plaire.
Je leur ai donné le titre en montrant la première de couverture :
La tribu qui pue.
Je m'y attendais, les moins timides se sont pavanés au milieu du cercle en se pinçant le nez et en tendant le doigt vers le voisin le plus proche avec des yeux espiègles.
Nous nous sommes regardés Sandrine et moi, avons échangé des clins d'oeil discrets. L'équipe était en forme ce mercredi-ci, au rendez-vous d'une nouvelle histoire à transmettre. J'ai marqué un long silence. Voilà ! Une fois qu'ils s'étaient défoulés, ils ont compris que je ne démarrerais pas mon récit tant qu'ils ne seraient pas tranquillement assis en rond à m'écouter.
Et j'ai commencé à raconter l'histoire tout en leur montrant les images...
« Tu connais les enfants de
la Tribu-qui-pue ? Ils vivent dans les bois, de l'autre côté de la montagne des Grands-Pins. Tu sais, près de la carcasse de l'avion qui s'est écrasé en 1938. »
J'ai continué de déplier les pages, montrant ces enfants livrés à eux-mêmes, qui vivaient dans des cabanes qui ressemblaient à des nids d'oiseaux. Ils étaient heureux, libres, sans entrave, ils étaient si débrouillards qu'ils n'avaient pas besoin des adultes. Ils savaient pêcher, cueillir des baies, faire un feu de camp, trouver l'eau potable parmi les sources et s'orienter grâce aux étoiles.
Je découvrais devant moi des visages ébahis.
- Mais qui leur a appris tout ça ? demanda alors la petite Marie-Caroline.
- Bah ! Ils l'ont appris tout seul, répondit la petite Francine.
Regardez, dis-je en montrant l'image où ils jouent au football. Ils récupèrent des déchets que les imbéciles du village jettent dans la rivière et se font des ballons de foot avec des sacs d'oignons remplis de feuilles mortes.
- Ce sont des écolos, dit la petite Doriane. On devrait faire comme eux.
- Oui, renchérit le petit
Jean-Michel, on n'a qu'à faire comme eux sur la cour de récréation.
- Mais que sont devenus leurs parents ? demanda alors la petite Gaëlle d'une voix touchante.
Je n'avais pas la réponse. Je savais seulement qu'ils étaient orphelins... Je le leur ai dit. Il y a eu un long silence et je savais qu'il fallait vite le combler avec des mots, des images, des regards, des bras tendus, des rires, des étonnements, l'émerveillement, tout ce que les enfants savent faire mieux que nous...
« Les enfants de
la Tribu-qui-pue ne prennent jamais de bain, c'est pour ça qu'on les appelle comme ça, mais on s'en fiche un peu, qu'ils puent, parce que personne n'est pas là pour les sentir à part les animaux. »
- Quelle chance ils ont, murmura le petit Pat d'un air admiratif.
Les élèves ont été touchés de découvrir que les enfants de
la Tribu-qui-pue savaient aussi apprivoiser les animaux.
« Et Lucie, là, avec des tresses : elle a toujours une couleuvre sur l'épaule. T'as déjà senti une couleuvre ? Ça pue encore plus qu'un enfant sale. »
Une couleuvre sur l'épaule... ? Il n'en fallait pas plus pour que tous les regards se tournent vers le petit Paul et son caméléon sur l'épaule. Des regards lourds, culpabilisants...
« Hé ho ! s'écria-t-il d'un air presque fautif, il pue pas mon caméléon ! Il sent juste le caméléon. »
Le caméléon du petit Paul prit alors la couleur de la honte et j'en profitais pour passer à un cran plus loin dans l'histoire qui bascule dans un temps plus anxiogène. En effet, au village, l'orphelinat est vide, et pour cause... Sa directrice,
Yvonne Carré, un personnage très sévère est très à cheval sur les bonnes manières et sur la propreté des enfants. Elle ne supporte pas la désobéissance de ces enfants livrés à eux-mêmes dans la nature. Partant à leur recherche, elle lance son rire démoniaque MOUHAHA ! Elle a même inventé une machine terrible qui s'appelle « la machine à laver les enfants sales. »
J'ai entendu autour de moi des « oh » indignés.
Yvonne Carré ne recule devant aucun stratagème pour les attirer dans son orphelinat. Elle achète des jouets, des bonbons et organise même une fête avec un poney et un gâteau avec « des figurines Pokémon sur le dessus »...
Je voyais la petite Isa qui serrait ses petites mains menues l'une contre l'autre et qui semblait apeurée de ce qui pouvait advenir de ces enfants dont les jours de liberté semblaient brusquement comptés.
Heureusement, l'histoire se termine bien.
Sandrine s'est alors rapprochée de moi pour poser des questions, leur demander ce qui les avaient marqué dans cette histoire.
Certains ont parlé de liberté, d'autorité avec leurs propres mots, de désobéissance aussi. D'autres étaient intéressés par ce côté débrouillard, inventif, vivre en harmonie avec la nature, avec si peu de moyens en définitive. La petite Anne-So a dit que ce serait bien que l'école possède un poney comme Robert le poney, celui de l'histoire, qu'on pourrait nourrir et caresser à chaque récréation, et promener de temps en temps... La petite Sarah a suggéré qu'on pourrait inventer des jeux à partir de ce qu'on pouvait récupérer au lieu de les jeter à la poubelle...
La petite Nico a même proposé que ce serait bien d'avoir le droit de désobéir de temps en temps... Sa proposition a suscité une salve d'applaudissements.
Dans cette joie communicative, le caméléon du petit Paul venait de sauter sur l'épaule de la petite Chrystèle qui s'était laissé faire, sans effroi. La petite Doriane s'était approchée du reptile pour lui offrir un de ses chocolats.
Il souffle sur
La Tribu-qui-pue un extraordinaire vent de liberté. Et ce matin-là, dans la classe de Sandrine il soufflait un vent de tendresse que je voulais éternel...
Le texte d'Élise Gravel est joyeux et vif. On sent sa belle humeur dans ses phrases, c'est un vrai plaisir de lecture ! Et que dire des illustrations de Magali le Huche ? Elle n'a pas son pareil quand il s'agit de faire sourire et rire ses lecteurs et ceux aussi qui racontent l'histoire...
La tribu qui pue est un bol d'air jubilatoire pour petits et grands...